Marginalisés, les diplomates israéliens menacent de nuire à l’Etat
"Il n'y a plus d'argent" : Le syndicat des employés du ministère des Affaires étrangères blâme Netanyahu pour la crise budgétaire et jure de mettre en place des sanctions
Moins admirés que les soldats de combat à l’uniforme recouvert de boue, ou que les agents des renseignements à l’apparence lisse, le public israélien a tendance à imaginer les diplomates comme des hommes au costume soigné ne faisant rien d’autre que converser poliment dans des réceptions chics, un cocktail ou un verre de champagne à la main.
Mais oubliez, si vous le voulez bien, le champagne. Ces jours-ci, le ministère des Affaires étrangères n’a même pas suffisamment d’argent pour se payer un café.
C’est tout du moins ce que clame le syndicat des employés du ministère.
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Déplorant des salaires médiocres et un budget en chute libre, le syndicat a, une fois encore, cessé de fournir les services consulaires de base et menace de perturber la démocratie israélienne et notamment un voyage prévu par le Premier ministre Benjamin Netanyahu à Tokyo, en signe de protestation contre la détérioration continue de leur cadre professionnel.
Peut-être plus important encore, les mesures de sanctions du syndicat des diplomates visent à porter préjudice à l’économie israélienne en sabotant des accords d’armement pour des montants avoisinant les millions de dollars et en compromettant des itinéraires de vol lucratifs, selon le syndicat.
Le ministère des Affaires étrangères « touche le fond »
Il y a deux problèmes distincts qui touchent l’establishment de la politique étrangère en Israël : le salaire des diplomates mais également le budget médiocre alloué au ministère – qui, selon les politiciens et les analystes, résultent d’une politique délibérée menée par le Premier ministre.
« Netanyahu a systématiquement affaibli le ministère des Affaires étrangères », a déclaré le co-dirigeant de Kakhol lavan, Yair Lapid, ancien ministre des Finances sous Netanyahu, au Times of Israël cette semaine. « Il a supprimé les budgets, sapé son personnel et divisé ses responsabilités pour maintenir le calme parmi ses partenaires politiques. En résultat, les relations étrangères et notre sécurité nationale sont en souffrance. »
Au cours de la dernière campagne électorale, Netanyahu a mis l’accent sur ses réussites en termes de politique étrangère, mais le ministère dont il a été responsable au cours des quatre dernières années « touche le fond », reconnaît Nimrod Goren, le directeur du Mitvim – Institut israélien des affaires étrangères régionales.
« C’est la continuation d’un processus calculé dont l’objectif est d’affaiblir le ministère et de décentraliser ses pouvoirs, ce qui nuit aux capacités israéliennes d’obtenir des résultats politiques et d’améliorer ses relations internationales », accuse Goren. « La crise n’est pas seulement financière mais se reflète également dans cette manière d’empêcher le ministère des Affaires étrangères d’exercer son influence sur les questions déterminantes de la diplomatie. »
Les diplomates ont, eux aussi, le sentiment que leur ministère est sapé – ou plutôt dépouillé de toute pertinence – avec des compétences essentielles qui sont octroyées à d’autres acteurs du gouvernement. Les questions véritablement importantes en politique étrangère, pensent-ils, sont prises en charge par le bureau du Premier ministre, le Conseil national de sécurité ou encore l’agence de renseignement du Mossad.
Pour ne donner qu’un exemple : le mois dernier, le chef du Mossad, Yossi Cohen, a évoqué publiquement l’établissement de « relations officielles » entre l’Etat juif et Oman. Une déclaration que le ministère a refusé de commenter, les diplomates reconnaissant dans des entretiens privés qu’ils n’ont pas été impliqués dans ce processus.
Même les sujets moins importants dont le ministère des Affaires étrangères avait la charge, dans le passé, ont été réalloués : c’est le ministère des Affaires stratégiques qui s’occupe du mouvement de boycott anti-israélien ; le ministère de la Diaspora lutte contre l’antisémitisme et même un dossier tel que le projet maritime mer Rouge-mer Morte, mis en place conjointement avec la Jordanie, se trouve actuellement entre les mains du ministère de la Coopération régionale.
Pas d’argent pour le café, pour l’encre, pour les déplacements en avion
Et pourtant, le combat le plus important des diplomates est celui de l’argent – qu’il s’agisse des salaires ou du budget du ministère des Affaires étrangères.
Au cours des 20 dernières années, les budgets de tous les ministères ont doublé sauf celui des Affaires étrangères qui a été réduit et qui représente aujourd’hui la somme dérisoire de 1,3 milliards de shekels par an, selon Hanan Goder, ambassadeur israélien non-résident au Sud-Soudan et membre du syndicat des employés du ministère.
« Ces derniers temps, nous n’avons pas de budgets pour les activités. On a seulement de l’argent pour payer les locations et les salaires, et parfois les factures d’électricité. Et aujourd’hui, on n’a plus d’argent pour acheter de l’encre pour nos imprimantes. Pas d’argent pour acheter du café. Pas d’argent pour les déplacements », a-t-il expliqué cette semaine au Times of Israël.
Je suis ambassadeur au Sud-Soudan ; je n’ai pas d’argent pour me rendre en avion au Sud-Soudan
L’ambassadeur israélien au Kenya a également la responsabilité de quatre autres pays de la région mais il est dans l’incapacité de s’y rendre en raison du manque de fonds, ajoute Goder.
« Notre envoyé à Helsinki ne peut pas acheter un billet à 60 euros pour faire le voyage de vingt minutes à Tallin, la capitale estonienne, pour exprimer sa solidarité avec la communauté juive là-bas [après la profanation de son cimetière, survenue le mois dernier], déplore-t-il.
« Je suis ambassadeur au Sud-Soudan ; je n’ai pas d’argent pour me rendre en avion au Sud-Soudan », s’exclame-t-il.
Pas besoin de le dire : les diplomates israéliens ont dû geler toutes les activités culturelles, comme les festivals du film ou les visites organisées pour les journalistes étrangers. Mashav, l’agence d’aide au développement, a cessé de verser des subventions.
Plus important, l’Etat juif a cessé de payer ses droits d’adhésion à plusieurs organisations internationales, telles que le Conseil européen, l’Union pour la Méditerranée ou le Programme de développement des Nations unies (UNDP).
« C’est sidérant. On parle là de l’Etat d’Israël – membre de l’OCDE, avec l’un des PIB les plus élevés dans le monde, la start-up nation. On est allés jusqu’à la Lune mais on est dans l’incapacité de payer nos droits d’adhésion à toutes ces organisations », dit Goder.
Pour le moment, Israël ne risque pas l’exclusion de ces organisations qui permettent aux pays d’amasser des arriérés pendant plusieurs années.
« Mais c’est embarrassant. C’est grave », ajoute Goder, en colère.
« Nous ferons tout ce qu’il faut pour faire du bruit »
Cela fait longtemps que les diplomates israéliens déplorent des salaires bas et des conditions de travail médiocres. Tous les deux ou trois ans, ils décident de mettre en place des sanctions habituellement suivies par une grève générale – avec des résultats mitigés.
En 2011, ils avaient bien déjoué la visite prévue en Israël du président russe de l’époque, Dmitry Medvedev, mais les succès ont été rares pour le syndicat des employés du ministère des Affaires étrangères.
Trois ans plus tard, après des semaines de sanctions – qui avaient compris la cessation de tous les contrats passés avec les gouvernements étrangers et la suspension des services consulaires pour les Israéliens de l’étranger – ils avaient fermé le siège du ministère, à Jérusalem, ainsi que 103 ambassades et consulats dans le monde entier, pour la toute première fois de l’histoire d’Israël.
Au mois de novembre 2014, le syndicat de la Histadrout avait, par le biais de ses représentants, signé un accord global avec des responsables du ministère des Finances prévoyant une hausse des salaires pour les diplomates israéliens, un accord qui avait mis ostensiblement un terme au long combat du syndicat.
Mais l’accord n’a pas encore été pleinement mis en œuvre, regrette Goder.
« En tant qu’ancien diplomate, ça me déchire le coeur de voir la manière dérisoire dont l’Etat d’Israël traite son ministère des Affaires étrangères », commente Nadav Tamir, qui était conseiller aux Affaires étrangères du président Shimon Peres.
« Le ministère a des personnels de qualité qui devraient être préservés. Les préjudices continus subis par l’institution nuisent stratégiquement à l’Etat d’Israël », poursuit-il.
Netanyahu veut faire ce qui est bien pour les diplomates mais il n’a tout simplement pas suffisamment insisté pour que l’accord conclu en 2014 soit pleinement mis en œuvre, dit Goder, qui note également qu’il n’a pas le droit, en tant que fonctionnaire, de faire des déclarations politiques – il a d’ailleurs refusé durant notre entretien de désigner un responsable pour la situation lamentable du ministère.
Il y a quelques jours, le syndicat des employés a dit, pour la énième fois, qu’il avait commencé à appliquer des sanctions.
« Nous ferons tout ce qu’il faut pour faire du bruit », jure Goder. Les missions israéliennes en Chine, en Turquie, en Inde et ailleurs n’émettront plus de visas pour les visiteurs potentiels, ce qui a déjà entravé le déplacement d’au-moins une délégation commerciale de haut-rang.
« C’est très efficace, très préjudiciable. Les Chinois vont réduire drastiquement leurs voyages en Israël à cause de ça », explique-t-il. « Nous travaillons pour l’économie israélienne mais nous savons aussi où nous pouvons exercer une influence. »
Le ministère des Affaires étrangères a également cessé de signer des autorisations pour les exportations d’armes. Pour des accords sécuritaires sensibles, la signature d’un responsable du ministère est exigée par la loi.
« Des millions de dollars sont en jeu », selon Goder.
Les diplomates israéliens n’offrent actuellement aucune assistance aux délégations entrantes ou sortantes. Que des dignitaires étrangers veuillent venir au sein de l’Etat juif ou que des responsables israéliens prévoient de se rendre hors des frontières d’Israël, ils devront le faire sans compter sur l’aide du ministère des Affaires étrangères (à l’exception du président Reuven Rivlin, qui s’est rendu en Corée du Sud cette semaine et qui, pour des raisons qui n’ont pas été expliquées, a été épargné par ces sanctions).
Netanyahu, pour sa part, est l’une des principales cibles du mouvement, dit Goder.
« Nous n’allons pas coopérer, nous ne prendrons pas part à des discussions, nous ne ferons rien pour lui venir en aide pour ses prochaines visites », déclare-t-il, notant que le voyage prévu par Netanyahu au Japon à la fin du mois est actuellement « en attente ».
Mais si le dernier mouvement de grève des fonctionnaires du ministère peut fournir une idée de ce qui peut advenir, Netanyahu, nullement troublé par les protestations des diplomates, fera son voyage en le gérant lui-même, si besoin en est, sans l’aide du ministère des Affaires étrangères.
Même le ministre des Affaires étrangères, Yisrael Katz, la personnalité la plus susceptible d’appuyer les demandes des diplomates, semble déterminé à ne pas laisser les sanctions des employés prendre le pas sur les affaires.
Lundi soir, il s’est envolé pour une visite officielle à Washington où il a rencontré son homologue américain, Mike Pompeo, ainsi que d’éminents législateurs américains, mais aussi, fait inédit, son homologue bahreïni.
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