Afrique du Sud : de l’acceptation d’Israël sous Mandela aux accusations de « génocide »
La rhétorique anti-israélienne sans précédent du dirigeant sud-africain reflète un changement géopolitique plus large, mais les Juifs du pays ne se sentent pas menacés

Ce mois-ci, le gouvernement sud-africain s’est surpassé en termes de critiques à l’égard de l’État juif en qualifiant publiquement les actions d’Israël à Gaza de « génocide ».
« Mais de peu », selon Benji Shulman, directeur de la politique publique à la Fédération sioniste sud-africaine, la plus ancienne organisation juive du pays.
Shulman s’est penché sur le revirement progressif du gouvernement sud-africain à l’égard d’Israël au cours des 15 dernières années.
Autrefois l’un des principaux partenaires d’Israël sur le continent, l’Afrique du Sud est progressivement devenue l’un de ses plus virulents détracteurs, qualifiant Israël de « pays d’apartheid », l’accusant de « nettoyage ethnique » et, dernièrement, de génocide.
L’allégation de génocide s’est répandue jusque dans les rangs du gouvernement. Cela a commencé le 2 novembre avec Khumbudzo Ntshavheni, un ministre de second rang, avant d’être reprise le 17 novembre par nul autre que le président Cyril Ramaphosa en personne. Gaza, a-t-il déclaré aux journalistes lors d’une visite d’État au Qatar, « a été transformée en un camp de concentration où un génocide est en cours ».
Selon des observateurs de longue date, ce changement de position à l’égard d’Israël s’inscrit dans le cadre d’un réalignement idéologique et géopolitique plus large de l’Afrique du Sud, qui renforce son alliance avec les pays en développement au détriment de ses liens avec l’Occident, alors même que son économie nationale et ses infrastructures se dégradent.
Mais malgré cela, l’Afrique du Sud reste essentiellement accueillante pour les Juifs, qui s’inquiètent davantage de la descente progressive du pays dans la catégorie des États faillis que de sa politique étrangère incohérente.

Efraim Zuroff, éminent chasseur de nazis du Centre Simon Wiesenthal, a qualifié l’allégation de génocide de « scandaleuse, erronée » et révélatrice de l’ignorance de ceux qui la profèrent. « Le gouvernement sud-africain devrait avoir honte », a-t-il déclaré.
Ramaphosa ne s’est pas contenté de lancer des accusations. L’Afrique du Sud a rappelé ses diplomates d’Israël et, le 16 novembre, et a rejoint les autres nations qui ont saisi la Cour pénale internationale (CPI) contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour des crimes de guerre présumés dans le cadre des actions d’Israël à Gaza.

Mardi, le parlement sud-africain a adopté une résolution demandant au gouvernement de fermer l’ambassade d’Israël à Pretoria jusqu’à ce qu’Israël accepte un cessez-le-feu avec le Hamas sous l’égide de l’ONU. La résolution, qui qualifie également le traitement des Palestiniens par Israël « d’apartheid », n’est pas contraignante pour le gouvernement.
Le mois dernier, Israël a lancé une vaste opération militaire à Gaza contre le Hamas à la suite du massacre perpétré par 3 000 terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre, durant lequel ils ont assassiné près de 1 200 personnes et en ont enlevé 240 autres, entre autres crimes de guerre et atrocités commises ce jour-là. Les autorités de la bande de Gaza, dirigée par le Hamas, affirment que les frappes israéliennes sur le Hamas ont tué 13 300 personnes, des chiffres qui ne peuvent être vérifiés de façon indépendantes et qui ne font pas la distinction entre terroristes et civils.
Ramaphosa a déclaré que l’Afrique du Sud « ne cautionne pas les actions menées par le Hamas », mais son langage et ses actions à l’égard d’Israël ont été beaucoup plus virulents. Le parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), a déclaré qu’il soutiendrait un projet de résolution demandant la fermeture de l’ambassade d’Israël pour une durée indéterminée.
Israël a déclaré lundi qu’il rappelait son ambassadeur d’Afrique du Sud.

Les relations entre l’Afrique du Sud et Israël sont tombées au plus bas. Elles avaient pourtant résisté à de nombreux défis, grâce notamment au leadership de Nelson Mandela, qui est devenu en 1994 le premier Président de l’Afrique du Sud après la fin de l’apartheid.
Mandela était favorable à des concessions territoriales israéliennes et proche de la cause palestinienne, « mais il était également très favorable à Israël, qu’il avait visité et où il avait reçu un doctorat honorifique de l’université Ben Gurion », a rappelé Shulman, de la Fédération sioniste. « Son point de vue était qu’Israël avait le droit d’exister ».
Le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, a lui aussi suivi cette ligne. La situation a commencé à changer sous Jacob Zuma, au pouvoir de 2009 à 2018, a ajouté Shulman.

Pas très idéologue lui-même, et empêtré dans de multiples scandales de corruption qui l’ont finalement contraint à démissionner en 2018, Zuma a accepté de confier la politique étrangère à des radicaux « tant qu’ils ne se mettaient pas en travers de son chemin », a expliqué Shulman. Zuma, plus que tout autre successeur de Mandela, a permis aux partenaires de l’ANC au sein des syndicats et du Parti communiste de façonner la politique étrangère, toujours selon Shulman qui ajoute : « C’est ainsi que s’est amorcé le virage vers l’Iran, par exemple, et le Hamas. »

Le volet économique
Ce revirement de politique a également été ressenti après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. L’Afrique du Sud a adopté une position neutre à l’égard de la Russie, ce que beaucoup ont interprété comme un soutien, car le parti n’a réprimandé aucun des membres et fonctionnaires éminents de l’ANC qui s’étaient ouvertement rangés du côté de la Russie.
Cette attitude a eu des conséquences négatives sur les relations de l’Afrique du Sud avec les États-Unis. Ces derniers auraient envisagé de punir Ramaphosa en déplaçant le sommet « African Growth and Opportunity Act » (loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique). Les États-Unis avaient initialement choisi l’Afrique du Sud pour accueillir le sommet, et ce dernier s’est finalement déroulé en Afrique du Sud ce mois-ci.

La rupture avec les politiques des Etats-Unis, de l’Occident et d’Israël pourrait être calculée. Selon Michael Kransdorff, spécialiste de la finance internationale et de la fiscalité de confession juive basé à Johannesburg, il s’agit d’un mouvement motivé par l’idéologie et encouragé par les perspectives économiques.
« L’Afrique du Sud est très impliquée dans les BRICS », explique-t-il, en référence au bloc commercial composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, et considéré comme un rival économique des États-Unis et de l’Union européenne. « Il y a un mouvement très anti-occidental et anti-américain parmi les élites politiques de l’ANC. Tout est lié à cela. Je pense que c’est le moteur de toute cette affaire », a déclaré Kransdorff.

Le vieux bouc émissaire le plus ancien de l’histoire
L’Afrique du Sud a peut-être d’autres raisons de se montrer hostile à l’égard d’Israël.
L’ANC est aux prises avec un taux de popularité historiquement bas à la veille des élections générales de 2024, né de la colère suscitée par l’épidémie de crimes violents en Afrique du Sud et de la crainte que le pays ne devienne un État en déliquescence en raison de l’effondrement de ses infrastructures. Les fréquentes pénuries d’électricité et le manque de fiabilité du système de transport public sont le résultat de l’absence d’une « infrastructure logistique publique intégrée fonctionnelle, avec des routes, des chemins de fer et des ports en mauvais état », a écrit William Gumede, de l’école de gouvernance de l’université de Witwatersrand, dans un éditorial publié l’année dernière.
Les politiques économiques radicalement socialistes de l’ANC sont perçues par beaucoup comme un facteur aggravant, contribuant à la popularité des partis d’opposition plus orientés vers le marché libre, dont certains ont des politiques étrangères pro-occidentales.
Si l’ANC peut s’attirer les faveurs des électeurs musulmans – dont un grand nombre se situe dans des tranches de revenus supérieures à la moyenne – en se montrant critique à l’égard d’Israël, « ce n’est qu’une raison de plus de le faire », a déclaré Shulman, qui doute que cette tactique se révèle efficace.

« Pour bon nombre des quelque 50 000 Juifs d’Afrique du Sud, le sentiment anti-israélien du gouvernement n’est qu’un problème de second ordre comparé aux infrastructures en ruines, à la criminalité galopante et à la morosité économique du pays », a déclaré Kransdorff, un consultant financier qui travaille pour de nombreux clients candidats à l’émigration, dont certains Juifs qui ont immigré en Israël.
L’immigration vers Israël est en hausse, passant d’une moyenne de 210 nouveaux arrivants sud-africains en Israël entre 2012 et 2016 à près du double au cours des six années suivantes. Des centaines d’autres ont émigré ailleurs grâce à leurs passeports de Lituanie, un État membre de l’Union européenne, d’où sont originaires la majorité des Juifs sud-africains.

De nombreux Juifs restent néanmoins sur place, au sein de communautés dynamiques et robustes, a déclaré Michael Kransdorff au Times of Israel par téléphone.
« Beaucoup d’entre nous ont encore une vie confortable ici », a-t-il ajouté, précisant qu’il ne craint pas de porter une kippa dans les rues de Johannesburg.
« La situation ne ressemble en rien à ce que l’on observe dans les capitales occidentales du monde, en Australie, etc. Nous n’avons pas eu à déplorer d’incidents physiques violents », a souligné Shulman au sujet des niveaux d’antisémitisme en Afrique du Sud.
Les prochaines élections de l’été 2024 offrent la promesse d’un changement positif à la fois pour l’économie et pour les liens bilatéraux avec Israël, a ajouté Shulman. « Ils pourraient être rétablis » d’après lui.
Il a néanmoins précisé qu’il doutait que cela puisse se faire tant que l’ANC est « au gouvernail ».
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