Israël en guerre - Jour 623

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En pleine commémoration du génocide, les Circassiens israéliens s’accrochent à leur identité plurielle

Plus de 160 ans après l'expulsion de leur peuple du Caucase, les habitants de Kfar Kama ont su garder leur langue et leur culture tout en adoptant le mode de vie des Israélien musulmans

Les Circassiens commémorent le Jour de deuil circassien à Kfar Kama, le 21 mai 2024. (Avec l'aimable autorisation d'Adam Choshha)
Les Circassiens commémorent le Jour de deuil circassien à Kfar Kama, le 21 mai 2024. (Avec l'aimable autorisation d'Adam Choshha)

KFAR KAMA – Sara Thakoo est la huitième génération de sa famille à vivre à Kfar Kama. Musulmane sunnite non arabe, cette femme âgée de 48 ans parle couramment hébreu, arabe, anglais et surtout, l’adghye, la langue du peuple circassien, dont certains représentants – à commencer par les aïeux de Thakoo -, se sont installés en basse Galilée après avoir fui le Caucase au milieu du XIXème siècle.

Thakoo insiste pour parler adghye avec ses quatre enfants et une partie des clients qui viennent lui acheter du fromage circassien à Elbrus Dairy, sa fromagerie située en plein cœur de Kfar Kama, l’un des deux villages circassiens du nord d’Israël.

Avant d’aller faire ses courses, elle réfléchit en Adghye aux produits dont elle a besoin. Mais au moment de prendre la plume, « j’écris ma liste de courses en hébreu », confie-t-elle au Times of Israel lors d’un récent déplacement à Kfar Kama.

L’identité multiple de Thakoo est le fait de bien d’autres membres de la communauté des 5 000 Circassiens d’Israël, bien décidés à garder leur langue, leurs coutumes et leur mémoire collective.

Chaque année, le 21 mai, Kfar Kama et Rehaniya, l’autre village circassien d’Israël, commémorent leurs morts et la perte de leur patrie sur la mer Noire.

Au milieu du XVIIIème siècle, l’Empire russe revendique la Circassie dans sa tentative d’accéder à la mer Noire, ce qui donnera lieu à des décennies d’attaques brutales par les forces tsaristes qui incendient villes et villages circassiens dont ils tuent ou expulsent les habitants.

Le 21 mai 1864, jour où la Russie se déclare victorieuse, toute résistance semble écrasée : côté circassien, le bilan humain est estimé à 1 million de morts. Expulsés, les survivants mettent le cap sur l’Empire ottoman : la moitié environ mourra de faim ou de maladie en cours de route.

Sara, à gauche, avec son mari Noah Thakoo, dans leur fromagerie de Kfar Kama, le 8 avril 2025. (Diana Bletter/Times of Israel)

Certains d’entre eux s’installent en Turquie ou en Jordanie, d’autres en Galilée, dans ce qui est aujourd’hui Israël.

Lors de la guerre d’indépendance de 1948, les Circassiens font le choix de se battre aux côtés des Juifs, ce qui leur vaudra de faire partie intégrante du pays. Aujourd’hui, les hommes circassiens sont automatiquement appelés sous les drapeaux pour faire leur service au sein de l’armée israélienne, contrairement à la plupart des autres Israéliens musulmans.

Pour autant, il n’y a pas que le 21 mai que Thakoo parle à ses enfants de l’histoire de leurs ancêtres.

« Il faut leur apprendre, pour qu’ils sachent qui ils sont », explique-t-elle.

Fierté locale

Situé dans une vallée de la Galilée, entre le mont Tabor et la mer de Galilée, Kfar Kama a figuré en 2022 sur la liste des « villages touristiques » de l’Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies. Des représentants n’ont toutefois pas pu assister à l’événement aorganisé par l’ONU en leur honneur, l’Arabie saoudite ayant refusé de délivrer des visas à la délégation israélienne.

Peuplé de 3 500 habitants, presque tous circassiens, le village est le reflet de son identité unique, avec ses panneaux en adghye, hébreu et arabe. Nombre de bâtiments datent de l’époque ottomane, avec leurs pierres de basalte sombre et leurs volets verts. Il n’est pas rare de voir des femmes se promener dans ce décor digne d’un livre de contes à bord de voiturettes de golf.

Une famille circassienne se promène à bord d’une voiturette de golf dans les rues de Kfar Kama, le 8 avril 2025. (Diana Bletter/Times of Israel)

Avant que les chiffres ne chutent avec la pandémie de COVID-19 puis la guerre, une trentaine de milliers de touristes venaient chaque année découvrir le village. Ils commencent à revenir.

Situé relativement loin de la frontière libanaise, Kfar Kama n’a subi aucun dégât suite aux mois d’attaques de roquettes, de missiles et de drones lancées par l’organisation terroriste du Hezbollah entre le 8 octobre 2023 et le 24 novembre 2024. La guerre y est pour autant encore bien perceptible car le village a accueilli des familles venues de Rehaniya, à 4,5 kilomètres de là, lors des combats.

« Cette région n’a jamais été en paix », estime Zakaria Napso, le maire de Kfar Kama. « Même si nous revenions dans 1 000 ans, il n’y aurait pas la paix. Ce n’est pas une question de religion. C’est une question de terre. »

Le village espère attirer davantage de touristes avec son projet de nouveau centre touristique, dont une partie au moins pourrait être financée grâce à l’enveloppe de 3,9 milliards de shekels promise par le gouvernement aux minorités circassienne et druze en mars dernier.

Malgré ses sombres perspectives d’avenir, Napso se dit optimiste à « 100 % » quant-à la tenue de sa promesse par le gouvernement.

« Les projets de construction sont d’ores et déjà prêts », ajoute-t-il. « Nous obtiendrons les fonds. »

Il s’empresse de préciser que sa communauté ne se mêle pas de politique nationale.

« Nous nous intéressons surtout à notre village », ajoute-t-il en soulignant fièrement l’absence totale de criminalité dans le village.

« Même si nous sommes de bons combattants, nous ne nous battons pas entre nous », explique Napso.

Zakaria Napso, maire de Kfar Kama, dans son bureau le 8 avril 2025. (Diana Bletter/Times of Israel)

Les Circassiens du monde entier « rêvent de revenir dans leur pays » mais le maire se dit heureux de travailler à l’agrandissement du village pour loger les nouvelles familles circassiennes, lesquelles pourraient s’éloigner de cette communauté insulaire et de son histoire si elles devaient s’installer ailleurs.

« Il nous faut un nouveau quartier pour protéger l’authenticité de notre village », poursuit Napso.

S’accrocher au patrimoine

Préserver la culture circassienne n’est pas « chose aisée », eplique Aibek Napso, cousin du maire et directeur du Centre du patrimoine circassien, qui a ouvert ses portes en 2008.

Aibek Napso sur le balcon du Centre du patrimoine circassien, à Kfar Kama, avec une vue sur la mosquée du village derrière lui, le 8 avril 2025. (Diana Bletter/Times of Israel)

En montrant au Times of Israel les meubles anciens, armes et vêtements traditionnels circassiens qu’abrite le centre, Napso explique que sa mission personnelle rejoint celle du musée, faite de préservation et d’éducation.

« Mon père était très attaché à ses racines circassiennes », confie-t-il.

On estime à sept millions le nombre de Circassiens vivant dans le monde aujourd’hui, avec la plus forte concentration en Turquie. Tout comme en Israël, la diaspora circassienne installée ailleurs accorde une grande importance à la préservation de cette culture unique.

Chaque été, les communautés israéliennes circassiennes organisent un camp d’été de deux semaines pour réunir des jeunes venus de Turquie, de Russie et de Jordanie.

Des membres de la communauté circassienne de Kfar Kama revêtus de vêtements traditionnels en novembre 2007 (Par Andy, Domaine public, Wikimedia)

En Israël, nombre de jeunes Circassiens ont un rapport à leurs racines plus éloigné que celui des générations précédentes, explique le directeur du musée en ajoutant qu’autrefois tous les commerces du village fermaient le 21 mai en raison de la Journée de commémoration du génocide circassien.

« Maintenant, il y a des restaurants, des pizzerias ouverts comme tous les autres jours », poursuit-il. « Les gens devraient pourtant marquer l’arrêt pour rendre hommage à ce qui s’est passé. »

Quelques rues plus loin, dans la fromagerie, Thakoo parle de sa fille, actuellement en sixième. À l’école primaire du village, les élèves suivent les cours en hébreu et ont des cours d’Adghye.

L’adghye, qui s’appuie sur l’alphabet cyrillique, est la langue utilisée à la maison par la plupart des Circassiens et aussi entre voisins. Thakoo explique que lorsque sa fille discute sur WhatsApp avec ses camarades d’école, ils le font dans une troisième langue.

Une rue du village circassien de Kfar Kama, avec une plaque en hébreu, arabe et adghye, le 8 avril 2025. (Diana Bletter/Times of Israel)

« Ils parlent tout le temps en anglais », dit-elle.

Dans sa dernière édition de 2010, l’Atlas des langues en danger de l’UNESCO classait l’adghye comme « vulnérable », soit le niveau de préoccupation le plus bas – signe de l’intérêt des Circassiens pour leur patrimoine –. Ce n’en est pas moins préoccupant.

Circassienne, musulmane et israélienne

La fromagerie est d’ailleurs, quelque part, caractéristique de la rencontre entre les traditions circassiennes et l’Israël moderne.

Thakoo et son mari ont ouvert Elbrouz il y a de cela près de sept ans, à l’issue de 14 ans passés au sein de l’armée israélienne. À l’époque, elle travaillait pour la Banque Hapoalim, la plus grande banque d’Israël.

« Il y a eu un réveil des traditions circassiennes et les touristes ont commencé à veir visiter le village », explique Thakoo. Elle rappele que, déjà, des femmes fabriquaient du fromage circassien chez elles, mais que personne ne le faisait à des fins commerciales, pour le vendre aux Juifs israéliens et aux Arabes curieux venus visiter Kfar Kama. C’est ce qui les a décidés à essayer et ils ont donné à leur fromagerie le nom du plus haut sommet du Caucase.

Mais cette imbrication d’identités et de cultures s’accompagne de difficultés.

Selon Thakoo, certains ont des « préjugés » lorsqu’ils voient son hijab, qui est blanc et a une bordure perlée spéciale, très caractéristique des Circassiens.

Des Circassiens commémorent le Jour de deuil circassien, à Kfar Kama, le 21 mai 2024. (Avec l’aimable autorisation d’Adam Choshha)

« Ils restent méfiants : je comprends le problème entre Arabes et Juifs », poursuit Thakoo. « Je suis musulmane mais je parle couramment hébreu. Il y a des jours où j’ai le sentiment d’appartenir à une minorité et d’autres où je me sens israélienne. »

Les Israéliens, qui viennent de partout, devraient respecter cette identité circassienne aux multiples facettes, estime Napso, le directeur du musée.

« Je fais partie de ce pays », conclut-il. « Je suis circassien, israélien et musulman. Ces trois identités vont de pair et aucune ne prend le pas sur les autres. »

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