Les Gobelins du jeu ‘Hogwarts Legacy’ d’Harry Potter sont-ils antisémites ?
Avec la sortie du nouveau jeu vidéo, les critiques déplorent encore une fois que ces créatures au nez crochu, dirigeant des banques renvoient aux tropes sur les Juifs et l'argent
JTA — Quand les fans entrent dans le monde de « Hogwarts Legacy, » le nouveau jeu vidéo blockbuster qui est officiellement sorti vendredi, ils se trouvent immergés dans l’univers fictif d’Harry Potter – et face à une caricature antisémite présumée.
Le narratif du jeu se concentre sur une rébellion des Gobelins, dans les années 1890, soit un siècle avant le début des aventures du jeune sorcier. Certaines personnes qui ont pu avoir un aperçu anticipé du jeu, pour leur part, se sont inquiétés – des préoccupations qui avaient déjà été exprimées dans le passé – que les nez crochus et proéminents de ces créatures, à la tête de la banque des sorciers, Gringotts, dans l’univers d’Harry Potter, flirtent avec un trope antisémite célèbre, celui que les Juifs contrôlent le milieu financier dans le monde entier.
D’autres se sont offusqués des points de vue de J.K. Rowling, l’autrice des livres, sur la transidentité, avec des déclarations que certains groupes LGBTQ ont considéré comme transphobes.
Des critiques qui ne semblent pas avoir pesé sur les ventes de « Hogwarts Legacy, » qui occupe la première place du classement sur Steam, le vendeur le plus populaire de jeux vidéos dans le monde. Sur Twitch, une plateforme de streaming de jeux vidéos elle aussi très prisée, le jeu a attiré 1,2 million de concurrents à son apogée – un score qui n’avait jamais été réalisé pour un jeu à un seul joueur.
S’il y a eu des jeux Harry Potter dans le passé, c’est le tout premier jeu vidéo de studio majeur d’Avalanche Software, une filiale de la Warner Bros. Games. Il offre une expérience d’immersion, ce qui enchante les fans qui peuvent se fondre dans un simulateur qui donne au joueur le sentiment de vivre pleinement dans ce monde magique. Il a aussi bénéficié de critiques positives, avec 84 % d’utilisateurs satisfaits sur Metacritic, un site sur lequel les usagers du monde entier peuvent laisser un avis.
Ce jeu sort plusieurs années après les critiques qu’avaient suscité les Gobelins dans le cadre de la sortie des livres et des films de la saga Harry Potter.
Le comédien Pete Davidson avait critiqué Rowling dans le « Saturday Night Live » en 2020, disant qu’elle avait créé un monde où les « petits Gobelins au nez géant » contrôlaient les banques.
Dans un épisode de podcast, en 2021, le comédien Jon Stewart avait indiqué que « vous pouvez monter sur des dragons, avoir une chouette comme animal de compagnie et qui dirige les banques ?… Les Juifs ». Stewart avait ultérieurement déclaré que ses propos avaient été sortis de leur contexte.
Et ces accusations ont refait surface dans les jours qui ont précédé la sortie du jeu vidéo. Jack Doyle, qui écrit pour The Mary Sue, une publication qui déclare être « le guide de la jeune fille geek dans l’univers du divertissement », a écrit que le jeu vidéo « fait revivre les tropes antisémites ».
Doyle a a ajouté que « le jeu semble estimer que ‘le choix moral’ est d’écraser la rébellion des Gobelins, en replaçant par conséquent ces derniers dans un état de soumission ».
Le site internet de « Hogwarts Legacy » précise que « J.K. Rowling n’a pas été impliquée dans la création du jeu », même si ses développeurs « ont travaillé étroitement avec son équipe sur tous ses aspects ». Rowling elle-même ne semble pas avoir évoqué directement les accusations d’antisémitisme.
Rowling a ses défenseurs au sein de la communauté juive – même si certains d’entre eux reconnaissent des connotations antisémites chez les Gobelins. Elle a condamné publiquement et de manière répétée la haine antijuive, en particulier parmi les partisans de l’ancien leader du Labour, Jeremy Corbyn.
Suite aux propos tenus par Stewart, le groupe britannique Campaign Against Antisemitism a fait savoir dans un communiqué que « le portrait des Gobelins dans la saga Harry Potter s’inscrit dans la ligne directe des portraits figurant dans la littérature occidentale dans son ensemble », ajoutant qu’il « témoigne davantage de siècles passés d’antisémitisme chrétien que d’une malice de la part d’artistes contemporains. Nous sommes donc aux côtés de JK Rowling, qui a prouvé, ces dernières années, qu’elle défendait sans relâche la communauté juive ».
Travis Northup, qui a écrit une critique émerveillée sur le jeu sur IGN, un site de journalisme consacré aux jeux vidéos populaires, a pour sa part déclaré à JTA qu’il ne pensait pas que le thème du jeu fasse écho à une théorie du complot.
« L’histoire ne dépeint pas une cabale de Gobelins, maîtres de la banque, qui tentent de s’emparer du monde », a écrit Northup dans un message direct sur Twitter. « Elle porte sur la rébellion d’un Gobelin en particulier face à l’insistance mise par le monde des sorciers sur la nécessité de conserver la magie pour eux et de le pas les autoriser à s’en servir ».
Northup a néanmoins ajouté que « je ne vais certainement pas nier que le portrait fait par le monde des sorciers des Gobelins, de manière générale, a toujours été douteux – même avant ce jeu ». Il a noté qu’il était « difficile » de dire si les inquiétudes portant sur ce portrait « douteux » auraient dû être prises en compte par les développeurs du jeu.
« J’imagine qu’Avalanche a dû travailler dans le cadre du monde établi d’Harry Potter, qui comprend la rébellion des Gobelins », a-t-il expliqué. « Je ne connais pas suffisamment de choses sur la situation là-bas ou sur les libertés de création qu’ils ont été autorisés à prendre ».
Northup a fait remarquer que les concepteurs du jeu « font tout leur possible pour vous faire interagir avec de bons Gobelins qui ne partagent pas l’idéal des mauvais Gobelins ». Il a aussi déclaré que les développeurs avaient aussi placé une femme trans dans le jeu pour « se distancier des points de vue exprimés sur la transidentité par Rowling, très certainement ».
« C’est un monde que beaucoup de gens aiment et je pense que les développeurs ont fait de leur mieux pour le rendre meilleur que ce qu’il était avant Hogwarts Legacy, ce qui est admirable », a écrit Northup.
Yonah Gerber, activiste dans le milieu des jeux vidéos, a estimé que d’autres détails du jeu flirtaient avec l’antisémitisme.
Le jeu comprend ainsi la description d’une corne qui ressemble à un shofar et que « les Gobelins ont utilisée pendant la rébellion des Gobelins de 1612 pour rassembler leurs troupes et pour agacer plus généralement les sorciers et les sorcières », a expliqué Gerber.
« Si c’était la première fois qu’un produit de Rowling était antisémite, ce serait un simple égarement. Mais ce n’est pas le cas », a écrit Gerber sur Twitter. « Même si ce sont des coïncidences, si l’équipe chargée du développement du jeu avait réellement fait en sorte d’éviter des caricatures antisémites, si elle s’était éduquée à ce sujet, ce ne serait pas arrivé. Or, elle a choisi de ne pas s’en préoccuper. Ce n’est pas mieux, vraiment ».
Gerber, qui est Juif, a estimé que c’était « nul » que tant de personnes jouent aujourd’hui au jeu.
« Je ne peux rien faire face au fait que les gens se préoccupent davantage d’un divertissement qu’ils ne se préoccupent des personnes qui sont directement blessées par ce même divertissement », a regretté Gerber.