Des organisations juives dénoncent l’utilisation d’Auschwitz dans un film Bollywood
Elles demandent que le film « Bawaal » soit retiré de la plateforme de streaming d'Amazon en raison de scènes indélicates ; le réalisateur se dit incompris
JTA – À première vue, le film « Bawaal » a toutes les caractéristiques du mélodrame romantique de Bollywood : un personnage égocentrique apprend à être un adulte et à respecter sa partenaire, le tout sur fond de blagues un brin ringardes et de numéros de chant et de danse.
Mais le film, qu’Amazon Prime a sorti en juillet via un accord de distribution avec la société de production indienne, prend un chemin inhabituel pour arriver ses fins : en effet, le couple marié s’imagine dans le camp de la mort d’Auschwitz.
Lors de la visite d’Auschwitz, ils font la rencontre d’un survivant de la Shoah – interprété par l’acteur Richard Tate – qui leur dit, avec un fort accent britannique et sans aucune explication, « chaque relation a son propre Auschwitz ». Les Juifs, en tant que personnes, sont à peine évoqués dans le film.
Certains critiques ont fustigé le mauvais goût de ce film et une organisation juive a demandé à Amazon de le retirer de sa plate-forme.
Mais réalisateur et acteurs défendent leur film, assurant que les scènes à Auschwitz sont traitées de manière appropriée.
« Je suis un peu déçu de la façon dont certaines personnes l’ont compris », a déclaré le réalisateur Nitesh Tiwari, qui a également co-écrit le scénario avec quatre autres scénaristes, à un public en Inde la semaine dernière.
« Bawaal » suit les aventures d’un professeur d’histoire narcissique nommé Ajay, interprété par la méga-star de langue hindi Varun Dhawan, qui prétend bien connaître les détails de la Seconde Guerre mondiale devant ses étudiants et dont le mariage avec Nisha, sa femme, (Janhvi Kapoor) est au point mort. Pour sauver à la fois son emploi et son mariage, Ajay et Nisha entreprennent un périple en Europe, à la recherche des traces de la guerre. En chemin, Ajay enregistre des vidéos pour ses élèves, restés à Lucknow. (La plupart des dialogues, à l’exception des paroles du survivant, ne sont pas en anglais.)
Ajay prend progressivement conscience des atrocités de la Shoah, que le couple utilise comme une métaphore de leur mariage.
« La Seconde Guerre mondiale est terminée, mais personne ne sait quand la nôtre prendra fin », dit Nisha. Dans une autre scène, le couple établit des parallèles entre une confusion de sacs à l’aéroport et les nazis forçant les Juifs à faire leurs valises avant de partir pour les camps.
Leur périple les conduit à Paris, puis sur les plages de Normandie, chez Anne Frank à Amsterdam et dans le bunker d’Hitler à Berlin. La leçon que donne Ajay à ses élèves sur Anne Frank tourne autour du fait qu’elle avait leur âge quand sa vie a pris fin, celle sur Berlin, après s’être perdu dans le mémorial de la Shoah, est qu’ « une image faite de mensonges et de propagande ne dure pas longtemps ». (« Nous sommes tous un peu comme Hitler », songe Nisha ; « Nous ne sommes pas satisfaits de ce que nous avons. »)
Le voyage se termine à Auschwitz, qu’Ajay et Nisha visitent et dans lequel ils s’imaginent dans la peau de détenus juifs vêtus des uniformes rayés. Dans les chambres à gaz, Nisha, qui souffre d’épilepsie, s’effondre, sous le choc.
C’est la scène principale qui s’est attirée les critiques. Le Centre Simon Wiesenthal, organisation juive de défense des droits de l’Homme, a demandé à Amazon de retirer le film « en raison de l’utilisation outrancière de la Shoah comme ressort scénaristique ».
Un critique du Guardian a expliqué que la scène à Auschwitz était « d’une telle indigence qu’elle était difficile à regarder », ajoutant : « Les films occidentaux se sont déjà aventurés sur ce terrain avec l’histoire d’autres pays, donc c’est une sorte de juste retour des choses. »
Le Hindustan Times l’a qualifié de « film le plus insensible de l’année », ajoutant que la scène dans la chambre à gaz « était épouvantable et proprement honteuse, exploitant l’histoire de la Shoah pour que ses personnages affrontent leurs craintes et tentent de sauver leur mariage toxique ».
« Bawaal » est loin d’être le premier opus de la culture pop à faire preuve d’insensibilité vis-à-vis de la Shoah.
Il y a par exemple le best-seller et le film « Le garçon en pyjama rayé », qui racontent tous deux l’histoire d’amitié entre un détenu juif d’un camp de concentration et le fils d’un garde nazi, une invraisemblance qu’aucune archive historique des camps ne vient étayer.
Le film pour adolescents « Nos étoiles contraires » évoquait une visite de la maison d’Anne Frank – qui, comme dans « Bawaal », faisait office d’aphrodisiaque.
Scénaristes et réalisateurs de « Bawaal » assurent avoir été animés des meilleures intentions et avoir fait preuve de déférence envers les sites historiques, moins connus du public indien.
« Ajay et Nisha ne sont-ils pas complètement troublés et émus par ce qu’ils voient à Auschwitz ? » », essaie Tiwari. « Ils imaginent les détenus. Ils voient de quelle manière on les a en tassés. De quelle manière ils ont été exterminés. Toutes les tortures physiques qu’ils ont endurées. Cela les laisse-t-il de marbre ? Pas du tout. Ils sont émus aux larmes. »
Kapoor, qui joue le rôle de Nisha, ajoute que les personnages réagissent à Auschwitz comme les visiteurs d’aujourd’hui.
« La première fois que je suis allée à Auschwitz, ma première pensée a été : ‘Si j’avais vécu ça, qu’aurais-je fait ? Si j’avais été avec mes proches ?’ », se souvient-elle. « Cela m’a fait prendre conscience de choses importantes. »
Elle dit qu’un « professeur israélien d’une prestigieuse université américaine, dont des proches avaient péri dans la Shoah » lui a confié avoir été « très ému » par le film, « sans mention de scènes blessantes ».
Dhawan ne comprend pas les réactions « déclenchées » par le film, ajoutant : « Je ne comprends pas vraiment cette histoire de manque de sensibilité. Et quand ils regardent un film anglais, qu’en est-il ? ». Il parle, sans le nommer, d’un film « sorti récemment » et qui, selon lui, est « important pour notre culture et notre pays ». Selon des médias indiens, il s’agirait du film « Oppenheimer », le biopic consacré au concepteur juif de la bombe atomique, qui fait référence à la Bhagavad Gita.
Même si le couple du film « Bawaal » se compare aux victimes de la Shoah, il le fait en ayant conscience que leur vie est bien meilleure. « Les difficultés auxquelles nous faisons face », dit Nisha à un moment donné, « ne sont rien en comparaison des souffrances qu’ils ont endurées chaque jour. »