« Ensemble, nous vaincrons » ? Les dirigeants israéliens doivent rapidement saisir le message
Difficile de se souvenir d'une période où les liens entre les dirigeants politiques et la Défense étaient si tendus ; ou lorsque l'absence de cohésion stratégique était si périlleuse
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
« Ensemble, nous vaincrons », tel est le slogan que l’on retrouve partout sur les autocollants, les panneaux d’affichage et les banderoles couvrant plusieurs étages d’immeubles. Or, Israël n’est pas uni, et ses dirigeants non plus.
S’il est compréhensible que notre population traumatisée ait des opinions tranchées, alors qu’Israël est confronté à la tâche titanesque de se relever du cauchemar du 7 octobre, cette attitude est impardonnable et extrêmement dangereuse lorsqu’elle émane de dirigeants dont le travail et la responsabilité consistent à remettre la nation meurtrie sur pied.
Deux des trois ministres qui dirigent la campagne contre le Hamas, le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benny Gantz, chef du parti HaMahane HaMamlahti, ont chacun partagé en public leur crainte et leur conviction que la gestion de la guerre par le Premier ministre Benjamin Netanyahu est davantage régie par ses intérêts politiques personnels et étroits que par le bien de cette nation meurtrie.
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C’est à la fois ahurissant et terrifiant.
Il y a deux semaines, Gallant a appelé Netanyahu à prendre les décisions difficiles nécessaires « pour le bien de l’avenir de l’État, nous devons prendre des décisions difficiles – faire passer l’intérêt national avant tout autre intérêt, même si cela nous coûte sur le plan personnel ou politique ».
De son côté, Gantz a promis trois jours plus tard que si Netanyahu choisissait « l’intérêt national plutôt que l’intérêt personnel, sur les traces de Herzl, Ben Gurion, Begin et Rabin », HaMahane HaMamlahti ne quitterait pas la coalition de guerre. Mais dans l’état actuel des choses, Israël « va droit vers les hauts fonds rocheux ». Et, « si vous choisissez la voie des fanatiques et conduisez l’État tout entier dans l’abîme », son parti serait contraint de quitter la coalition dans les plus brefs délais, a ajouté Gantz.
Les frictions sont de plus en plus profondes : les ministres d’extrême droite de la coalition et la plupart de ceux du Likud de Netanyahu sont en profond désaccord avec les dirigeants du ministère de la Défense sur des questions aussi essentielles que la conduite de la guerre, les conditions d’un éventuel accord sur les otages, la conscription des membres de la communauté ultra-orthodoxe, la future gouvernance de Gaza, l’interaction avec l’administration Biden, et j’en passe…
Lors des réunions du cabinet en octobre dernier, certains ministres s’étaient élevés contre l’idée d’une offensive terrestre dans la bande de Gaza, craignant de lourdes pertes pour l’armée israélienne. Or, ces mêmes ministres déplorent aujourd’hui que Tsahal n’ait pas attaqué simultanément la ville de Gaza et Rafah dès le début de l’offensive.
Dans les hautes sphères de certaines branches de l’establishment de la Défense, la position est qu’Israël devrait être prêt à accepter la demande du Hamas de « mettre fin à la guerre » si cela permettait d’obtenir la libération des otages, et que, malheureusement, il paraissait inévitable que le Hamas tenterait une nouvelle attaque de grande envergure à l’avenir ; Netanyahu et ses principaux collègues de la coalition ne partagent cependant pas ce point de vue.
Tsahal a désespérément besoin de plus de soldats. Elle a un besoin urgent des dizaines de milliers de recrues potentielles de la communauté haredi, mais n’a pas la capacité de toutes les intégrer en même temps. Elle ne souhaite pas forcer les jeunes hommes ultra-orthodoxes à s’enrôler et préfère un processus graduel et négocié s’étalant sur plusieurs années. En revanche, le noyau dur de la coalition, qui s’appuie sur ses deux partis ultra-orthodoxes, tient à maintenir l’inégalité actuelle et invente des ruses pour tenter d’empêcher la Cour suprême d’intervenir.
Et ainsi de suite.
La situation actuelle d’Israël est désastreuse et, dans certaines régions, elle s’aggrave.
Le groupe terroriste palestinien du Hamas n’est pas vraiment sincère dans sa volonté de parvenir à un accord pour libérer tous les otages, et ce, même si Israël déclarait la fin de la guerre. Il semblerait au contraire que le Hamas préfère manipuler tout accord futur afin d’obtenir la libération d’un grand nombre de chefs terroristes qui purgent des peines de prison à vie en Cisjordanie. Comme le suggèrent les dernières attaques lancées depuis la région de Tulkarem, en Cisjordanie, contre le village voisin de Bat Hefer, dans le centre d’Israël, et revendiquées avec ferveur par le Hamas, l’objectif de ce dernier vise bien à embraser la Cisjordanie.
בפעם השנייה ביומיים האחרונים: מחבלי חמאס מתעדים את עצמם יורים מאזור טולכרם לעבר בת חפר. אין נפגעים pic.twitter.com/Rp270bEAtE
— Carmel Dangor כרמל דנגור (@carmeldangor) May 29, 2024
Le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran, tire presque quotidiennement des dizaines de roquettes et de missiles sur le nord d’Israël. Près de 50 000 Israéliens ont été contraints de quitter leur domicile depuis le 7 octobre et le ministre de l’Education, Yoav Kisch, a admis mercredi qu’il n’y avait aucune perspective claire de les voir réintégrer leur foyer dans un avenir proche. Tsahal, qui s’efforce d’affaiblir le Hezbollah par des frappes ciblées sur des centaines de terroristes, est prête à tout moment à une escalade potentiellement dévastatrice et se prépare à une opération militaire de grande envergure qu’elle préférerait ne pas avoir à lancer avant d’avoir achevé sa campagne actuelle, extrêmement complexe, à Rafah.
Difficile de se souvenir d’une période où les relations entre la classe dirigeante politique israélienne et son armée et ses services de renseignement étaient si tendues, si désynchronisées et si empreintes de méfiance.
Ou d’une période où de telles frictions et un tel manque de cohésion stratégique menaçaient à ce point l’avenir même de la nation.
« Ensemble, nous vaincrons » ? Soit, mais alors, ressaisissons-nous, pour le bien d’Israël.
Le brouillard égyptien
Cela fait maintenant plusieurs jours que Tsahal fait preuve d’une grande prudence dans la poursuite de son opération visant à prendre le contrôle de la bande frontalière de 14 kilomètres entre Gaza et Rafah.
Il semblait en effet mardi, que les troupes s’étaient déployées sur plus de la moitié de ce que l’on appelle le corridor de Philadelphie. Et mercredi, le conseiller à la Sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, annonçait qu’Israël contrôlait 75 % de la route.
Tsahal aurait également identifié des dizaines de tunnels transfrontaliers par lesquels le Hamas fait passer clandestinement des armes, des composants d’armes, les machines et les matériaux qu’il utilise pour construire son réseau de tunnels, et bien d’autres choses encore.
Mais Tsahal n’en a pas dit plus sur ces découvertes.
Cette politique vise, de toute évidence, à éviter de mécontenter les Égyptiens, déjà très mécontents.
Annoncer au monde qu’Israël s’est emparé de la frontière serait perçu, en Égypte et dans certaines parties de la région, comme un affront à la souveraineté égyptienne. Annoncer au monde la découverte de dizaines de tunnels de contrebande d’armes ferait passer les Égyptiens pour des incompétents.
Il est entendu que les responsables israéliens ont coordonné à l’avance les éléments clés de l’opération de Rafah avec leurs homologues égyptiens. Détailler cette information de manière officielle risquerait également de compliquer les choses pour Le Caire.
L’ambiguïté de la CIJ mal expliquée
À en croire le New York Times, l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) sur Rafah est clair et définitif. Le titre du site web du journal, immédiatement après le prononcé de la décision par les juges, vendredi après-midi, était le suivant : « La plus haute juridiction de l’ONU ordonne à Israël de mettre fin à l’offensive de Rafah ».
Le Wall Street Journal était également certain de ce que les 15 juges avaient ordonné à Israël de faire… mais il différait du résumé du Times : « Le tribunal de l’ONU ordonne à Israël d’arrêter certaines opérations militaires à Rafah« , proclamait le quotidien.
Ces deux journaux sont les plus lus au monde. Ils disposent également tous deux de ressources considérables, d’équipes rédactionnelles importantes et de journalistes parmi les plus intelligents et les plus expérimentés du secteur. Malgré cela, ils ont compris différemment l’arrêt de la CIJ.
Les trois principales agences de presse internationales ont fait écho à la conclusion du Times : La CIJ, selon le langage passe-partout de Reuters, « a ordonné à Israël d’arrêter immédiatement son assaut militaire sur Rafah ». L’Agence France Presse précise dans chaque article que « la CIJ a ordonné à Israël d’arrêter son offensive militaire à Rafah ». Il en va de même pour l’Associated Press, qui a informé tous ses médias abonnés que la Cour « a exigé d’Israël qu’il mette immédiatement fin à son offensive sur Rafah ».
Mais, curieusement, même les articles du Times sur l’ordonnance ne reflètent pas toujours la conviction annoncée dans les titres du quotidien concernant les demandes des juges. Samedi, un article du chef du bureau de Jérusalem s’ouvrait sur les conclusions finales [du tribunal] avec une réserve : « …un jour après ce qui semble avoir été une ordonnance du plus haut tribunal du monde sommant Israël de cesser ‘immédiatement’ sa campagne militaire dans la ville méridionale de Gaza » (c’est nous qui soulignons).
En fait, tout examen un tant soit peu sérieux de l’arrêt de la Cour et des interprétations qui l’accompagnent par ses juges montre à quel point la décision demeure ambiguë.
La phrase clé de la décision stipule qu’Israël « doit immédiatement cesser son offensive militaire et toute autre action dans le gouvernorat de Rafah qui pourrait infliger au groupe palestinien de Gaza des conditions de vie susceptibles de conduire à sa destruction physique, en tout ou en partie ».
Un juge, le Sud-Africain Dire Tladi, a insisté sur le fait que cette formulation, en « termes explicites, ordonnait à l’État d’Israël de mettre fin à son offensive à Rafah ».
Mais quatre autres juges (dont l’Israélien Aharon Barak) ont soutenu qu’il n’en était rien, la vice-présidente de la CIJ, l’Ougandaise Julia Sebutinde, allant même jusqu’à mettre en garde contre le fait que « … cette directive pourrait être interprétée à tort comme imposant un cessez-le-feu unilatéral à Rafah ». C’est tout le contraire, a-t-elle affirmé : « Cette mesure n’interdit pas entièrement à l’armée israélienne de mener des opérations à Rafah. Elle ne fait que partiellement restreindre l’offensive israélienne à Rafah dans la mesure où cette dernière mettrait en danger les droits garantis dans le cadre de la Convention de Genève sur le génocide » (italiques ajoutés).
Les dix autres juges n’ont rédigé aucune interprétation de l’arrêt.
Les 15 juges de la plus haute juridiction du monde sont sans aucun doute capables de prononcer une sentence définitive. S’ils l’avaient voulu, ils auraient pu et auraient simplement dit : « Israël doit immédiatement mettre fin à son offensive militaire à Rafah ». La clarification des raisons d’un tel ordre aurait pu être incluse dans des phrases séparées, précédentes ou suivantes. Au lieu de cela, ils ont élaboré une formulation en trois phrases dont ils contestent eux-mêmes publiquement le sens.
La seule conclusion raisonnable est qu’ils ont été – délibérément – ambigus, témoignant ainsi de leurs propres désaccords. Un état de fait assez lamentable qui nuit profondément à la crédibilité de la Cour elle-même.
Mais ce qui est encore plus lamentable, c’est que dans la plupart des articles de presse, dont ceux des agences de presse et de certains des quotidiens les plus influents du monde, il n’y avait et il n’y a toujours pas d’indice de cette ambiguïté. On n’y trouve seulement des résumés sélectifs, faussement présentés comme définitifs, qui, (sans) surprise, tendent tous vers l’interprétation la plus problématique pour Israël.
Un appel à la mutinerie
Un réserviste israélien, le visage caché, a enregistré une vidéo dans laquelle il appelle à la mutinerie au nom de 100 000 autres réservistes si Israël décidait de mettre fin à la guerre à Gaza, et exige la démission du ministre de la Défense Yoav Gallant, tout en s’engageant à n’obéir qu’aux ordres du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Le réserviste a rapidement été identifié, interrogé et radié des rangs des réservistes.
Affaire classée ? Pas vraiment.
L’aspect le plus dérangeant de cet incident profondément troublant est qu’une des raisons pour lesquelles la vidéo a rapidement fait des vagues, tient au fait qu’elle a été diffusée par un éminent journaliste d’extrême droite, Yinon Magal, et ensuite par le fils de Netanyahu, Yaïr. En d’autres termes, le propre fils du Premier ministre a attisé les flammes d’un appel à la mutinerie au sein de Tsahal et à la loyauté dictatoriale envers son seul père.
Comme Netanyahu père l’a déjà dit par le passé, il ne peut être responsable des paroles et des actes de ses enfants adultes. Il pourrait cependant les condamner sans détours lorsque, comme c’est souvent le cas avec les activités de Yaïr sur les réseaux sociaux, ils sèment la malveillance, sapent l’État de droit et nuisent à l’État d’Israël.
Au lieu de cela, Netanyahu s’est contenté de publier un vague communiqué dans lequel il note qu’il a « mis en garde à plusieurs reprises contre les dangers du phénomène de l’insubordination et de l’attitude permissive à son égard. » Ce communiqué ne mentionne à aucun moment le rôle de son fils dans la diffusion de la vidéo. En fait, il ne mentionne pas du tout la vidéo.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel