Plongée dans le rap européen gangréné par l’antisémitisme
Entre négationnisme de la Shoah, théories du complot et menaces contre les 'Sionistes', le rap européen fait sauter les tabous de l'antisémite
JTA — Lors d’une chaude journée d’été à Oslo l’année dernière, Kaveh Kholardi a chaleureusement accueilli le public d’un concert organisé par la ville pour célébrer la diversité.
Kholardi, un rappeur norvégien d’origine iranienne populaire, a souhaité aux Musulmans « Eid Mubarak », un mot d’accueil en arabe pour la fête d’Ei al-Fitr qui marque la fin du Ramadan.
Il a demandé s’il y avait des chrétiens présents, souriant en entendant les applaudissements. Et ensuite il a demandé s’il y avait des Juifs.
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« Pu***n des Juifs », a-t-il dit après un petit silence, avant d’ajouter « je plaisantais ».
En Norvège, l’incident a créé un tollé à l’époque et aussi le mois dernier, quand le procureur général du pays scandinave a blanchi le musicien de 24 ans de tout propos raciste, expliquant que son injure aurait pu être dirigée contre Israël.
C’était une interprétation très peu convaincante si l’on considère que Kholardi n’a jamais mentionné l’Etat hébreu sur scène et quelques jours auparavant, il avait tweeté les « Pu*** de Juifs sont si corrompus ».
Dans une perspective européenne plus large, l’incident démontre à quel point la scène rap du continent est devenu un paradis et un espace majeur pour tous les discours racistes que les gouvernements cherchent de plus en plus à restreindre en ligne et dans la rue.
C’est un problème parce que le « rap est un vecteur catastrophique de propagation de l’antisémitisme vers la population la plus enclin à l’être », a déclaré Philipp Schmidt, vice-président en charge des affaires internationales de la Licra, au JTA.
En France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne et ailleurs, des rappeurs se sont essayés au négationnisme de la Shoah, aux théories conspirationnistes antisémites, aux analogies grotesques avec la Shoah et aux menaces contre les « Sionistes ».
« En tant que sous-culture avec des éléments distinctifs contre l’ordre établi, la scène européenne du rap a aidé à faire sauter des tabous sur la rhétorique antisémite tout en évitant la critique imposée aux discours racistes dans les principaux médias », a déclaré Joel Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme, ou LBCA.
Cette rhétorique de haine, y compris sur les Juifs, est courante dans la scène mondiale du rap, même dans son lieu de naissance, aux Etats-Unis, a expliqué Rubinfeld.
Mais alors que l’antisémitisme dans le rap américain tend à aborder des stéréotypes classiques sur l’argent et le pouvoir des Juifs, en Europe, il a pris de l’envergure en « utilisant le conflit israélo-arabe pour mettre de l’huile sur le feu d’un conflit interne », a dit Rubinfeld.
Cela s’explique notamment parce que « la base du rap aux Etats-Unis est une population noire, et, en Europe, ce sont des Musulmans de quartiers pauvres où l’antisémitisme est courant », a-t-il dit.
Ben Salomo, un rappeur juif allemand, a noté cette nouvelle tendance dans un entretien avec la chaîne télévisée Arte en 2017. La question palestinienne prend de l’ampleur dans la scène du rap d’Allemagne, a-t-il déclaré, avec des théories conspirationnistes racistes.
Parler du conflit israélo-palestinien « légitimise, dans leur esprit, les discours de haine contre les Juifs », a déclaré Salomo au sujet de quelques autres rappeurs.
Mais le problème va plus loin que la scène du rap elle-même.
« Le rap reflète la société. Si cette rhétorique ne correspondait pas à ce que les gens pensent vraiment, les rappeurs ne feraient pas ce genre de chansons. Ce sont avant tout des démagogues et des populistes qui font des chansons pour vendre des albums », a déclaré Salomo.
Contrairement aux Etats-Unis, a déclaré Rubinfeld, le rap en Europe devient le point de croisement de l’extrême droite, de l’extrême gauche et des Musulmans antisémites.
Prenez Alain Soral par exemple, un négationniste français de la Shoah d’extrême droite. En 2014, il avait brièvement recruté dans son mouvement Egalité et Réconciliation Jo Dalton, un rappeur noir et défenseur auto-proclamé des « droits des noirs ». Le partenariat n’a pourtant pas fonctionné, et Dalton est parti en se plaignant que Soral était « du côté des fascistes ».
Dans des entretiens, Soral, un nationaliste anti-gay, a qualifié le rap de « merde importée des Etats-Unis » qu’il ne peut pas apprécier parce qu’il est « trop cultivé ». Mais quand il s’agit de répandre la haine anti-juive, il a reconnu, dans un entretien de 2012, que le rap « fait le boulot. C’est efficace ».
Un autre exemple est à chercher dans la publication en janvier sur YouTube d’un « Rap sur les gilets jaunes », un album célébrant le mouvement de protestation lancé l’année dernière en France. La chanson est remplie de références antisémites, et la vidéo officielle montre une scène où l’on brûle les portraits de trois personnalités françaises juives et le logo de la banque Rothschild.
La vidéo a été vue à de nombreuses reprises avant qu’elle ne soit finalement retirée. Elle a été rapidement re-publiée sur YouTube et ailleurs.
https://youtu.be/a_d9Me3tPe4
« Quand nous parlons des médias, nous devons parler de Patrick Drahi qui dirige le show depuis Israël », chantent les paroles avec les images d’un homme portant un t-shirt où l’on peut lire « Palestine » en train de brûler une pancarte où l’on peut lire « Rothschild ». Drahi est un homme d’affaires franco-israélien qui a fondé l’entreprise de câble et télécommunications Altice Groupe.
Les Français « ne toléreront plus ces parasites », le rap montre aussi des images de bannières qui dénoncent « l’emprise de la famille Rothschild sur le pouvoir ».
Cette vidéo, et beaucoup d’autres, montrent comment « dans la scène du rap français, les Juifs sont utilisés comme un visage de haine contre tous les blancs, contre la France elle-même », a déclaré Michel Serfaty, un rabbin français né au Maroc qui dirige l’association pour l’Amitié entre les Musulmans et les Juifs.
Les autorités ont pris conscience de l’incitation à la haine dans le rap. En mars, un tribunal français a mis une amende au rappeur Nick Conrad de 5 000 euros pour un album de 2018 qui commence avec les mots « je vais aller à la crèche tuer tous les bébés blancs, je les attrape en vitesse et je pends leurs parents, je les déchire pour passer le temps, pour divertir les enfants noirs ».
L’explosion du racisme et de l’antisémitisme sur la scène du rap européen a précédé de plusieurs années les manifestions actuelles contre l’austérité.
En Belgique, Bissy Owa a vociféré contre les « Sionistes » lors d’une performance l’année dernière sur une station de radio financée par l’État. Il a aussi interprété son tube « Argent jusqu’à la mort ». Dans sa vidéo officielle, Owa, qui est musulman, danse en portant un chapeau noir et de fausses papillotes en chantant des paroles sur l’avarice juive.
« Je ne peux pas traîner avec un Juif », a-t-il rappé.
Aux Pays-Bas, le célèbre rappeur Ali B, qui a interprété des chansons à l’intronisation en 2013 du Roi Willem Alexander, a publié un album en 2017 où il chante qu’il « est assis sur l’argent comme un Juif » et qu’il « déporte » les femmes cupides.
Un autre rappeur hollandais, Ismo, dont le vrai nom est Ismael Houllich, a lancé sa carrière musicale en 2015 avec un titre où il disait « je déteste plus ces pu***n des Juifs que les Nazis », je « ne serre pas les mains aux fio**es » et « je ne crois en rien d’autre que le Coran ».
Ismo a été condamné à 1 500 euros en vertu d’une loi hollandaise contre les discours racistes, mais sa condamnation n’a pas beaucoup nui à sa popularité. En réalité, l’un de ses autres titres a été en tête de ventes sur la plateforme de musique iTunes aux Pays-bas pendant une semaine en 2015.
Loin de s’excuser, Ismo a accusé ses critiques de le stigmatiser. « Ils essaient de déformer mes paroles pour les retourner contre moi-même, a-t-il dit de ses critiques. Je ne déteste pas tous les Juifs. Je déteste seulement les Juifs sionistes qui ont rendu la Palestine plus petite que mon quartier. Ils veulent prendre chaque mot qu’un Marocain dit et les transformer en quelque chose d’antisémite ».
Egalement en 2014, le rappeur musulman hollandais Hozny a été condamné à une peine de deux mois de prison avec sursis pour avoir menacé d’assassiner la politicien anti-islam Geert Wilders.
Mais, lors de son procès, les déclarations antisémites dans la chanson contre Wilders n’ont pas été abordées. Il y disait « comme un soldat en Israël, il était heureux parmi les Juifs/ et ensuite la haine pour l’islam est née dans ses yeux », et « Comment ça va avec votre kippa ? Êtes-vous opprimés par la religion juive ? » Wilder n’est pas juif, et il n’a pas été soldat dans l’armée israélienne.
En parallèle à cette nouvelle forme d’antisémitisme, dans laquelle des Juifs sont ciblés et non Israël, la scène européenne du rap est pleine de blagues sur la Shoah et de haine classique des Juifs.
La Cérémonie des Echo Awards de l’année dernière – l’équivalent allemand des Grammys – a été prise dans une polémique quand le duo controversé de rappeur Kollegah et Farid Bang ont été honorés pour un album avec des blagues sur leurs corps mieux « sculptés qu’un prisonnier d’Auschwitz » entre autres références à la Shoah.
Certains militants anti-racistes ont commencé à travailler avec des artistes du rap européen précisément à cause du problème d’antisémitisme dans le rap.
« Il n’y a pas d’autre musique qui soit écoutée dans des quartiers difficiles, a déclaré Serfaty, le rabbin français. Cela doit devenir un outil pour introduire un contenu en faveur de la tolérance, en faveur de la France ».
En 2016, Serfaty a fait équipe avec le rappeur français musulman Coco TKT. Alors que Coco était en prison, le duo a produit trois vidéos célébrant la tolérance, dont une en mémoire d’Ilan Halimi, un Juif français tué en 2006 par des antisémites.
Le partenariat a aidé Coco à obtenir une libération anticipée, mais il est retourné en prison après avoir commis un autre braquage, a déclaré Serfaty.
« Je pense que c’était de l’opportunisme pour sortir de prison », a déclaré Serfaty au sujet de leur collaboration.
Et pourtant, Serfaty insiste que les vidéos avec Coco ont eu de l’impact, et que le rap est plus qu’une fosse sceptique de textes violents et racistes.
« Il y a une belle poésie et des messages d’unité dans le rap, a déclaré Serfaty. Nous devons l’encourager, l’aider à se développer, pas en un jour, mais au fil du temps ».
Le rappeur allemand Salomo prend aussi sa part. Né en Israël, le musicien de 41 ans a déménagé avec ses parents à Berlin quand il avait quatre ans. Certaines de ses chansons proposent un récit qui va à l’encontre de la scène allemande du rap. Il a notamment interprété « Vous me dites », un album publié le 27 janvier pour la Journée internationale de la Shoah.
« Les gens ignorent les mises en garde quand les Nazis sont en marche / Vous me dites : habitue-toi/ quand des migrants continuent à se radicaliser et développent la haine / mais je ne soutiendrai pas votre fausse tolérance », chante-t-il, ajoutant « Allemagne, qu’est-ce qu’il t’arrive ? »
La chanson a été vue environ 80 000 fois sur YouTube et a été largement discutée sur les réseaux sociaux.
Eclipsée à une époque par les propos racistes, « les gens font maintenant du rap sur les vêtements, les animaux, la nourriture, la paix dans le monde, leur amour de la musique, leurs mères, leurs pères et leur rôle de pères », a déclaré Heidi Süß, une universitaire qui mène des recherches sur le rap à l’université d’Hildesheim en Allemagne.
Des nombreux rappeurs visitent des écoles dans le cadre de projets éducatifs et d’activités inter-culturelles, a-t-elle ajouté.
« Il y a de nombreux efforts pour promouvoir la tolérance, l’amour et la solidarité à travers le rap », a-t-elle ajouté.
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