Alors que Smotrich bloque des fonds, des maires arabes israéliens crient au racisme
Selon le maire d'Umm al-Fahm, le gel de 35 milliards de shekels destinés au développement de la communauté arabe "exacerbe le cycle de la pauvreté et de la violence"
Mardi après-midi, le ministre des Finances Bezalel Smotrich a tenu une conférence de presse à Jérusalem pour discuter du prochain budget de l’État pour 2025, qui, selon lui, impliquera 35 milliards de shekels d’ajustements fiscaux en conséquence de « la guerre la plus longue et la plus coûteuse de l’histoire d’Israël ».
Vantant son bilan économique, Smotrich a déclaré que ses politiques avaient « maintenu la société et la résilience nationale en vie » et qu’il avait travaillé pour « reconstruire la confiance » après la « crise énorme entre l’État et ses citoyens » causée par la guerre, déclenchée par le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël.
Toutefois, les efforts de Smotrich pour rétablir la confiance n’ont pas porté leurs fruits auprès des représentants de l’importante minorité arabe d’Israël, dont les dirigeants estiment qu’il a sacrifié le bien-être économique de leurs communautés en raison de préjugés.
En juin, la commission nationale des chefs des autorités locales arabes a intenté une action en justice contre le ministre des Finances devant la Haute Cour de justice, alléguant qu’il retenait illégalement des centaines de millions de shekels aux villes arabes du pays, forçant ainsi l’annulation de services municipaux essentiels pour des raisons « racistes ».
Malgré les objections du ministre de l’Intérieur Moshe Arbel, Smotrich retient actuellement 200 millions de shekels destinés au développement économique de la communauté arabe.
« L’effet de ces réductions sur la société arabe est dramatique », a déclaré Samir Mahamid, maire d’Umm al-Fahm, la troisième ville arabe d’Israël, lors d’un entretien téléphonique avec le Times of Israel.
« Les coupes budgétaires entraîneront la réduction des programmes d’éducation et d’affaires sociales qui ont déjà été mis en œuvre, ce qui creusera les écarts et exacerbera le cycle de la pauvreté et de la violence », a-t-il expliqué. Mahamid a affirmé que Smotrich et le ministre ultra-nationaliste de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, avaient imposé leur programme au gouvernement et causaient « d’énormes dommages économiques et sociaux à la société arabe et à la société israélienne dans son ensemble ».
Le ministre d’extrême-droite, Smotrich, a déclaré à la chaîne publique Kan qu’il « reconsidérait » le transfert de fonds en pesant ses « priorités » pour l’argent et les « mécanismes de supervision » en place, arguant que le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu n’est « pas redevable » d’une promesse de la coalition faite par le gouvernement précédent.
Les fonds, destinés à stimuler l’économie, à moderniser les infrastructures et à lutter contre la criminalité dans les communautés arabes, avaient été approuvés en 2021 dans le cadre d’un plan quinquennal de l’éphémère gouvernement d’unité Bennett-Lapid, dont faisait partie la faction islamiste Raam, aux côtés de partis de gauche, centristes et de droite. Il était destiné à remplacer un plan de 2016 adopté sous le mandat de Netanyahu, qui avait alors expiré.
Smotrich, qui a également bloqué le financement de l’année dernière, a fait valoir que l’argent passerait entre les mains de groupes criminels organisés ou serait utilisé pour soutenir des activités terroristes.
Un tel argument est « totalement erroné », a affirmé Fuad Awad, le maire de Mazraa, une ville située à seulement douze kilomètres de la frontière libanaise.
« Ce budget est destiné à l’éducation, aux affaires sociales, aux salaires des travailleurs, au ramassage des ordures et à l’environnement » et, s’il n’est pas remis avant la fin du mois de septembre, sa ville devra réduire ses services de base.
« Nous serons obligés d’arrêter l’éclairage à minuit. Si nous ramassons aujourd’hui les ordures une fois par semaine le dimanche, ce sera désormais une fois toutes les deux semaines. Tous les programmes d’activités extra-scolaires pour les enfants seront supprimés », a déclaré Awad, avertissant que le fait de ne pas allouer correctement des fonds aux villes arabes pourrait provoquer un exode, ce qui aggraverait encore davantage les conditions de vie.
« Ceux qui sont plus aisés quitteront les villes arabes pour les villes juives et ceux qui resteront seront les pauvres et il y aura plus de criminalité et ce sera plus dangereux », a-t-il affirmé, notant que le gouvernement avait déjà annulé des programmes visant à lutter contre la criminalité au sein de la communauté arabe.
La criminalité dans la communauté arabe a grimpé en flèche ces dernières années, avec plus d’Arabes tués dans des homicides en 2023 que dans n’importe quelle année précédente, selon Abraham Initiatives, une organisation de coexistence qui suit les statistiques de la criminalité.
Un rapport de la Knesset de 2020 avait révélé que quelque 400 000 armes à feu illégales circulaient en Israël, la grande majorité dans les communautés arabes.
De nombreux dirigeants communautaires accusent la police qui, selon eux, n’a pas réussi à sévir contre les puissantes organisations criminelles et a largement ignoré la violence. Ils pointent également du doigt des décennies de négligence et de discrimination de la part des services gouvernementaux comme étant la cause première du problème.
L’année dernière, le contrôleur de l’État, Matanyahu Englman , avait qualifié la réponse du gouvernement d’inadéquate. Smotrich a, pour sa part, reproché à Ben Gvir de ne pas avoir réussi à freiner l’afflux d’armes dans les villes arabes.
Accusant également Smotrich de racisme, Awad a noté que les fonds qui devaient être transférés dans le cadre du plan quinquennal avait déjà été réduit de 15 % lorsque la Knesset avait adopté le budget 2024 amendé d’Israël en mars.
Continuer à réduire les fonds destinés à la communauté arabe finira par nuire à l’économie nationale, a-t-il affirmé, faisant valoir que « s’il y a moins de criminalité, il y a moins de prisons. Les prisons coûtent de l’argent. Cela cause un grand préjudice aux finances publiques ».
Amir Bisharat, PDG de la commission nationale des chefs des autorités locales arabes, est d’accord avec Awad, insistant sur le fait que de nouvelles coupes budgétaires mettraient en danger « les programmes pour les jeunes à risque, les programmes pour l’éducation, les classes parascolaires, autant de choses que les commissions font pour réduire la violence autant que possible ».
Smotrich prétend « que l’argent va aux organisations criminelles » mais « il se trompe », a déclaré Bisharat, accusant le ministre d’agir « illégalement » parce qu’il agissait « sans le feu vert de la commission des Finances [de la Knesset] ».
Bisharat estime que la Haute Cour finira par infirmer la décision de Smotrich, même si la tendance générale reste négative. Selon lui, alors que les choses avaient commencé à s’améliorer sous le gouvernement précédent, « la montée de l’extrême-droite de Ben Gvir et de Smotrich » a fait d’importants dégâts.
« Nous en voyons aujourd’hui les répercussions », a-t-il déclaré.
Mahamid et Awad ont déclaré que la participation des Arabes aux coalitions gouvernementales était nécessaire pour garantir l’acheminement de l’argent vers leurs communautés.
« Je pense que nous devons envoyer des représentants qui feront partie de la coalition. C’est leur travail de se préoccuper de la société arabe et pour ce faire, ils doivent faire partie de la coalition et recevoir des fonds de la coalition [afin de] combler les lacunes et de faire progresser la société arabe », a déclaré Awad.
« Je pense que chaque député de la société arabe a l’obligation d’influencer et de planifier pour le bien de la société arabe. »
Bisharat a, quant à lui, refusé de se prononcer sur la question, insistant sur le fait que « tout gouvernement, y compris celui-ci, devrait se préoccuper de [tous] ses citoyens ».
« Si nous vivons dans la peur tous les jours, sous une menace existentielle quotidienne, le gouvernement doit s’en occuper sans tenir compte des membres de la coalition », a-t-il déclaré.
Prendre soin des Arabes israéliens n’est « pas une faveur que le Premier ministre doit accorder, mais l’obligation morale d’un État de prendre soin de ses citoyens », a-t-il souligné, arguant que « pour le bien de l’économie, il faut investir dans la société arabe parce que c’est le secteur qui a le plus grand potentiel ».
Le porte-parole de Smotrich a promis une déclaration, mais n’a finalement pas envoyé de réponse officielle.
Il a toutefois recommandé de demander aux politiciens qui se sont entretenus avec le Times of Israel s’ils n’étaient pas « contrariés par le fait que la majeure partie de l’argent des autorités arabes va à des organisations criminelles ».
Les organisations criminelles arabes menacent et extorquent les entrepreneurs et ont fait pression directement sur les municipalités, allant même jusqu’à cibler les maires, mais le porte-parole n’a fourni aucune preuve de son affirmation concernant l’ampleur du phénomène.
Le porte-parole de Smotrich a également envoyé un lien vers un article de Kalman Libeskind affirmant que des millions de shekels de fonds du ministère de l’Éducation destinés au secteur arabe avaient été détournés, et a insisté sur le fait « qu’il y a également des rapports du ministère de l’Éducation ».
La porte-parole du ministère de l’Éducation a indiqué que « l’affaire est en cours d’examen ».