Le traditionnel festival de poésie de Metula, ville évacuée du nord, se déplace à Jérusalem
Comme les habitants, le festival a dû mettre le cap sur le sud. Poèmes sur la guerre, le deuil et la renaissance : la guerre a "ouvert la boîte noire" des traumas de nombreux poètes
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Pour la première fois depuis 27 ans, le festival de poésie de Metula n’aura pas lieu à Metula, ville rustique du nord du pays proche de la frontière israélo-libanaise, mais à Jérusalem.
« Ce n’était tout bonnement pas possible cette année », explique Benny Ziffer, codirecteur artistique du festival. « Nous avons connu d’autres années problématiques, mais cette fois-ci, la ville a été totalement évacuée. »
Village de près de 1 500 habitants célèbre pour sa vue sur le mont Hermon et ses chambres d’hôtes pittoresques, Metula est entouré par le Liban sur trois de ses points cardinaux.
Sensible depuis toujours aux tensions à la frontière nord d’Israël, elle s’est transformée en ville fantôme en 2006 lorsque des dizaines de roquettes l’ont frappée lors de la deuxième guerre du Liban.
Depuis octobre 2023, et en raison des tirs ininterrompus de roquette et de drones de la part de l’organisation terroriste du Hezbollah au Liban, ses habitants ont été évacués vers des hôtels et des appartements des villes et villages voisins de Galilée.
En juin, le maire de Metula, David Azoulay, a fait savoir que quarante pour cent des maisons avaient été endommagées et que près de 200 d’entre elles avaient été incendiées ces huit derniers mois.
« Je suis triste », confie la poétesse Karen Alkalay-Gut, qui assiste et se produit au festival depuis ses débuts, et parle d’un melting-pot pour des poètes d’origines et d’influences diverses. « Il est important que le festival ait lieu, que l’on continue de parler culture et que le lien entre les deux reste visible, mais Metula est un endroit très spécial. »
Ce village du nord est toujours incroyablement accueillant, ajoute Alkalay-Gut, avec ses habitants qui assistent aux lectures et « donnent une merveilleuse idée de ce à quoi ressemble la campagne », poursuit-elle.
Le festival, qui se tiendra de mercredi à vendredi cette semaine, sera accueilli par la Maison de la Confédération de Jérusalem, gérée par Effie Benaya, par ailleurs producteur du festival Metula. Certains événements se dérouleront dans les auditoriums du Mishkenot Shaananim et du Khan Theater tous proches, séparés de seulement quelques minutes de marche et rapidement accessibles depuis la Vieille Ville.
Ziffer réfléchit aux avantages d’organiser le festival de poésie dans la ville sainte.
Il y a des avantages évidents, comme l’accent mis cette année sur la poésie de Yehuda Amichai, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du poète, lauréat du prix Israël et amoureux de Jérusalem, où il avait vécu et qui lui avait inspiré de nombreux poèmes.
Le festival de cette année sera l’occasion d’écouter plus de poésie religieuse que d’habitude, avec notamment des œuvres de poètes sionistes religieux que l’on voit habituellement peu au festival de Metula.
Ces poèmes sont le signe d’un courant dominant, cette année, analyse Ziffer, dont témoigne la venue du rabbin Elhanan Nir, poète qui a mis en émoi les milieux religieux israéliens avec son œuvre post-7 octobre, « Nous avons besoin d’une nouvelle Torah », à la recherche de conseils religieux et spirituels pendant la crise.
Dans son poème, il parle de la nécessité d’une nouvelle Torah et d’autres livres de commentaires et de lois juives, ainsi que de nouvelles oeuvres et références culturelles, suite au pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre.
« Désormais, tout comme l’air que nous respirons,
nous avons besoin d’une nouvelle Torah.
Désormais, à bout de souffle, la gorge serrée,
nous avons besoin d’une nouvelle Mishna et d’une nouvelle Guemara…
Nous avons tous été emportés par les fleuves
de Reim et Beeri
Nous n’avons plus ni montagne, ni
tables
Ni Moïse, ni force
Désormais tout
est entre nos mains »
« Les premiers à réagir au 7 octobre et à la guerre sont les poètes, avec des œuvres étonnantes », souligne Ziffer. « Ce sont des poètes auxquels nous accordions peu d’importance : cette guerre a rendu leurs poèmes on ne peut plus importants. »
Les poètes du monde pratiquant sont peu nombreux à avoir participé au festival de Metula, qui se déroule traditionnellement pendant le Shabbat, et dans une atmosphère totalement laïque.
Mais cette année, le festival se tient en semaine, ce qui écarte les problèmes liés au shabbat.
Trois jours durant, le festival fera une place à la poésie sur cette guerre qui a commencé avec le pogrom du Hamas du 7 octobre, avec des poèmes sur le traumatisme et le fait de perdre sa famille, des poèmes d’habitants des kibboutzim du sud ou de soldats, qui parlent de ce qu’ils ont vécu au combat.
Ziffer dit se méfier de la poésie qui réagit immédiatement aux événements dramatiques, estimant que les écrivains ont besoin de temps pour prendre du recul : il trouvé toutefois que la poésie post-7 octobre est plutôt bonne et en phase.
« La guerre a agi comme un déclencheur pour toutes sortes de poètes et les traumatismes de leur passé », estime Ziffer. « Cela a ouvert une sorte de boîte noire, car ils ont écrit sur ce père blessé pendant la guerre des Six Jours, ou ce frère mort au combat. »
Il s’attend à la venue d’un public plus nombreux que d’habitude, à la fois de Tel Aviv et de Jérusalem.
Le festival a affrété des bus pour Jérusalem pour les habitants évacués de Metula et, plus largement, pour les habitants du nord et du sud évacués, grâce à l’aide financière du ministère de la Culture et des Sports, du Mifal Hapayis pour la culture et l’art, de la Fondation de Jérusalem et de la municipalité de Jérusalem.
Ce festival de poésie est totalement gratuit, à l’exception des spectacles qui auront lieu au théâtre Khan, accessibles pour 30 shekels.
Le festival fermera ses portes vendredi après-midi avec un rassemblement de poètes venus des kibboutzim du sud, comme musicien Hemi Rudner, né à Givat Brenner, le poète Israel Neta du kibboutz Beeri, Ruth Sabath, membre du kibboutz Magen, ou encore Iftach Alony et Yotam Amitai, du kibboutz Gvulot.
Ils évoqueront le concept de communauté des kibboutzim et la question de savoir si l’idée de communauté a vécu ou si les atrocités du 7 octobre lui ont insufflé un vrai renouveau.
Il y aura également des hommages à des poètes expérimentés et prolixes, comme Hamutal Bar-Yosef ou Alkalay-Gut, poétesse née en Angleterre et élevée aux États-Unis qui écrit principalement en anglais. Alkalay-Gut prendra part à trois panels, dont un, vendredi, évoquera la poésie et la façon dont de multiples langues se rencontrent et s’entremêlent.
Pour en savoir plus sur les événements et les horaires, consultez le site Internet de la Maison de la Confédération.