Avichai Mandelblit revient sur les poursuites contre Aryeh Deri
L'ex-procureur-général, déplorant l'absence d'un jugement pour "turpitude morale", juge que le chef du Shas n'a pas promis de se retirer de la politique lors de sa négociation de peine
L’ancien procureur-général Avichai Mandelblit a déclaré lors d’une interview qui a été diffusée dimanche que la longue enquête pénale ouverte contre le leader du Shas, Aryeh Deri, qui avait abouti l’année dernière, avait trop traîné en longueur et il a estimé que le chef du parti ultra-orthodoxe – qui a dû abandonner ses fonctions ministérielles suite à un jugement de la Haute-cour – n’avait jamais convenu de quitter définitivement la vie politique dans le cadre de l’accord conclu avec les magistrats.
Deri avait été reconnu coupable il y a un an de délits fiscaux suite à des investigations qui avaient été lancées en 2016. Malgré sa condamnation, il avait été nommé ministre dans le nouveau gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu à la fin de l’année dernière – une nomination qui a finalement été invalidée par la Haute-cour, donnant le coup d’envoi à une bataille féroce menée par les députés de la coalition qui sont bien déterminés à faire adopter une législation qui permettra de passer outre le jugement rendu par le tribunal et qui autorisera Deri à reprendre ses fonctions.
Le gouvernement prévoit une refonte majeure et très controversée du système judiciaire en général.
Dans des propos tenus devant les caméras de la Douzième chaîne, dimanche, Mandelblit a regretté la manière dont l’enquête consacrée à Deri s’est déroulée.
« Elle a traîné en longueur. Je pense qu’il y a eu un problème avec cette enquête », a dit Mandelblit. « La police et la justice n’ont pas excellé dans ce dossier ».
Ces paroles ont été prononcées dans le cadre d’un entretien plus large accordé par l’ancien procureur-général à la Douzième chaîne, un entretien dont la plus grande partie avait été diffusée jeudi soir. Lors de cette première partie, Mandelblit avait averti que la réforme judiciaire envisagée par le gouvernement équivalait à « un changement de régime » susceptible de détruire le système judiciaire israélien.
Il est difficile de dire quelle raison a amené la chaîne à faire un montage, supprimant les propos sur Deri de l’interview rendue publique la semaine dernière.
Deri était initialement soupçonné de corruption quand l’enquête avait été lancée en 2016 mais Mandelblit avait finalement retenu contre lui des charges moins graves, le mettant en examen pour avoir échoué à déclarer des revenus aux autorités fiscales à deux reprises et pour d’autres délits fiscaux commis lors de la vente d’un appartement de Jérusalem à son frère, Shlomo Deri.
Le chef du Shas – qui avait déjà été condamné à de la prison ferme dans le passé – n’avait écopé que d’une peine avec sursis dans le cadre de l’accord conclu avec Mandelblit. Parce que Deri avait indiqué qu’il allait se retirer de la politique et qu’il avait quitté la Knesset, les magistrats n’avaient pas déterminé s’il devait respecter une période particulière de retrait de la vie publique et renoncer, par conséquent, à toute activité politique pendant un temps donné, comme la loi le prescrit pour des délits plus graves.
Toutefois, la Haute-cour a estimé, le mois dernier, qu’en réintégrant le gouvernement, Deri avait trompé les juges en dissimulant qu’il envisageait un avenir en politique. Elle a cité cette tromperie dans sa décision d’invalider ses nominations en tant que ministre de la Santé et que ministre de l’Intérieur et elle a de surcroît estimé que désigner à des fonctions ministérielles un politicien condamné par la justice à trois reprises était « déraisonnable à l’extrême ».
La Haute-cour a déclaré que Deri avait ainsi donné l’impression à la Cour des magistrats de Jérusalem qu’il se retirait de la vie politique. Deri avait néanmoins repris la barre de la liste électorale du parti Shas en amont des élections de 2022.
Son affirmation qu’il quittait la Knesset – et ostensiblement la politique – « a influencé la procédure criminelle dans le cadre de ces poursuites pour fraude fiscale », a fait savoir la Haute-cour, qui a indiqué que le leader du Shas ne pouvait pas revenir sur le témoignage qu’il avait donné devant une juridiction inférieure sur la base du principe d’Estoppel, selon lequel une partie ne peut se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle a prise antérieurement lorsque ce changement se produit au détriment d’un tiers.
Pendant l’audience consacrée à la plainte qui avait été déposée contre Deri, l’avocat de ce dernier avait déclaré que la Cour des magistrats de Jérusalem avait mal compris les propos tenus par son client, qui avait indiqué qu’il se retirait de la Knesset et qu’il œuvrerait dorénavant à travailler au service du public depuis l’extérieur de l’enceinte du parlement.
Plusieurs juges de la Haute-cour avaient fait part de leur désapprobation pendant l’audience elle-même et notamment Alex Stein, qui avait alors déclaré : « On ne peut pas dire qu’on va se retirer de la vie publique et bénéficier ainsi d’une négociation de peine clémente et, peu après, dire le contraire et être nommé député et ministre. »
Cependant, Mandelblit a estimé dimanche devant les caméras de la Douzième chaîne que jamais l’avenir politique de Deri n’était entré en compte dans le cadre de la négociation de peine.
« Je n’ai jamais entendu un quelconque engagement portant sur un retrait définitif de la vie politique, même temporaire », a dit Mandelblit. « Ce n’est pas entré en compte pendant la négociation de peine et je le dis sans ambigüité. Nous n’en avons pas parlé. C’était à lui de décider s’il restait ministre ou non ».
L’ancien procureur-général a ajouté qu’une fois que Deri aurait pris la décision de rester, il aurait fallu qu’un jugement soit émis sur l’éventuelle dimension de « turpitude morale » de ses crimes, une désignation qui l’aurait obligé à faire une pause de sept ans dans sa carrière politique.
Mandelblit a aussi rejeté les accusations laissant entendre que la négociation de peine aurait été trop clémente.
« L’accord n’a pas été clément. C’était un bon accord. Tout le monde l’a accepté », a-t-il dit.