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Casheroute : Les Juifs canadiens craignent que leur « âge d’or » ne soit révolu

La communauté juive s'engage dans une lutte judiciaire contre les restrictions et l'hostilité découlant de politiques sceptiques à l'égard d'Israël et d'expressions d'antisémitisme

Illustration : Des manifestants organisant un rassemblement pro-Israël devant la synagogue Beth Avraham Yoseph, à Toronto, au Canada, le 8 mars 2024. (Crédit : BAYT)
Illustration : Des manifestants organisant un rassemblement pro-Israël devant la synagogue Beth Avraham Yoseph, à Toronto, au Canada, le 8 mars 2024. (Crédit : BAYT)

Pour Moshe et Leah Appel, un couple juif orthodoxe de Montréal, le Canada a commencé à devenir inhospitalier bien avant le 7 octobre.

Mais le déclenchement de la guerre ce jour-là entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza, et la recrudescence de l’antisémitisme qu’elle a suscitée au Canada et au-delà, « ont fait tomber quelques murs » qui retenaient le couple au Canada, a expliqué Moshe, boulanger et père de trois enfants, lors d’une récente interview accordée au Canadian Jewish News à propos de l’alyah – immigration en Israël – de sa famille.

« C’est la réalité à Montréal, où si vous êtes visiblement Juif, vous n’êtes pas en sécurité », a déclaré Moshe au Canadian Jewish News en janvier, à la suite de son déménagement à Jérusalem le mois précédent. Il a cité de nombreux incidents de violence et d’intimidation à l’encontre de Juifs, y compris dans leurs synagogues et leurs écoles.

Si de telles préoccupations ne sont pas rares en Amérique du Nord et ailleurs, certains Juifs canadiens commencent à s’inquiéter de la viabilité même de leur communauté, qui compte quelque 400 000 personnes. Ils craignent pour son avenir face à l’hostilité croissante envers les Juifs dans les rues, à l’antipathie du gouvernement envers Israël et aux réglementations bureaucratiques qui, selon eux, limitent leur capacité à pratiquer leur foi.

Un exemple récent de cette réglementation a été l’introduction par le gouvernement, l’année dernière, de nouvelles limitations liées au bien-être des animaux pour la production de viande casher, ce qui a incité les activistes de la communauté juive à intenter ce mois-ci une action en justice visant à défendre cette pratique.

Quels que soient l’issue et le bien-fondé de l’action en justice, de nombreux Juifs canadiens considèrent toutefois que la mesure relative à la viande casher est une nouvelle preuve que leur société, qu’ils ont longtemps considérée comme une « médina d’or », selon l’expression d’un rabbin, est en train de devenir inhospitalière.

Moshe, Leah Appel et leurs deux enfants peu après avoir immigré du Canada en Israël, en décembre 2023. (Crédit : Moshe Appel)

« Je pense que c’est la première fois que l’on frappe de cette façon à la porte d’une communauté juive », a poursuivi le rabbin N. Daniel Korobkin de Beth Avraham Yoseph de Toronto, la plus grande congrégation orthodoxe de la ville. « C’est un signe que les choses deviennent de moins en moins hospitalières dans ce pays pour sa population juive », a-t-il déclaré au Times of Israel.

La nouvelle réglementation mise en œuvre par l’Agence canadienne d’inspection des aliments interdit de hisser les animaux – en vue de leur abattage – jusqu’à ce qu’ils soient complètement immobiles.

La loi juive orthodoxe – ou halakha – exige que les animaux soient conscients et intacts lorsqu’on leur coupe le cou. Cela exclut le recours à l’étourdissement au moyen d’un boulon dans le cerveau, qui est utilisé pour immobiliser instantanément les animaux dont la viande n’est pas destinée à être casher.

Cet étourdissement permet de traiter la viande non casher beaucoup plus rapidement que la viande casher, ce qui rend la production de viande casher non rentable pour les entreprises concernées.

Illustration : Un homme préparant de la viande dans un abattoir casher. (Crédit : Mosaab Elshamy/AP Photo)

Depuis l’entrée en vigueur des directives, la shehita a complètement cessé dans le plus grand des quatre abattoirs que les producteurs canadiens de viande casher louent sur une base ad hoc pour que les shohtim y produisent de la viande casher, a expliqué Korobkin. Les trois autres ne pourront pas se permettre de continuer longtemps, selon le Center for Israel and Jewish Affairs (CIJA), une organisation qui représente les Juifs canadiens.

La production de viande halal, quant à elle, se poursuit malgré la réglementation, car les communautés musulmanes locales ne considèrent pas l’étourdissement avec des boulons comme un frein à la zabiha, l’équivalent musulman de la shehita. Les animaux utilisés pour la viande halal ont le cou coupé immédiatement après l’étourdissement et sont hissés, immobiles, pour être transformés pendant qu’ils se vident de leur sang.

Prises individuellement, les nouvelles réglementations, qui n’affectent pas la production de viande de poulet casher, n’ont qu’un impact limité sur la disponibilité et le prix de la viande casher. Tant avant qu’après l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, les Juifs canadiens dépendaient en partie de la viande casher importée des États-Unis et d’Amérique latine.

Richard Robertson, directeur de la recherche et de la défense à B’nai Brith Canada, la branche locale de ce groupe juif de défense des droits de l’Homme, a minimisé l’ampleur du problème de la shehita. « Il a un impact isolé sur la vie des Juifs orthodoxes au Canada », a-t-il déclaré.

Des fidèles priant à la synagogue Beth Avraham Yoseph, à Toronto, au Canada, le 24 mars 2024. (Crédit : BAYT)

La Charte canadienne des droits et libertés, a-t-il ajouté, a contribué à « élargir la capacité de notre communauté orthodoxe à pratiquer sa religion sans être entravée par des règles ou des règlements », a-t-il déclaré. Les questions relatives à la shehita, a-t-il ajouté, relèvent d’une « mauvaise compréhension de la pratique » de la part des autorités.

Fière et bruyante depuis 50 ans… et ce n’est pas fini ?

Toronto et Montréal comptent des communautés juives dynamiques dont la croissance – principalement due à l’immigration en provenance d’Europe et surtout de l’ex-Union soviétique – a fait du Canada l’un des six pays dont la population juive était plus importante en 2020 qu’un demi-siècle plus tôt. Les rangs du judaïsme canadien ont augmenté de 37 % au cours de ces 50 années, faisant de la communauté la quatrième plus importante au monde, avec plus de membres de base que dans toute l’Amérique latine réunie.

L’alyah, qui est souvent le signe d’un malaise dans les communautés juives, est relativement faible par rapport à la taille de la communauté juive canadienne, avec une moyenne de 361 olim hadashim – nouveaux immigrants – canadiens par an pour les années 2018-2023 (une baisse de 10 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes).

Illustration : Des manifestants anti-Israël brandissant des drapeaux palestiniens lors d’une manifestation à Toronto, au Canada, le 9 octobre 2023. (Crédit : Cole Burston/AFP)

Robertson, 33 ans, a déclaré qu’il avait confiance en l’avenir du judaïsme canadien.

Cependant, le calendrier de la réglementation sur les viandes, qui coïncide avec des préoccupations concernant l’avenir à long-terme des Juifs canadiens, est perçu par certains comme un signe avant-coureur de temps plus sombres. De nombreux Juifs canadiens considéraient leur pays comme un refuge contre les problèmes qui paralysent la vie juive ailleurs en Occident, et même contre ceux qui affectent la minorité juive des États-Unis.

« Dans toutes les sphères de la vie juive canadienne, il y a maintenant des attaques », a déclaré Frank Dimant, ancien directeur-général de B’nai B’rith Canada. « Plus rien n’est interdit : synagogues, écoles juives, institutions juives. Ils peuvent tous être attaqués à tout moment », a-t-il déploré.

La semaine dernière, un cinéma canadien de Hamilton, dans l’Ontario, a reporté indéfiniment un festival de cinéma juif en raison de « problèmes de sécurité et de sûreté » non spécifiés, malgré les protestations de la Fédération juive d’Hamilton.

En novembre, des impacts de balles ont été découverts sur les façades de deux écoles juives de Montréal. La police pense qu’il s’agit d’un acte d’intimidation à l’encontre des Juifs locaux en raison de la guerre menée par Israël contre le Hamas à Gaza.

À l’Université Concordia, trois personnes ont été blessées et une a été arrêtée ce mois-là à la suite d’une agression présumée contre des étudiants pro-Israël.

Lors d’un autre incident, un professeur de l’université voisine de Montréal, Yanise Arab, a été suspendu pour avoir prétendument crié à une manifestante pro-Israël de l’Université Concordia : « Retourne en Pologne, putain ! »

Construire un mur ?

Dimant a déclaré qu’il n’était « pas optimiste » quant à l’avenir du judaïsme canadien, notamment en raison de l’immigration, qui représente près de 500 000 nouveaux immigrants par an au Canada, soit l’un des taux les plus élevés par rapport à la population de tous les pays du monde. En 2023, le Canada comptera huit millions d’immigrants ayant obtenu la résidence permanente, soit environ un cinquième de la population totale.

Environ 1,7 million de ces immigrants sont musulmans, ce qui signifie qu’au Canada, contrairement aux États-Unis, les musulmans constituent un groupe démographique important pour les politiciens et qu’ils sont quatre fois plus nombreux que les Juifs. En Europe, l’arrivée de vagues d’immigration en provenance de pays musulmans a été suivie d’une explosion de la violence antisémite, entre autres problèmes sociétaux.

Le rabbin N. Daniel Korobkin de Beth Avraham Yoseph de Toronto, au Canada, conduisant une voiture de secours offerte à Israël lors d’une visite dans le pays, le 24 janvier 2024. (Crédit : BAYT)

Selon le rabbin Korobkin, des phénomènes similaires sont observés au Canada.

« Une grande partie de ce phénomène est malheureusement liée à la politique d’immigration débridée du gouvernement actuel, qui a permis à des centaines de milliers de personnes originaires du Moyen-Orient d’immigrer sans avoir été contrôlées », a-t-il déclaré.

De nombreux Juifs canadiens soutiennent l’ouverture du gouvernement à l’accueil d’immigrants de pays moins riches, y compris musulmans, et contestent le fait que cela aggrave la situation des communautés juives.

« Il est beaucoup plus facile de blâmer un nouvel arrivant que de déterminer les causes profondes des problèmes systémiques », ont écrit Shelly Markel et Elise Herzig, respectivement présidente et directrice de l’Association Jewish Immigrant Aid Services, basée à Toronto, dans une lettre d’information publiée le mois dernier. Chaque année, leur association organise un Shabbat des réfugiés qui « nous rappelle l’impératif juif de rester engagés dans l’immigration humanitaire », ont-elles ajouté.

Les répercussions de la guerre avec le Hamas

Entre-temps, le déclenchement de la guerre entre le Hamas et Israël a entraîné une agitation anti-Israël au Canada qui n’est pas sans rappeler les scènes des pays d’Europe occidentale où vivent d’importantes minorités musulmanes.

Cette hostilité peut avoir un effet dissuasif sur la vie juive au Canada, mais elle enhardit aussi certains Juifs canadiens à faire preuve de fermeté et à riposter.

« Ces derniers mois, j’ai commencé à porter fièrement mon étoile de David partout où je vais. Et je n’ai plus peur », a déclaré Dinah Elmaleh, une étudiante de Concordia, au Times of Israel.

Dinah Elmaleh, étudiante à l’Université Concordia, sur la « Place des Otages », à Tel Aviv, le 27 décembre 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Pour les Appel, qui ont quitté le Canada pour Jérusalem, l’hostilité n’était qu’une partie de la décision de partir, ont déclaré les Appel au Canadian Jewish News. Alors qu’ils vivaient à Victoria, où ils avaient résidé pendant des années avant de déménager à Montréal dans les mois précédant leur alyah, ils ont rencontré des difficultés pour se procurer des produits laitiers casher pour leur boulangerie. Leah a eu du mal à trouver des vêtements conformes à la tsniout – ou règles vestimentaires de la halakha – à Victoria, qui compte moins de 5 000 Juifs.

Le Québec – la province francophone du Canada, dont la capitale est Montréal – est parfois considéré comme moins accueillant pour les Juifs que le reste du pays, et ce pour plusieurs raisons, notamment à cause de l’agitation anti-Israël et le nationalisme local. (Au Québec, où la plupart des Juifs parlent anglais à la maison, une loi oblige les écoles à enseigner en français, ce qui complique la vie des rabbins non québécois que la communauté doit embaucher pour maintenir sa croissance.)

Selon Korobkin, « ils sont peut-être plus turbulents au Québec contre la population juive », mais cette attitude n’est pas propre à cette province. Le rabbin a décrit les événements au Québec comme des manifestations de tendances nationales inquiétantes.

Après l’assaut barbare du Hamas du 7 octobre, au cours duquel ses terroristes ont assassiné près de 1 200 personnes en Israël et en ont enlevé 253 autres, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a qualifié le Hamas de « terroriste », ajoutant que « personne au Canada ne devrait les soutenir, et encore moins les célébrer ».

Frank Dimant assistant à un rassemblement de solidarité pro-Israël, à Toronto, au Canada, en novembre 2023. (Crédit : Dimant)

Mais son parti libéral et son gouvernement ont depuis pris des mesures qui témoignent de leurs critiques à l’égard d’Israël, dont l’invasion de la bande de Gaza aurait fait plus de 32 000 morts, selon le ministère de la Santé du Hamas. Les chiffres publiés par le groupe terroriste sont invérifiables, et ils incluraient ses propres terroristes et hommes armés, tués en Israël et à Gaza, et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza. Tsahal dit avoir éliminé 13 000 terroristes palestiniens dans la bande de Gaza, en plus d’un millier de terroristes qui ont pris d’assaut Israël le 7 octobre.

Le Parlement canadien a adopté ce mois-ci une motion non contraignante appelant la communauté internationale à œuvrer en faveur d’une solution à deux États pour résoudre le conflit entre Israël et le Hamas. Le Canada a également gelé la vente d’armes à Israël afin de s’assurer qu’elles sont utilisées légalement.

Le gouvernement canadien pourrait adopter une position plus chaleureuse à l’égard d’Israël si les conservateurs battent le Parti libéral de Trudeau lors des élections de l’année prochaine, a souligné Dimant. Mais toute lune de miel avec le contingent pro-Israël de la communauté juive du Canada « sera de courte durée, car le pendule repartira dans l’autre sens, vers la frange woke », a-t-il expliqué. « L’alyah augmentera, en particulier chez les Juifs orthodoxes canadiens. »

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau avant de s’entretenir avec son homologue polonais, à Varsovie, le 26 février 2024. (Crédit : Sergei Gapon/AFP)

Le sentiment anti-Israël se manifeste « littéralement au seuil des portes » des Juifs canadiens, a déclaré Korobkin. Pour la première fois de son histoire, sa synagogue a vu des manifestants anti-Israël devant ses portes ce mois-ci parce qu’elle présentait une expo-vente de biens immobiliers en Israël pour les olim hadashim. C’était « offensant et dérangeant », a déclaré Korobkin à propos des manifestants anti-Israël.

« Ma communauté est terrifiée. Nous sommes intimidés sans cesse par des gens qui protestent devant des bâtiments juifs », a écrit Benjamin Rubin, ancien président de Limmud Toronto, dans son blog du Times of Israel ce mercredi. L’article est intitulé « Swan Song to Canada’s Jewish Golden Age » (« Chant du cygne pour l’âge d’or juif du Canada »).

La combinaison de ces développements est « presque comme un choc pour le système », a déclaré Korobkin.

« C’est la première fois que nous assistons à une convergence de multiples facteurs qui font que les Juifs se sentent très mal au Canada, particulièrement depuis le 7 octobre », a-t-il déploré. « Nous commençons à avoir l’impression que nous vivions peut-être dans un paradis pour les fous et que les choses ne sont pas ce que nous pensions qu’elles étaient. »

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