Comment Khamenei, d’abord décrié, est devenu un guide suprême à la poigne de fer
Successeur inattendu de son mentor, le guide suprême a entretenu des forces paramilitaires, bâti un empire financier, fait des compromis pour la survie du régime... Puis est arrivé le 7 octobre

Depuis presque quatre décennies, l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de l’Iran chiite, œuvre à construire une puissance régionale capable de rivaliser avec les États sunnites du Golfe et implacablement hostile aux États-Unis ainsi qu’à Israël, tout en réprimant les troubles qui secouent fréquemment la République islamique.
D’abord décrié pour sa faiblesse et considéré comme un successeur improbable du défunt fondateur de la République islamique, le charismatique ayatollah Ruhollah Khomeini, Ali Khamenei a progressivement resserré son emprise jusqu’à devenir le décideur incontesté de l’Iran.
Même avant de devenir ayatollah, Khamenei vivait déjà dans l’ombre de Khomeini. S’il a dû lutter pour imposer son autorité religieuse, il s’est constitué un formidable appareil sécuritaire qui lui a permis d’étendre son pouvoir.
Guide suprême incontesté, il a dominé les différents présidents élus, promu un programme d’armement nucléaire qui a perturbé la région et cherché sans relâche à détruire Israël.
Mais depuis que le groupe terroriste palestinien du Hamas, soutenu par Téhéran, a attaqué Israël le 7 octobre 2023 – envahissant le territoire depuis Gaza, massacrant plus de 1 200 personnes et en enlevant 251 autres – l’influence régionale de Khamenei s’est affaiblie.
Israël a pilonné les mandataires de l’Iran : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et les milices en Irak. Le dictateur syrien Bashar el-Assad, proche allié de l’Iran, a quant à lui été renversé.

Les compromis de Khamenei l’ont maintenu au pouvoir
Khamenei, 86 ans, est au pouvoir depuis 1989. Il détient l’autorité ultime sur l’ensemble des branches du gouvernement, l’armée et la justice. Si les responsables élus gèrent les affaires courantes, aucune décision ou politique majeure, en particulier impliquant les États-Unis, ne peut être mise en œuvre sans son approbation explicite.
Son style de gouvernance allie rigidité idéologique et pragmatisme stratégique. Il affiche un profond scepticisme à l’égard de l’Occident, en particulier des États-Unis, qu’il accuse de vouloir un changement de régime. Il peut toutefois accepter certains compromis si la survie de la République islamique est en jeu.
Le concept de « flexibilité héroïque », mentionné pour la première fois par Khamenei en 2013, lui permet de faire des compromis tactiques pour faire avancer ses objectifs, à l’image du choix de Khomeini, en 1988, d’accepter un cessez-le-feu après huit ans de guerre avec l’Irak.
La validation par Khamenei de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 – connu sous l’acronyme JCPOA – passé avec six puissances mondiales est un autre exemple de ce genre. Il visait un allégement des sanctions, nécessaire pour stabiliser l’économie et cimenter son emprise sur le pouvoir.
C’est à ce même dilemme qu’il a été confronté en mars, lorsque Trump a révélé avoir envoyé une lettre à Khamenei pour échanger sur un nouveau pacte nucléaire, et menacé d’action militaire si la voie diplomatique ne suffisait pas à freiner les ambitions nucléaires de Téhéran.
Toutefois, l’Iran continue d’affirmer que son programme nucléaire est pacifique, bien que Téhéran ait enrichi de l’uranium à des niveaux ne correspondant à aucune application civile, ait empêché les inspecteurs internationaux de vérifier ses installations nucléaires et ait considérablement élargi ses capacités en matière de missiles balistiques.

Lors de son premier mandat, Trump avait fait sortir les États-Unis du JCPOA, puis avait réimposé d’importantes sanctions contre l’Iran. Téhéran avait alors réagi en violant progressivement toutes les restrictions énoncées dans l’accord sur son programme nucléaire.
La réponse du guide suprême avait été cinglante :
« Les États-Unis et Israël ont toujours été nos ennemis. Ils menacent de nous attaquer, ce que nous trouvons peu probable, mais s’ils commettent le moindre geste hostile, nous répliquerons certainement avec force », a déclaré Khamenei.
« Et s’ils envisagent de provoquer une sédition dans notre pays comme ces dernières années, le peuple iranien lui-même se chargera d’eux. »
En tant qu’autorité ultime dans le complexe système iranien de régime clérical et de démocratie limitée, Khamenei a longtemps cherché à s’assurer qu’aucun groupe, même parmi ses alliés les plus proches, ne rassemble suffisamment de pouvoir pour pouvoir le défier ou remettre en cause sa position anti-américaine.
Une structure de sécurité fidèle pour étouffer toute rébellion
Dépourvu des références religieuses de Khomeini, Khamenei s’est à maintes reprises tourné vers sa structure de sécurité, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), le bras armé du régime iranien, et vers les Basij, une force paramilitaire et religieuse rassemblant des centaines de milliers de volontaires, pour étouffer les révoltes.
Son pouvoir repose en grande partie sur le Setad, véritable empire financier d’une valeur de dizaines de milliards de dollars. Placé sous le contrôle direct de Khamenei, il s’est considérablement développé sous sa gouvernance.

Des milliards de dollars ont été investis dans le CGRI depuis des décennies, afin de l’aider à renforcer les milices chiites en Irak, au Liban et au Yémen ainsi qu’à soutenir Assad en Syrie.
Ce sont eux qui avaient réprimé les manifestations qui ont explosé après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence, en 2009, dans un contexte d’accusations de fraude électorale. Khamenei les avait approuvés et soutenus, mais il s’était indigné de l’ambition de l’indiscipliné Ahmadinejad par la suite.
En 2022, Khamenei s’était montré tout aussi impitoyable, arrêtant, emprisonnant ou faisant parfois exécuter des manifestants indignés par la mort de la jeune irano-kurde Mahsa Amini, détenue par la police des mœurs du pays.
Des universitaires, en dehors de l’Iran, brossent le portrait d’un idéologue secret craignant la trahison, une crainte alimentée par une tentative d’assassinat en juin 1981 qui a entraîné une paralysie de son bras droit.
Selon sa biographie officielle, Khamenei lui-même a subi de graves tortures en 1963, alors qu’il purgeait sa première des nombreuses peines de prison pour activités politiques sous le règne du Shah d’Iran.
Après la révolution, alors qu’il était adjoint du ministre de la Défense, Khamenei s’était rapproché du CGRI à l’occasion de la guerre entre l’Irak et l’Iran, qui avait coûté la vie à un million de personnes dans les deux camps, entre 1980 et 1988.
Il avait remporté les élections présidentielles, bénéficiant du soutien de Khomeini. Son choix comme successeur, alors qu’il n’avait ni l’adhésion populaire ni les références cléricales supérieures de son prédécesseur, avait provoqué la surprise.
Karim Sadjadpour, du Carnegie Endowment for International Peace, a déclaré qu’un « accident de l’histoire » avait transformé un « président faible en un guide suprême faible, puis en l’un des cinq Iraniens les plus puissants des 100 dernières années ».

Ce n’est qu’au cours des dix-huit derniers mois que « l’Axe de la résistance » qu’il avait créé pour s’opposer à la puissance israélienne et américaine au Moyen-Orient a commencé à s’effriter.
« L’axe de la résistance », est le terme utilisé par les responsables iraniens pour désigner la République islamique et ses alliés anti-Israël, tels que le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, les Houthis du Yémen et d’autres milices chiites en Irak et en Syrie.