Pourquoi Carlos Menem, mort à 90 ans, n’est pas de l’histoire ancienne
Il y a bien longtemps, le président argentin s'est trouvé empêtré avec l'Iran, alors que le régime faisait pression pour avoir la bombe ; si seulement c'était du passé
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Carlos Menem, l’ancien président de l’Argentine, est décédé ce week-end, à l’âge de 90 ans.
Son décès a fait quelques gros titres – il a été après tout président pendant dix ans. De 1989 à 1999, il a gracié les dictateurs militaires de 1976 à 1983 qui commettaient des meurtres en masse, il a remanié l’économie argentine, il a détourné son pays de l’emprise soviétique pour le rapprocher des États-Unis et il a fait l’objet de multiples enquêtes de corruption, n’évitant la prison qu’après sa condamnation pour trafic d’armes grâce à l’immunité parlementaire.
Il était une figure flamboyante dans la fleur de l’âge, surnommé d’ailleurs président playboy qui, au début de son mandat, avait accepté une Ferrari rouge d’un homme d’affaires italien, avait dîné avec des acteurs et des mannequins, pour ensuite épouser une ancienne Miss Univers.
Mais tout cela, c’était il y a longtemps. De l’histoire ancienne. Les manchettes étaient relativement peu importantes.

Malgré tout, il reste un personnage fascinant. Au moins une partie de sa vie, de ses orientations, de ses décisions et de ses politiques continuent à résonner même après toutes ces années. C’est ce qui est inquiétant – surtout dans un domaine : l’Iran et sa marche continue vers la bombe.

Carlos Saul Menem était l’enfant d’immigrés musulmans syriens, liés, au moins par le mariage, au régime Assad. Mais il a abandonné sa religion – se convertissant au catholicisme, comme l’exigeait la constitution argentine pour un futur président – et ensuite, concernant la Syrie, il a aussi abandonné la patrie de ses parents.
Une fois installé dans ses fonctions, il choisit Israël comme destination de son premier voyage à l’étranger.
Dans un affront encore plus direct à Damas, et de manière beaucoup plus grave, il est revenu sur son engagement d’aider le président syrien Hafez Assad avec la technologie nucléaire et les missiles argentins.
Il a également suspendu sa coopération nucléaire étroite avec l’Iran, notamment sur l’enrichissement de l’uranium, après avoir compris, selon feu l’enquêteur-procureur argentin Alberto Nisman, que les intentions nucléaires de Téhéran étaient « non pacifiques« .
« Je suis considéré comme un traître à la cause arabe »
En 1994, quelques jours après l’attentat suicide mené contre le siège de la communauté juive AMIA à Buenos Aires, le pire attentat terroriste de toute l’histoire de l’Argentine, j’ai interviewé Menem dans son bureau présidentiel (pour le magazine The Jerusalem Report) et j’ai rencontré un homme manifestement terrifié par le fait que l’explosion, dans laquelle 85 personnes ont été tuées, était – au moins en partie – un message qui lui était adressé.

Deux ans après l’attentat du Hezbollah contre l’ambassade d’Israël dans la capitale, qui avait fait 29 morts, la tragédie de l’AMIA l’avait fait craindre pour sa vie. Menem m’avait dit : « Moi aussi, je suis menacé », affirmait-il. « Je suis considéré comme un traître à la cause arabe ».

Huit mois plus tard, lorsque son fils a été tué dans un accident d’hélicoptère, Menem a accusé le Hezbollah, le groupe terroriste mandataire de l’Iran.
Dans notre interview, Menem avait promis de mettre « toutes les ressources de l’Etat » à la disposition des investigateurs qui enquêtent sur l’attaque de l’AMIA.
Le président « pétrifié » n’a manifestement rien fait de tel.
L’enquête a été biaisée, et la preuve définitive que l’explosion a été réalisée par un agent du Hezbollah, et commanditée par l’Iran, n’a été obtenue que des années plus tard par Nisman.
La motivation spécifique de l’attentat de l’AMIA de 1994, a déclaré Nisman à ce rédacteur en 2013, était de punir l’Argentine pour avoir interrompu sa coopération nucléaire avec l’Iran.
Dimanche, quelques heures après la mort de Menem, les dirigeants de la communauté juive argentine, toujours en deuil des morts de l’AMIA et encore traumatisés par la corruption de l’enquête, ont publié une déclaration cinglante à l’égard de l’ancien président.

Menem « meurt en liberté », est-il noté avec amertume, « malgré le fait que son gouvernement ait utilisé les institutions de l’État argentin pour perpétuer l’impunité et dissimuler la responsabilité de ceux qui ont commis et été complices des attentats ».
Aucun suspect n’a été condamné pour l’attentat à la bombe. Plusieurs responsables iraniens ont été inculpés et restent sur une liste de personnes recherchées par Interpol.

Un Iran patient, impitoyable, implacable
C’était il y a longtemps, mais une grande partie de tout cela résonne et a encore une importance aujourd’hui.
On ne sait pas comment l’offre de la Syrie en matière d’armes nucléaires aurait pu progresser si Menem n’avait pas décidé d’interrompre la coopération de l’Argentine avec le régime Assad. Il est clair que Damas n’a pas renoncé à l’offre ; le gouvernement Olmert a fait sauter son site du réacteur Al-Kibar en 2007.

Et on ne sait pas jusqu’où aurait pu aller la tentative stratégique de l’Iran de se doter d’armes nucléaires si Menem n’avait pas suspendu sa coopération nucléaire avec la République islamique. Israël, et ce n’est pas un hasard, a allégué que Téhéran a également acheminé d’énormes sommes d’argent dans le programme Assad que l’armée de l’Air israélienne a détruit.
On ne sait pas non plus si le Hezbollah, et par extension l’Iran, a eu quelque chose à voir avec la mort du fils de Menem.

Mais grâce en grande partie à l’infatigable Nisman, la responsabilité de l’Iran et du Hezbollah dans les deux attentats terroristes de Buenos Aires des années 1990, que Menem soupçonnait, est prouvée.
Le procureur paiera de sa vie en 2015 pour avoir dénoncé la dissimulation concertée par l’Argentine de l’implication iranienne ; il a été retrouvé assassiné chez lui quelques heures avant qu’il ne présente les preuves qu’il avait recueillies contre l’une des successeurs de Menem, Cristina Kirchner, aujourd’hui vice-présidente de l’Argentine, pour son rôle central dans la sordide affaire.

Fermant le cercle lugubre, c’est Kirchner, qui a jusqu’ici réussi à éviter la prison pour son rôle, qui a attendu avec la famille de Menem que son corbillard arrive au Congrès pour ses funérailles.
Malgré sa conversion, Menem a été enterré dans un cimetière musulman, aux côtés de son fils.

Les explosions à Buenos Aires qui ont terrifié un président soulignent la froideur et la cruauté de l’Iran pour atteindre ses objectifs et dissuader ceux qui se dressent sur son chemin, en particulier lorsqu’il s’agit de sa patiente et implacable campagne d’armement nucléaire.
Malheureusement, ce n’est pas du tout de l’histoire ancienne.
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