L’Égypte a honte d’admettre son incapacité à contrôler Philadelphi – analyste exilée
Dalia Ziada, qui a fui le Caire pour avoir critiqué le Hamas, est lobbyiste contre l'Iran à Washington et explique pourquoi l'Égypte ne veut pas qu'Israël contrôle le corridor
L’un des principaux points de friction dans les négociations de cessez-le-feu, qui piétinent entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas, porte sur le contrôle du corridor de Philadelphi, une bande de terre de 14 kilomètres située le long de la frontière entre la bande de Gaza et la péninsule égyptienne du Sinaï.
La semaine dernière, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a justifié le maintien d’une présence militaire israélienne dans cette zone, la qualifiant « d’impératif stratégique » pour empêcher le groupe terroriste du Hamas de se réarmer, comme il l’a expliqué lors d’une conférence de presse.
Mais tant le Hamas que l’Égypte se sont opposés avec véhémence à la possibilité de voir Tsahal maintenir des effectifs dans le corridor de Philadelphi.
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Si les raisons pour lesquelles le Hamas s’y oppose sont évidentes – le corridor fréquemment désigné comme le « pipeline d’oxygène » de l’organisation terroriste constitue le seul point de contact de Gaza avec le monde extérieur, hormis Israël -, la résistance de l’Égypte en a déconcerté plus d’un, puisque Le Caire partage déjà une longue frontière avec Israël, qui s’étend sur plus de 160 km, au sud de la bande de Gaza.
Dans une récente interview accordée au Times of Israel, l’analyste égyptienne Dalia Ziada s’est montrée très critique à l’égard de la position du Caire.
« Les négociateurs égyptiens devraient aborder Israël sous l’angle de la coopération plutôt que sous celui de la pression », a affirmé Mme Ziada, qui a récemment déménagé à Washington, DC.
« La sécurité nationale de nos deux pays est interdépendante », a-t-elle ajouté. « Israël a aidé l’Égypte par le passé à lutter contre les milices islamistes dans le Sinaï, et la coopération entre les deux pays a été très fructueuse par le passé. Pourquoi l’Égypte ne fait-elle pas de même avec Israël aujourd’hui ? »
Ziada a par ailleurs souligné que la rhétorique adoptée par les médias officiels égyptiens à l’égard du Hamas est devenue plus positive après le 7 octobre. Le Hamas n’est plus considéré comme une organisation terroriste mais comme un « groupe de résistance », même si ses membres ont tué des soldats et des civils égyptiens dans le Sinaï par le passé.
Ziada explique le refus de l’Égypte de coopérer avec Israël sur le corridor controversé par trois raisons : l’opposition des tribus bédouines du Sinaï, l’embarras des dirigeants égyptiens face à leur incapacité à sécuriser leur frontière avec Gaza, et les réactions négatives potentielles de la société égyptienne et du monde arabe dans son ensemble.
Depuis au moins vingt ans, les tribus bédouines du Sinaï profitent de la contrebande de toutes sortes de marchandises, y compris des armes, à destination de Gaza, par le biais de tunnels situés sous la frontière. Malgré les efforts déployés par l’Égypte en 2015 pour inonder et fermer ces tunnels en coopération avec Israël, a expliqué Ziada, les tribus et le Hamas ont trouvé des moyens de reprendre leurs opérations deux ans plus tard, grâce à la complaisance de membres corrompus des forces de sécurité égyptiennes.
Aujourd’hui, « l’Égypte se garde bien de provoquer le courroux des tribus du Sinaï en leur fermant à nouveau leur source de revenus, en particulier dans le contexte de la crise économique actuelle », a précisé Ziada.
Après avoir pris le contrôle du corridor Philadelphi, Tsahal a découvert au cours des derniers mois des dizaines de tunnels menant en Égypte, dont un suffisamment grand pour être emprunté par des véhicules.
Selon Ziada, les autorités égyptiennes chargées de la sécurité ont honte d’admettre que des fonctionnaires corrompus en leur sein ont permis aux tribus de rouvrir les tunnels avec la bande de Gaza.
« Toutes les déclarations officielles provenant d’Égypte insistent sur le fait que les tunnels n’existent pas, malgré les images très claires des tunnels diffusées par Tsahal », a indiqué Ziada. « La découverte de ces tunnels est la preuve que l’armée égyptienne a échoué dans sa mission première, qui est de sécuriser les frontières et de protéger la sécurité nationale de l’Égypte. Maintenant [ils sont confrontés à la possibilité que] les Israéliens vont jouer ce rôle et protéger la frontière à leur place. »
Accepter le contrôle israélien du corridor de Philadelphi aurait un impact négatif sur l’image du président Abdel-Fattah el-Sissi, à la fois en Égypte et dans le monde arabe, où le soutien au Hamas et à la cause palestinienne est largement répandu, a-t-elle encore souligné.
« Cela le fera apparaître comme complice du gouvernement israélien », explique Ziada.
« Le narratif présenté dans les médias arabes n’est pas qu’Israël veut contrôler le corridor de Philadelphi pour empêcher la contrebande d’armes vers le Hamas et éviter un nouveau pogrom comme celui du 7 octobre. Le message est qu’Israël cherche à asphyxier davantage la population de
Gaza », a-t-elle ajouté.
Éluder la colère du public au sujet de la crise économique de l’Égypte
Tout embarras potentiel pour Sissi serait très inopportun à un moment où le pays est toujours plongé dans une grave crise économique. Le mécontentement de la population ne cesse de croître après des années de mauvaise gestion économique, la pandémie du coronavirus et les retombées des guerres en Europe et au Moyen-Orient, non seulement à Gaza, mais aussi au Soudan et en Libye.
L’Égypte peine à relancer le secteur lucratif du tourisme, décimé par des années de troubles, et les attaques des Houthis du Yémen contre les routes maritimes de la mer Rouge ont réduit les recettes du canal de Suez.
En outre, un programme de réformes soutenu par l’Occident et adopté en 2016 a provoqué une flambée des prix en raison des mesures d’austérité. Près de 30 % des Égyptiens vivent actuellement dans la pauvreté, selon les chiffres officiels.
Les citoyens égyptiens doivent faire face à de fréquentes coupures d’électricité pendant les mois d’été, un problème récurrent dans ce pays très peuplé d’Afrique du Nord, laissant les habitants sans climatisation dans la chaleur impitoyable de l’été. Face à cela, des vidéos devenues virales, montrent des citoyens se filmant depuis la nouvelle capitale administrative entièrement éclairée, en cours de construction aux abords du Caire.
تصبحو علي خير يا ارجل شعب واجدع شعب
اسيبكم مع صوت كلكم بتحبوه
ادعوله وادعوا لكل معتقل ربنا يفرج عنهم ويفك كربهم قريبا
اللى يعرف صوت مين يكتب في التعليقات #وصل_صوتك#ثورة_الكرامة_١٣_٩ #جزيرة_الوراق #قياس_الجاهزية_15_9 #الوراق_هتشيل_الضلمة pic.twitter.com/TjjnXHYHON— ????حملة وصل صوتك???? (@Wasal_Sotak2) September 9, 2024
Les appels à manifester n’ont toutefois pas eu d’écho, les habitants craignant la répression. Amnesty International a rapporté en juillet qu’en l’espace de trois semaines, plus de 100 personnes avaient été détenues arbitrairement pour avoir lancé des appels à manifester contre le gouvernement.
Le gouvernement chercherait à détourner la colère de la population en maintenant une position ferme à l’égard d’Israël, explique encore l’analyste en exil.
« Gaza et la cause palestinienne sont une occasion en or pour les dirigeants égyptiens de couvrir leurs échecs économiques internes », a poursuivi Ziada. « Ils ont fortement exagéré leur réaction à ce qui se passe afin de détourner l’indignation de la population vers Gaza. Ils ne veulent pas faire face à une double indignation du public. »
Les graves conséquences de la critique du Hamas
Ziada, militante des droits de l’homme au franc-parler et ex-directrice d’un groupe de réflexion qui promeut la démocratie libérale, a payé un lourd tribut pour avoir condamné publiquement le Hamas dans son pays d’origine.
Au lendemain du pogrom du 7 octobre, Ziada n’a pas mâché ses mots pour critiquer le Hamas, et ceux qui le soutiennent ou justifient ses actions, les qualifiant de « complices de leurs crimes ».
Whoever supports #Hamas or justifies their acts of terrorism is a partner in their crime against the people of #Israel.
???? Raping women, kidnaping the children and the helpless elderly, storming into civilian homes on a religious holiday, and killing unarmed people are acts of… pic.twitter.com/qQBcW1xAP7
— Dalia Ziada – داليا زيادة (@daliaziada) October 9, 2023
Le tollé public a éclaté lorsque, quelques semaines plus tard, Ziada a donné des interviews à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS), un groupe de réflexion israélien, et à la chaîne publique israélienne Kan, dans lesquelles elle a justifié la réponse militaire d’Israël contre le groupe terroriste.
La réaction a été immédiate. Des plaintes ont été déposées auprès des procureurs égyptiens pour qu’elle soit jugée comme espionne pour le compte d’Israël et pour incitation à commettre des crimes de guerre, et elle a reçu des menaces de mort.
Elle a été contrainte de fuir et de s’exiler aux États-Unis en novembre, une décision qu’elle a décrite comme « extrêmement difficile sur le plan émotionnel. C’est comme sortir de sa peau. Mais je n’avais pas le choix ».
Elle vit aujourd’hui à Washington, où elle est devenue Senior fellow au Jerusalem Center for Security and Foreign Affairs, un think tank israélien anciennement connu sous le nom de Jerusalem Center for Public Affairs.
"I support what Israel is doing to eliminate Hamas": A voice not heard every day of Dalia Ziada, the Egyptian researcher who criticizes the terror organization, in an interview to @kaisos1987 #KanIsraelstory pic.twitter.com/SYmDKDE0GP
— כאן חדשות (@kann_news) November 21, 2023
Dans son nouveau rôle, et en coopération avec d’autres militants, elle cherche à présenter aux décideurs une « perspective régionale » et à » influencer le discours général qui a malheureusement été détourné par les islamistes, par les mandataires politiques qataris et iraniens ».
« Il y a un énorme malentendu sur la nature du conflit israélo-
palestinien », a-t-elle expliqué. « Au fond, il ne s’agit que d’un conflit territorial. C’est très similaire, par exemple, au conflit de Chypre. Deux peuples veulent se partager un certain morceau de terre ».
Au fil du temps, toutefois, deux nouvelles couches se sont ajoutées à ce noyau : un conflit régional entre Israël et le monde arabe et, depuis les années 1980, une dimension religieuse en vertu de laquelle le conflit opposerait l’islam au judaïsme.
Ziada affirme qu’après la signature des accords d’Abraham entre Israël et quatre pays arabes en 2020, un changement historique a été enregistré en ce qui concerne les différentes dimensions du conflit.
« Les accords d’Abraham ont montré que les Arabes et les Israéliens peuvent être de bons voisins et de bons amis, indépendamment de ce qui se passe dans le conflit israélo-palestinien. Ils ont dissous la couche du conflit israélo-arabe », a-t-elle déclaré. « Il ne reste que deux couches : le conflit israélo-palestinien sur le terrain, qui est, à mon avis, très limité, et le conflit israélo-islamique, qui est plus important et plus complexe. »
Malheureusement, ce dernier a été alimenté par Al Jazeera et les islamistes. « Mais ce que nous vivons aujourd’hui n’est plus un conflit israélo-arabe », a-t-elle ajouté. « C’est l’Iran contre Israël. L’Iran utilise simplement les Arabes comme des pions contre Israël. »
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