Avec des tables de Seder vides, Nir Oz se prépare à un Pessah triste sans ses otages
Les ex-otages Liat Atzili et d’autres membres du kibboutz réclament la liberté pour leurs proches et amis, disent avoir été abandonnés par le gouvernement depuis le 7 octobre
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Les survivants des attaques du groupe terroriste palestinien du Hamas du 7 octobre sur le kibboutz Nir Oz se sont rassemblés jeudi matin dans le réfectoire du kibboutz, dans lequel une fausse table du seder de Pessah avait été dressée – alors que des dizaines de membres du kibboutz ont disparu.
Pessah sera célébré dans 11 jours. Des membres de familles d’otages, y compris une otage libérée dont le mari a été tué en captivité, ont évoqué les thèmes du printemps et de la liberté, ainsi que l’impossibilité de célébrer cette fête alors que tant de membres sont encore retenus en captivité dans la bande de Gaza.
Ce kibboutz, fondé il y a 69 ans et situé à 2,8 kilomètres de Gaza, a perdu plus d’un quart de ses 400 habitants le 7 octobre, avec 46 personnes assassinées, dont des familles entières, et 71 personnes prises en otage. Quatorze citoyens thaïlandais travaillant à Nir Oz ont également été assassinés ce matin-là.
Aujourd’hui, 187 jours plus tard, 36 habitants de Nir Oz sont toujours retenus en otage et présumés vivants. Les dépouilles de dix autres membres tués en captivité s’y trouveraient également. Fin novembre, quarante membres du kibboutz, kidnappés eux aussi le 7 octobre, avaient été libérés.
Début avril, le corps de l’otage de Nir Oz, Elad Katzir, assassiné en captivité, a été rapatrié en Israël et enterré dans le cimetière du kibboutz.
L’otage libérée Liat Atzili, dont le mari Aviv Atzili, pris en otage, puis assassiné en captivité, a indiqué que, comme elle, Elad Katzir avait été détenu dans un appartement pendant toute la durée de sa captivité.
Cette enseignante d’histoire et d’éducation civique, dont le mari était membre de l’équipe de sécurité du kibboutz, a décrit « l’appartement poussiéreux de Khan Younès » où elle a été enfermée pendant 54 jours.
Elle a déclaré qu’au départ, elle n’avait pas vraiment ressenti de colère face à l’abandon de Nir Oz par le pays le 7 octobre, quand les habitants ont été laissés à eux-mêmes pendant de longues heures jusqu’à ce que l’armée reprenne le contrôle de la situation. Mais l’assassinat accidentel des otages Yotam Haïm, Alon Shamriz et Samar Talalka par l’armée le 15 décembre, et la découverte récente du sort de Katzir, ont « fissuré mon intime conviction ».
« Les otages doivent être libérés en raison de l’obligation morale de l’État [et] les dirigeants doivent démissionner », a affirmé Atzili, qui est également guide au musée de la Shoah, Yad Vashem, à Jérusalem.
« Elad a passé la plupart de son temps en captivité dans un appartement, tout comme moi, mais son histoire s’est terminée de manière tragique. Il ne reste plus beaucoup de temps aux otages. Aucun d’entre eux n’aurait dû mourir, ils auraient dû être ramenés chez eux depuis longtemps ».
Atzili, aujourd’hui veuve et mère de trois enfants, a indiqué qu’elle n’entrerait pas dans le détail de ses réflexions sur l’état de la guerre, mais a mentionné « la faillite morale et la fuite des responsabilités du gouvernement ».
Ses propos ont été repris par d’autres membres de la famille, dont Noam Peri, la fille de l’otage Chaim Peri, qui fêtera son 80e anniversaire en captivité ce week-end.
« Mon père et tous les habitants de Nir Oz se sont battus seuls pendant huit heures le 7 octobre », a déclaré Noam Peri. « Ne parlez pas de cessez-le-feu alors que nos proches sont toujours détenus dans les tunnels. »
Noam Peri a évoqué les nombreuses fois où la famille avait célébré Pessah dans le réfectoire du kibboutz, son père toujours assis en bout de table levant un cinquième verre – en plus des quatre verres de vin traditionnels – en l’honneur de l’équipe de football de Hapoel Tel Aviv.
« Mon père est un homme qui a toujours célébré pleinement sa liberté », a raconté Peri. « Il était toujours à planifier son prochain projet ».
Jeudi, une longue table a été dressée en l’honneur des derniers otages de Nir Oz, avec des chaises en plastique jaune pour chacun d’entre eux, et personne pour apprécier les paquets de matzah, les bouteilles de jus de raisin et les livrets de Haggadah qui avaient été déposés en leur nom.
Des places ont été allouées aux plus jeunes otages, Ariel Bibas, un bambin de maternelle, avec une chaise haute pour son petit frère Kfir, âgé d’un an, à leurs parents Shiri et Yarden, aux otages assassinés de Nir Oz, Tamir Adar et Maya Goren, aux otages Peri et Amiram Cooper, et aux nombreux autres otages toujours portés disparus.
« Ce réfectoire sera vide cette année. Personne ne parlera de liberté parce que personne ne la sent cette année », a indiqué Osnat, l’épouse de Chaim Peri.
Ce sentiment a été répété par tous ceux qui ont pris la parole, y compris Ofri Bibas-Levy, la sœur de l’otage Yarden Bibas.
Ofri Bibas-Levy a mentionné le 33e anniversaire de Shiri Bibas, qui coïncidera avec la nuit du Seder, marquant la date ancienne à laquelle les Hébreux ont été libérés de l’esclavage.
Elle a pleuré doucement en parlant de son neveu, Ariel, qui aurait été autorisé à veiller tard le soir du seder, se joignant à ses cousins plus âgés pour chanter « Ma Nishtana« , les quatre questions qui font partie de la lecture de la Haggadah.
« La liberté leur sera-t-elle accordée ? a demandé Bibas-Levy. « Criez pour la justice, pour l’humanité, libérez ma famille, libérez notre peuple ».
Yael Adar, membre du kibboutz dont le fils Tamir, 38 ans, a été blessé le 7 octobre, pris en otage et tué en captivité, a parlé de ses enfants qui sont la troisième génération du kibboutz, et de sa belle-mère, Yaffa Adar, 80 ans, prise en otage elle aussi et libérée à la fin du mois de novembre.
Adar a décrit leur vie dans le cadre bucolique du kibboutz, où les familles partagent tout ce qu’elles ont. Le samedi 7 octobre devait etre le dernier samedi de la saison des baignades à la piscine du kibboutz.
Tamir est entré dans sa pièce sécurisée avec sa femme et ses deux jeunes enfants tôt ce matin-là lorsque les sirènes des roquettes ont retenti. Quelques minutes plus tard, il a été appelé pour aider à sécuriser le kibboutz avec le reste de l’équipe d’urgence.
« Il a été blessé et pris en otage », a déclaré Adar en pleurant. Elle décrit son fils, qui s’est battu aux côtés de ses amis, comme un héros. Grâce à lui, d’autres assassinats et enlèvements de membres de kibboutz ont pu être évités.
« Du gouvernement, nous n’avons pas reçu un seul mot d’excuse », a affirmé Adar. « Aucune balle n’a été tirée par l’armée, seule notre équipe a été touchée. »
Elle a demandé au gouvernement davantage de soutien, appelant les responsables politiques à venir rencontrer chaque famille pour leur demander comment ils pouvaient l’aider.
« Je pense à tous ceux qui ont perdu la vie », a dit Adar en pleurant. Je n’ai pas besoin de demander ‘Ma Nishtana‘ (‘Qu’est-ce qui a changé’) cette année. L’État d’Israël a abandonné ses frontières, il a abandonné ceux qui faisaient la fête, il a abandonné ses citoyens et Nir Oz, et pour que les choses changent, nous devons ramener les otages à la maison ».