« Dreyfus, vérités et légendes » et autres ouvrages sur l’affaire antisémite
Plusieurs livres publiés ces derniers mois ont pour thème l'antisémitisme et l’affaire Dreyfus, alors qu’est sorti mi-novembre le film "J’accuse" de Roman Polanski
Outre les ouvrages sur le monde juif, Israël ou le Moyen-Orient et les romans et les livres historiques consacrés à la Shoah, aux évènements de 1939-1945 et à l’Allemagne nazie, plusieurs livres publiés ces derniers mois touchent à l’antisémitisme en France ou ont pour thème l’affaire Dreyfus, alors qu’est sorti mi-novembre le film « J’accuse » de Roman Polanski, récompensé par le Grand prix du jury à Venise et nominé 12 fois aux César 2020, dont la cérémonie se tiendra le 28 février.
Parmi ces ouvrages : L’Affaire Dreyfus, vérités et légendes d’Alain Pagès, professeur émérite à la Sorbonne-Nouvelle et spécialiste d’Emile Zola, publié aux éditions Perrin (13 euros).
Si plus d’un siècle s’est écoulé depuis l’affaire Dreyfus, l’actualité judiciaire la rend plus actuelle que jamais. De cet officier juif alsacien condamné à tort en 1894 pour haute trahison aux meurtres d’Ilan Halimi, de Mireille Knoll et de Sarah Halimi et à la récente décision de reconnaître son meurtrier pénalement irresponsable, l’affaire Dreyfus symbolise plus d’un siècle de déni antisémite au sein de la société française. Elle marque également un tournant dans l’histoire judiciaire et militaire et l’histoire de l’antisémitisme en France. « Plus cette affaire est finie, plus il est évident qu’elle ne finira jamais », prophétisait Charles Péguy.
Véritable séisme politique et social, elle a touché pendant une quinzaine d’années toutes les couches de la société. Si on peut penser qu’elle ne recèle plus du moindre secret, Alain Pagès démontre le contraire en se penchant en détails sur vingt-cinq questions. Parmi elles : « Faut-il distinguer plusieurs affaires Dreyfus ? » ; « Les socialistes ont-ils été dreyfusards ? » ; ou encore « L’affaire Dreyfus présente-t-elle encore des énigmes non résolues ? »
Il y répond en analysant avec clarté « l’imaginaire de l’Affaire » – auquel il donne un grand « A » pour appuyer son importance et tant « son contenu semble posséder une valeur généralisable ».
Très documenté – et pourtant relativement concis –, l’ouvrage met en perspective les principaux rebondissements de l’immense « roman-feuilleton » qu’a été l’affaire et tente de démêler les faits véritables des « fake news » de l’époque.
« À une vérité avancée par le camp de ceux qui soutenaient Alfred Dreyfus répondent aussitôt une légende élaborée par le parti adverse. L’invention du faux est inscrite au cœur du processus historique de l’affaire », écrit Pagès.
En décryptant ses ressorts et en choisissant une approche autant judiciaire qu’historique, il apporte ainsi les clés pour mieux appréhender l’antisémitisme contemporain.
Pour poursuivre la lecture sur l’affaire Dreyfus…
Outre le livre d’Alain Pagès, est ressorti J’accuse, la version poche de D. de Robert Harris, qui a inspiré le film de Roman Polanski.
La bande dessinée L’Affaire Zola de Jean-Charles Chapuzet, Vincent Gravé et Christophe Girard raconte elle le déferlement de haine dont a été victime l’écrivain pendant l’affaire, après qu’il a pris la défense du capitaine en 1898. L’œuvre revient sur les conséquences de son engagement, et notamment sur son exil forcé à Londres.
Deux ouvrages aux analyses totalement opposées sont consacrés à Georges Picquart, lieutenant-colonel qui a tenté de réparer l’injustice touchant le capitaine Dreyfus, jusqu’à être emprisonné avant d’être réhabilité et nommé général puis ministre de la Guerre de Georges Clemenceau.
Si dans sa biographie, Christian Vigouroux, haut fonctionnaire français, le présente comme un « héros méconnu », une « figure significative de celles que la IIIe République a su produire pour construire un État de droit », Philippe Oriol, historien spécialiste de l’affaire Dreyfus, le décrit dans son essai comme le « faux ami du capitaine ».
« Le vrai Picquart, c’est un homme qui, s’il a tenté de faire réparer l’erreur judiciaire, l’a fait plus pour préserver l’armée que pour sauver un homme », écrit-il, expliquant également qu’il s’est « acharné sur Dreyfus après sa grâce, faisant courir les plus injurieuses rumeurs ». « Comment cet antisémite obsessionnel est devenu un héros permet de comprendre la manière dont l’histoire de France peut se raconter des histoires, afin de se blanchir… », analyse-t-il.
Un autre colonel, russe celui-ci, qui n’a eu ni son Zola ni son Picquart : Sergueï Miassoïedov, entrepreneur privé qui servait également dans la gendarmerie dans la Russie tsariste et antisémite du début du 20e siècle.
Inspirée de faits réels, son histoire, qui rappelle celle de Dreyfus, est reprise par le romancier polonais Józef Mackiewicz (1902-1985), grand écrivain de la littérature du réel.
Le héros se retrouve accusé d’espionnage pour l’Allemagne après avoir fait des affaires avec des Juifs – il est également accusé de s’être marié avec une femme juive. Condamné à mort, sa femme sera elle aussi inquiétée. Démarrant par les pogroms de 1903, le récit se poursuit jusqu’au bombardement de Dresde par les Alliés en 1945.
Initialement publié en 1962 et inédit en français, le roman est une fresque historique du siècle dernier en Europe de l’Est et mêle espionnage et intrigue politique. Fervent anticommuniste, Mackiewicz a été censuré et interdit par le régime communiste de 1945 jusqu’à sa chute en 1990. Il a ainsi vécu une large partie de sa vie en exil et son œuvre, qui mérite d’être découverte, est restée relativement peu connue.
Plus de livres sur l’histoire de l’antisémitisme et le discours raciste en France…
Philosophie de l’antisémitisme, ouvrage magistral et historique sorti initialement en 1985 et dont l’auteur Michaël Bar-Zvi est décédé en 2018, a été réédité. Il est suivi d’un texte de postface intitulé Que signifie haïr les Juifs au XXIe siècle ? de Pierre-André Taguieff. Dans son livre, Bar-Zvi, professeur de philosophie franco-israélien qui a fait de sa spécialité les liens entre pensée juive et philosophie politique, analyse les différentes formes contemporaines d’antisémitisme.
Ces derniers jours, Pierre-André Taguieff, historien des idées, politologue et directeur de recherche au CNRS, a également sorti Criminaliser les Juifs : Le mythe du ‘meurtre rituel’ et ses avatars (antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme). Il s’intéresse là aux présumés « meurtres rituels » desquels ont été accusés les Juifs au cours de l’histoire, « de la judéophobie antique à l’antisionisme radical d’aujourd’hui, en passant par l’antisémitisme racial moderne ». Une accusation que « la haine des Juifs n’a certainement rien inventé de pire », écrit-il. Alors que ces récits diffamatoires antisémites n’ont jamais cessé de réapparaître sous diverses formes, Taguieff explique qu’ils permettent aux antisémites de justifier les actes les plus barbares contre les Juifs.
Marek Halter s’inquiète lui aussi de l’antisémitisme dans Pourquoi les Juifs ? Il étudie les accusations qui touchent le peuple juif depuis la nuit des temps et s’interroge sur cette question intemporelle de l’histoire.
« La haine vient de l’ignorance, comme l’écrivait Montaigne. Quelqu’un que je ne connais pas me fait peur. Or, nous entrons dans un monde dominé par la peur. Nous ne savons pas où nous allons », exprime-t-il. « Quand on s’attaque au Juif, c’est que la société ne va pas. Le problème de l’antisémitisme, c’est l’antisémite, pas le Juif. »
Le docteur en sciences politiques Emmanuel Debono s’est lui intéressé à la judiciarisation de la haine dans Le racisme dans le prétoire, antisémitisme, racisme et xénophobie devant la loi. De la première loi antiraciste introduite par le gouvernement Daladier en 1939 (puis abrogée pendant l’Occupation avant d’être réintroduite) à aujourd’hui, l’ouvrage se plonge dans les procédures judiciaires nées de méfaits racistes ou antisémites qui ont ponctué l’histoire de la France contemporaine. De l’antisémitisme nazi à l’antisionisme radical en passant par les différents racismes (anti-Noirs, anti-Arabes ou anti-Blancs), le livre interroge : la condamnation pénale de la parole raciste permet-elle de la combattre ? Comment parvenir à lutter réellement contre le racisme ?
Une question à laquelle Raphael Jerusalmy, diplômé de l’ENS et ancien des services de renseignements militaires israéliens, tente de donner quelques clés dans son Manuel bleu contre l’antisémitisme et la désinformation.
L’enseignante Cloé Korman publie elle Tu ressembles à une Juive, un manifeste dans lequel elle fait la promotion d’un anti-racisme militant et sans concession.
« La France a une vieille tradition de racisme, écrit-elle. Du Code noir à l’islamophobie contemporaine, la mise au ban de certaines populations a pris de multiples formes, souvent tragiques. Pour ma famille, ce fut le Statut des Juifs en 1940 qui marqua la plongée dans l’horreur et entraîna un sentiment d’aliénation durable. »
Le titre de l’ouvrage est extrait d’une phrase prononcée par sa
grand-mère : « Attache tes cheveux sinon tu ressembles à une Juive. » Cette phrase l’a conduite à s’interroger sur elle-même, sur son identité et sur le racisme et l’antisémitisme en France.
Dans Le venin dans la plume, Gérard Noiriel, historien et directeur d’études à l’EHESS, retrace l’histoire du discours raciste et compare la rhétorique du polémiste Eric Zemmour à celle d’Edouard Drumont, « pape » de l’antisémitisme français et ardent anti-dreyfusard, il y a plus d’un siècle.
Il analyse ainsi les prises de position des deux hommes, tentant de « mettre en lumière une matrice du discours réactionnaire ».
« La place qu’occupe Éric Zemmour dans le champ médiatique et dans l’espace public français suscite l’inquiétude et la consternation de bon nombre de citoyens. Comment un pamphlétaire qui alimente constamment des polémiques par ses propos racistes, sexistes, homophobes, condamné à plusieurs reprises par la justice, a-t-il pu acquérir une telle audience ? », s’interroge-t-il dans la présentation de son livre.
Son ouvrage tente aussi de comprendre ce phénomène réactionnaire dans les médias qui, alors même que leurs auteurs prétendent être « censurés », est omniprésent.
Le philosophe français Emile Chartier (1868-1951), dit Alain, humaniste de gauche, attaché aux valeurs républicaines et à l’athéisme – mais montrant pour autant un vif intérêt pour la question religieuse –, a fait de son œuvre un monument de la pensée critique, du rationalisme et de la libre réflexion. Pourtant, durant les dernières années de sa vie, celui que ses élèves surnommaient « l’Homme » est tombé dans un antisémitisme primaire et viscéral – courant à l’époque et qu’il se reprochait lui-même. Il a également fait preuve d’un pacifisme honteux, signe d’aveuglement, se réjouissant de l’armistice de 1940 entre la France et l’Allemagne nazie et rejetant les appels à la Résistance du général de Gaulle. Aujourd’hui peu étudié et lu, Alain a perdu de son aura au lendemain de la guerre et n’est jamais revenu sur ses dérives intellectuelles criminelles.
Alors que la face sombre du penseur a été largement révélée en 2018 lors de la publication de son Journal de 1937 à 1950 (des écrits inédits qui n’avaient pas vocation à être publiés en l’état) et de celle simultanée d’un pamphlet de Michel Onfray, le philosophe André Comte-Sponville se replonge aujourd’hui sur l’antisémitisme et le déclin du philosophe. Dans J’ai cru que c’était un homme, il se questionne : « Comment celui qui écrivait qu’’il n’est permis d’adorer que l’homme’ put-il tomber – tout en se le reprochant – dans l’antisémitisme ? »
« La philosophie, fût-elle humaniste, n’a jamais préservé du pire », explique André Comte-Sponville.
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