La coalition se prépare à faire avancer les « petits » éléments de la refonte judiciaire
Après l’arrêt des négociations, la coalition devrait présenter des projets de loi limitant l'utilisation de la notion de "raisonnabilité" et les pouvoirs des conseillers juridiques
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a promis dimanche – sur fond d’échec des négociations entre la coalition et l’opposition placées sous les auspices du président Isaac Herzog, des pourparlers qui visaient à parvenir à un compromis sur le projet de réforme radicale du système judiciaire israélien – que son gouvernement allait faire avancer unilatéralement les législations visant à ancrer définitivement dans le marbre de la loi des éléments clés de son projet de refonte du système judiciaire.
Netanyahu n’a pas précisé quelles parties du vaste programme de réforme judiciaire de son gouvernement il voulait faire approuver mais plusieurs députés du Likud ont mentionné spécifiquement ces derniers jours deux projets de loi : l’un limitant la capacité du pouvoir judiciaire à examiner les décisions et les nominations du gouvernement au regard de la notion juridique dite de « raisonnabilité », et l’autre limitant l’autorité et le statut des conseillers juridiques du gouvernement. Ces derniers déclenchent fréquemment l’ire de la droite en bloquant les initiatives politiques ministérielles radicales.
Ces deux projets de loi, bien que fondamentaux, ont une portée beaucoup moins grande que d’autres éléments centraux du paquet de réformes de la coalition, des réformes actuellement mises en pause. Parmi ces propositions, l’octroi à une majorité au pouvoir du contrôle presque total sur toutes les nominations judiciaires, la stricte limitation de la capacité de la Haute Cour à protéger les droits fondamentaux, qui se trouverait dans l’incapacité, dans une large mesure, de freiner les abus du gouvernement.
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La chaîne publique Kan a rapporté dimanche que Netanyahu avait informé ses collègues ministres au cours du week-end que le projet de loi initial de la coalition qui visait à donner à cette dernière un contrôle presque total sur la Commission de sélection des juges, une législation fin prête pour ses dernières lectures, ne serait pas adopté sous sa forme actuelle.
Les chefs de file des partis de la coalition se sont réunis lundi pour définir les détails de la législation que le gouvernement présentera.
Lors de la réunion du cabinet de dimanche, Netanyahu a reproché à l’opposition d’avoir fait échouer les efforts déployés pour parvenir à un compromis et il a déclaré qu’en conséquence, le gouvernement ferait avancer les réformes de manière unilatérale – vu qu’il dispose, au moins en principe, des voix nécessaires pour le faire.
« Nous allons nous réunir cette semaine pour prendre des mesures pratiques. Elles seront exécutées de manière pondérée et responsable, conformément au mandat que nous avons reçu pour modifier le système judiciaire », a déclaré le Premier ministre. Une allusion au fait que son bloc, composé de partis de droite et orthodoxes, a remporté une majorité de 64 sièges, sur 120, à la Knesset lors des dernières élections au mois de novembre 2022.
Lorsque le ministre de la Justice, Yariv Levin, l’un des principaux artisans du programme de refonte judiciaire du gouvernement, avait exposé son programme initial de refonte judiciaire en janvier dernier, il avait inclus dans son enveloppe législative des propositions concernant à la fois la notion juridique dite « de raisonnabilité » et le statut des conseillers juridiques du gouvernement.
Mais ces projets de loi n’ont pas été avancés à la Knesset en raison d’objections juridiques – ces mêmes objections dont la coalition souhaite se débarrasser – et de la volonté affichée par le gouvernement de se concentrer sur les changements à apporter à la Commission de sélection des juges et au contrôle juridictionnel, qui avaient été gelés à la fin du mois de mars.
Lors des négociations entre la coalition et l’opposition qui se sont tenues ces deux derniers mois et demi, des compromis concernant l’utilisation de la notion juridique de « raisonnabilité » et concernant le statut des conseillers juridiques auraient été débattus, l’opposition se montrant disposée à faire des concessions sur certains aspects de ces réformes.
Aujourd’hui, alors que les négociations ont été suspendues et que Netanyahu subit de fortes pressions au sein de son parti, le Likud, ainsi que de la part de ses partenaires de la coalition, le Premier ministre et le gouvernement semblent décidés à faire avancer une version de ces réformes de manière unilatérale.
Un changement raisonnable ?
L’utilisation par la Cour suprême de la notion de « raisonnabilité » pour évaluer la validité des décisions politiques et administratives des ministères, départements et agences du gouvernement, ainsi que celle des nominations politiques, est depuis longtemps source de frustration pour les partisans de la réforme au sein de la droite israélienne.
Ce problème avait été illustré en janvier lorsque la Cour suprême avait jugé que la nomination d’Aryeh Deri, leader du parti Shas, à un poste ministériel était « déraisonnable à l’extrême » en raison de ses condamnations pénales antérieures et de sa promesse de quitter la Knesset dans le cadre d’une négociation de peine, en 2022. En conséquence, la Cour avait ordonné à Netanyahu de le limoger.
Dans une autre décision récente, la Haute Cour avait jugé, sur la base de décisions antérieures, que la décision du ministre de la Défense Yoav Gallant d’interdire aux Palestiniens de Cisjordanie de participer à un événement conjoint pour Yom Hazikaron en Israël était « déraisonnable » et elle lui avait ordonné de délivrer des permis d’entrée pour les participants.
Lors des négociations en vue d’un compromis sur la réforme, l’opposition aurait tacitement accepté de réduire le recours par la Cour à la notion juridique de « raisonnabilité » lors du réexamen des politiques gouvernementales et des décisions prises par les représentants élus.
Ce qui aurait permis de soulager en partie la frustration ressentie par les partis de la coalition actuelle face à ce qu’ils considèrent comme une ingérence excessive de la Cour suprême, une ingérence facilitée par son usage de la « raisonnabilité ».
En revanche, l’opposition n’a pas consenti à mettre un terme à l’utilisation, par la Cour, du test de « raisonnabilité » s’agissant de nominations politiques – comme cela avait été le cas de Deri. Une concession sur ce point entraînerait des problèmes politiques pour Netanyahu et pour la coalition, en raison de la position centrale de Deri au sein de la coalition à la tête du parti Shas.
Il reste à voir ce que le gouvernement décidera d’inclure dans la législation relative à cette question ; ce sera l’un des sujets abordés lors de la réunion de lundi entre les chefs des partis de la coalition.
L’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, souvent salué pour avoir été à l’origine – ou décrié, selon les points de vue – de la révolution judiciaire des années 1990, une révolution qui avait renforcé le contrôle judiciaire sur les politiques mises en place par les gouvernements et sur les lois, a déclaré lors d’une conférence à l’université Reichman dimanche soir qu’il serait prêt à accepter des restrictions sur l’utilisation de la notion juridique de « raisonnabilité » lors du réexamen, par les juges, de la politique du gouvernement et des décisions ministérielles – à condition, a-t-il indiqué, que le reste de la législation sur la refonte soit abandonné.
Barak a néanmoins rejeté l’idée d’interdire l’utilisation du principe de « raisonnabilité » concernant les nominations ministérielles et politiques.
Changement concernant les conseillers
La coalition est en train de préparer un projet de loi visant à modifier le statut des conseillers juridiques ministériels.
Cette question a également été abordée lors des négociations de compromis à la résidence du président, mais les points de convergence sur ce sujet ont été moins nombreux.
Les partis de la coalition et les principaux ministres déplorent depuis longtemps le blocage, par les conseillers juridiques ministériels, des initiatives politiques prises par les ministres du gouvernement au motif que ces initiatives seraient contraires à la législation en vigueur.
Le positionnement adopté par les conseillers juridiques ministériels étant contraignant pour les ministres en raison du précédent des arrêts de la Cour suprême en la matière, les partisans d’une réforme du statut des conseillers juridiques ont soutenu que des changements étaient nécessaires afin de permettre aux hauts-responsables de concrétiser les politiques pour lesquelles ils ont été élus.
C’était l’un des principaux objectifs de Levin au début du mandat du gouvernement, et il s’était insurgé contre la procureure générale lorsqu’elle avait bloqué l’avancement du projet de loi en janvier dernier.
Le projet de loi de Levin rendrait les avis des conseillers juridiques non contraignants pour les ministres du gouvernement et transformerait le processus de recrutement des conseillers qui seraient sélectionnés par le ministre lui-même – donnant à leur nomination un aspect farouchement politique.
Actuellement, les conseillers juridiques sont nommés à titre professionnel et ils sont soumis à l’autorité du ministère de la Justice et à celle du procureur général.
Une autre question-clé que Levin et la coalition cherchent à aborder dans cette législation est l’autorisation accordée aux ministres du gouvernement d’obtenir un avis indépendant dans les procédures judiciaires intentées contre les politiques du gouvernement – si le conseiller juridique ou le procureur général doit par ailleurs s’opposer au positionnement adopté par le ministre.
À l’heure actuelle, le procureur général est libre de refuser au ministre l’assistance d’un avocat privé – ce qui signifie que le positionnement du ministre peut ne pas être entendu dans le cadre d’une procédure judiciaire, rendant ainsi très probable l’annulation de la politique ou de l’action mise en cause devant la justice.
Un projet de loi rédigé par le député du Likud Avihai Boaron, qui devrait bientôt être rendu public, rendrait non-contraignant l’avis des conseillers juridiques. Il permettrait aussi au ministre de déterminer la position qu’il souhaite voir représentée dans les procédures judiciaires et il l’autoriserait à faire appel à un conseiller indépendant sans demander la permission du procureur général.
Lors des négociations de compromis menées sous les auspices du président, les seules modifications du statut des conseillers juridiques que l’opposition a été disposée à accepter portaient sur la possibilité de licencier un conseiller par l’intermédiaire d’une commission spécialement formée à cet effet, et sur la limitation de la durée de leur mandat à six ans.
Ynet a également rapporté que l’opposition était disposée à autoriser des changements permettant au ministre d’intervenir davantage dans la nomination des conseillers juridiques et de faciliter la sollicitation d’un conseiller indépendant sans autorisation préalable du procureur général.
Dans une déclaration commune dimanche soir, les partis d’opposition Yesh Atid et HaMahane HaMamlahti ont nié avoir conclu tout accord concret avec la coalition pendant les négociations, que ce soit sur le principe de « raisonnabilité » ou sur les conseillers juridiques ministériels.
« Aucun document portant sur un quelconque accord n’a jamais été transmis avec notre approbation ou à notre connaissance. Il y a de grandes divergences entre les parties en ce qui concerne la notion juridique de ‘raisonnabilité’ et les [conseillers] juridiques », ont déclaré les partis.
Ils ont ajouté que « les mesures unilatérales enterreront le processus de dialogue et causeront des dommages inestimables à l’économie israélienne, sans parler de ceux qu’elles causeront à la sécurité et à l’unité nationales ».
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