Israël en guerre - Jour 433

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Opinion

La Sabra de Marvel, une super-héroïne qui n’est plus si israélienne

A Hollywood, la censure des Juifs n’est pas nouvelle, mais la relégation à des petits rôles voire l’exclusion des écrans n’affaiblissent en rien l'identité de Sabra

Jerry Isaak-Shapiro est titulaire d'une maîtrise en affaires internationales, spécialisée dans l'histoire du Moyen-Orient et la politique étrangère des États-Unis. Il a été enseignant, madrih, directeur de camp, directeur d'école et mentor/coach, et il est convaincu que presque tout peut être vu à travers le prisme du leadership. Il est sioniste depuis toujours et a du mal à choisir entre Sondheim, Motown, Dylan et Kaveret.

Sabra de Marvel. (Crédit : X, anciennement Twitter)
Sabra de Marvel. (Crédit : X, anciennement Twitter)

Inévitablement, nos différentes identités s’entrechoquent, aussi diverses soient-elles. Mon CV est – et j’en suis fier – fait de « Juif ceci » et « Juif
cela ». Des dizaines d’années durant, j’ai enseigné (et étudié) l’histoire juive, le sionisme et la Torah, et au chapitre « Emploi » de ce même CV, on trouve Young Judaea, Hillel, le JCC, la Fédération et plusieurs écoles juives.

Ce n’est pas que j’aie honte de mon passe-temps de toujours (je dis passe-temps, vous parlerez peut-être d’obsession – c’est kif-kif bourricot), mais j’ai préféré ne pas donner une place de choix à « Collectionneur avide de bandes dessinées » dans mon CV. Trait de personnalité qui m’a amené à ranger avec amour des milliers d’ouvrages dans une vingtaine de boîtes de 70 cm, chaque bande dessinée renforcée par du carton puis scellée dans un sac en plastique en polypropylène ou en mylar.

Malgré les stéréotypes que véhicule le genre, ce qui me séduit, dans tout ça, ce sont les messages historiques qu’incarnent personnages et héros, avec un petit h. La plupart des gens connaissent cette réplique de Spiderman : « De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités », reprise par de nombreuses – sinon la plupart – des bandes dessinées destinées au grand public.

La moralité – qui, reconnaissons-le, confine parfois au moralisme – est un aspect important de ce genre. Marvel, DC et les autres grands éditeurs sont attachés à ce que leurs personnages fassent leurs un code de bonne conduite, fût-ce à leurs dépens. Ils sont prêts, pour cela, à perdre leur fortune, renoncer à une vie normale avec amour et famille, faire face à l’animosité de la société qu’ils protègent. Imparfaits et d’une droiture agaçante, ils font preuve de bravoure et d’altruisme.

Dès lors, quelle ironie et déception de lire que Marvel et Disney ont pris la décision très commerciale de taire (irons-nous jusqu’au terme ‘cancel’ ?) l’identité de la super-héroïne israélienne Sabra. Son personnage reste là (elle figurera au générique du prochain Captain America : Le Meilleur des Mondes), mais son histoire a, disons-le, été considérablement modifiée. Ruth Bat-Seraph est désormais l’identité secrète de Sabra : au lieu de travailler pour le Mossad, comme à ses débuts dans la bande dessinée, en 1980, elle est désormais une ex-espionne du programme soviéto-russe Black Widow. D’une manière ou d’une autre, le lien avec la Russie de l’invasion ukrainienne est plus acceptable que celui avec l’Israël de l’après 7 octobre.

Autre ironie : s’il existe bien un secteur du divertissement de masse on ne peut plus juif à ses origines, c’est celui (avec Hollywood et la télévision – mais nous y reviendrons plus tard) des comics, des bandes dessinées.

Des thèses de doctorat se sont penchées sur l’analogie entre l’histoire de Moïse et celle de Superman (la petite fusée est l’arche et le bébé Kal-El envoyé dans l’espace par ses parents est comme Moïse envoyé sur le Nil), et les créateurs des Quatre Fantastiques, de Spiderman, des X-Men, de Captain America, de Superman et de Batman étaient tous juifs (Stan Lee – Stanley Martin Lieber – et Jack Kirby – Jacob Kurtzberg – à l’origine de Captain America, c’est un peu comme si Irving Berlin (Israel Beilin) avait écrit « White Christmas ». La quintessence de l’Amérique écrite et incarnée par des émigrés juifs, que l’on retrouvera sur scène ou dans les comics.

Je me réjouis de l’inclusion des minorités ethniques et religieuses. Contrairement à certains, je n’ai aucun problème avec le programme DEI (Diversité-Équité-Inclusion), sous réserve qu’il soit vraiment et systématiquement inclusif. Par un retournement parfaitement illogique, les Juifs se retrouvent – que ce soit par méchanceté consciente ou aveuglement obscur – exclus de ce mouvement d’inclusion.

Marvel, pour ne parler que de lui, nous a récemment donné Kamala Khan (Miss Marvel), musulmane pakistano-américaine, Maya Lopez, personnage amérindien sourd, Miles Gonzalo Morales, métis de 13 ans et dernière incarnation en date de Spiderman (Spiderboy ?) sans oublier America Chavez, lesbienne et Portoricaine.

Dans les X-Men, Kitty Pryde était toujours dessinée avec un collier Magen David (petit, certes, mais bel et bien là), et Ben Grimm (la Chose dans les Quatre Fantastiques) et Magnéto avaient des ascendants juifs. De toute évidence, c’est le fait d’être israélien qui est devenu… compliqué.

Aux débuts de la télévision, on trouvait un très grand nombre de Juifs en coulisse– à l’écriture, à la production ou à la réalisation – rarement (OK, jamais) à l’écran en tant que héros juif. L’un des personnages de Dick Van Dyke aurait dû être ouvertement juif, mais le principe, non écrit, était de
« penser en yiddish, agir comme un Britannique » – ce qui a fait naître le personnage, WASP par excellence, Rob Petrie. Buddy Sorrel (interprété par Morey Amsterdam) est devenu comédien juif de second plan. C’était beaucoup plus sûr ainsi.

À cette époque, ce sont les dirigeants juifs des Trois Grands – NBC, CBS et ABC – qui évitent consciemment toute représentation de leur propre communauté. Bien avant que DEI ne devienne un acronyme, la télévision des années 60 et 70 était assez composite.

Le genre le plus populaire de l’époque (le polar) ouvre des perspectives ethniques explicites et revendiquées (le Polonais Banacek, le Grec Kojak ou encore Hawk, un Amérindien), propose des représentations positives et parfois nuancées de personnes handicapées (Ironside en fauteuil roulant, l’aveugle Longstreet), âgées (le détective privé Barnaby Jones) ou obèses, comme le détective sans vergogne de Canon. Afro-Américains, femmes, hispaniques. Mais pas de Juifs.

Alors où en sommes-nous ? Côté relations interconfessionnelles. Bridget aimait Bernie, la nounou tombait amoureuse de Maxwell Sheffield, et toute une batterie de comédiens juifs ne pouvait manifestement trouver de partenaires qu’au sein d’autres communautés religieuses. Paul Reiser épousait Helen Hunt dans « Mad About You », et Jackie Mason (!) trouvait l’amour en la personne de Lynn Redgrave dans « Chicken Soup ». N’oublions pas Rhoda Morgenstern pour faire bonne mesure.

Mais aujourd’hui, c’est différent. Marvel et Disney ont délibérément effacé un élément clé de l’histoire de Sabra – et pas pour les besoins de l’intrigue, pas parce que c’est consubstantiel au personnage -, juste pour céder, lâchement, aux récriminations, plus sonores qu’argumentées, de la rue. En 2022 déjà, des voix s’étaient élevées pour dire leur « inquiétude » que le personnage de Sabra soit repris dans le film, sans tenir compte de son histoire. Voilà une analogie intéressante : pour de nombreux « activistes », il ne s’agit pas de savoir où se trouvent les frontières ou quels sont les résultats de la guerre de 1967. Il s’agit de 1948 et de l’existence d’Israël dans son ensemble. Les voix anti-Sabra ne préconisaient pas un alter ego différent (lire : sans lien avec le Mossad) ; Ils voulaient purement et simplement qu’elle soit retirée du film (au sens propre comme au sens figuré). Leurs appels au boycott de ce film n’étaient pas des appels nuancés à une réécriture du scénario.

C’est alors que surgit la quatrième ironie : Walt Disney était un antisémite notoire, qui rivalisait avec Henry Ford en matière de haine des Juifs. Les rênes de la société qui porte son nom ont depuis longtemps été confiées à un PDG juif – le créateur de Mickey Mouse a dû s’en retourner dans sa tombe. Pas sûr que cela ait fait rire l’oncle Walt.

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