Pourquoi Netanyahu semble-t-il si peu pressé de parler de l’après-guerre à Gaza ?
Alors que les Américains somment Israël de laisser l'AP reprendre le pouvoir à Gaza et que ses partenaires de coalition veulent y reconstruire des implantations, Netanyahu garde le silence
Alors qu’il s’apprêtait à rejoindre la coalition au pouvoir du Premier ministre Benjamin Netanyahu dans le sillage du massacre du 7 octobre, le responsable du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, avait demandé la mise en place d’une stratégie de sortie pour Gaza, estimant, comme les États-Unis, qu’Israël ne pourrait pas rester indéfiniment dans la bande.
Mais après presque trois mois de combats au sein de l’enclave côtière, le gouvernement n’a pas encore mis au point de cadre clair concernant la manière dont il parviendra à éviter une longue réoccupation de Gaza si et quand le Hamas sera vaincu. Le groupe terroriste dirige la bande d’une main de fer depuis 2007.
Les déclarations politiques faites par Jérusalem restent floues et contradictoires alors que certains officiels, comme le ministre de la Défense Yoav Gallant, disent que la guerre se terminera par « l’abandon de la prise en charge, par Israël, de la vie quotidienne dans la bande de Gaza ». D’autres, comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich, prônent le rétablissement des implantations au sein de l’enclave côtière.
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Netanyahu, de son côté, aurait refusé plusieurs demandes émises par les chefs de la sécurité du pays qui auraient réclamé que des délibérations soient organisées sur ce sujet délicat de l’après-guerre, ces derniers jours. Jeudi dernier, il a annulé une réunion du cabinet de guerre qui devait être consacrée à cette problématique suite, semble-t-il, aux pressions exercées par ses partenaires de coalition d’extrême-droite.
Le bureau de Netanyahu a fait savoir qu’à la place, il avait donné pour instruction à ses hommes de confiance – notamment au ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, qui se trouvait récemment à Washington pour discuter « de la gouvernance et de la sécurité à Gaza » avec le conseiller à la sécurité nationale américain, Jake Sullivan – de faire un travail de préparation en vue de délibérations préliminaires sur le sujet.
Le refus opposé par Netanyahu à de telles discussions, jusqu’à présent, serait motivé par sa réticence à révéler quel rôle exact pourraient tenir les responsables de l’Autorité palestinienne dans la gestion des affaires civiles à Gaza, et par sa certitude que le débat ne manquera pas d’entraîner une crise au sein de la coalition.
Une approche qui a entraîné la colère de ses partenaires plus centristes. Gantz s’est ainsi insurgé, la semaine dernière, disant que « l’armée doit savoir ce qui est prévu [pour la prochaine phase de la guerre] de manière à se préparer pour la suite des combats », a noté la Treizième chaîne.
L’opposition n’a pas été en reste et la dirigeante sortante de la formation Avoda, Merav Michaeli, a déclaré que Netanyahu ne voulait pas discuter de ses projets pour l’après-guerre parce que « pour lui, le jour d’après sera celui où il fera ses valises et il fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher cela ».
Tensions croissantes avec Washington
Israël a déclaré la guerre au Hamas après l’attaque meurtrière commise par le groupe terroriste, le 7 octobre – plus de 3000 hommes armés avaient franchi la frontière et semé la désolation dans toutes les communautés du sud d’Israël, tuant 1200 personnes, en majorité des civils, et kidnappant plus de 240 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza. Des familles entières avaient été exécutées dans leurs habitations et des jeunes qui prenaient part à une rave-party avaient été massacrés, entre autres atrocités. Suite à cet assaut sans précédent, les États-Unis ont apporté un soutien ferme à Israël dans sa guerre contre le Hamas, dans la bande de Gaza. Toutefois, les tensions entre les alliés se renforcent sur la question de ce qui arrivera dans la bande, au lendemain du conflit.
Un haut-responsable israélien a indiqué lors d’un point-presse, au mois de janvier, qu’Israël ne voulait pas diriger la vie des 2,2 millions de Palestiniens à Gaza et que l’État juif souhaiterait la mise en place « d’une autorité locale, pilotée par les Palestiniens », même si un tel cas de figure « peut prendre du temps ».
Malgré cela, Netanyahu s’est opposé de manière répétée à toute perspective de voir l’Autorité palestinienne prendre le contrôle de l’enclave côtière après la guerre, déclarant que la bande de Gaza doit être démilitarisée et établissant qu’Israël veut instaurer une zone-tampon pour empêcher qu’une attaque telle que celle du 7 octobre puisse se reproduire.
Netanyahu a aussi exclu toute présence de forces étrangères de maintien de la paix, disant que seule l’armée israélienne est en mesure de garantir qu’aucune arme ne circulera plus dans la bande.
Les États-Unis disent s’opposer à un cessez-le-feu qui laisserait intact le Hamas alors que le groupe terroriste s’est engagé à continuer de commettre des agressions similaires au 7 octobre sur le sol israélien.
Mais Washington insiste également sur le fait que l’Autorité palestinienne – qu’Israël a accusé de soutien au terrorisme à travers l’éducation donnée aux enfants ou par le biais du versement de salaires aux terroristes, reprochant aussi à l’AP de ne pas avoir condamné les atrocités perpétrées par le Hamas, le 7 octobre – devra finalement venir remplir la vacance de pouvoir, plaçant ainsi la Cisjordanie et Gaza sous la direction d’une seule entité politique, ce qui permettra d’ouvrir la voie à une solution à deux États dans le cadre du conflit israélo-palestinien.
Les États-Unis reconnaissent que l’Autorité palestinienne – qui n’a pas organisé d’élections depuis 17 années et dont la popularité continue à s’effondrer dans un contexte d’accusations de corruption de longue date et de renforcement ininterrompu de la présence israélienne en Cisjordanie – devra être « redynamisée » avant qu’elle soit enfin en mesure d’assumer la responsabilité de la bande de Gaza.
L’État juif avait semblé adoucir son positionnement sur la question, le mois dernier, lorsque le Conseiller à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, avait laissé entendre dans un article d’opinion que si l’Autorité palestinienne n’était actuellement pas prête à gouverner Gaza, elle pouvait potentiellement être réformée et que Jérusalem « se préparait pour ces efforts » de réforme. Un responsable avait toutefois rapidement pris ses distances avec ces propos, disant aux journalistes en off que ces écrits « ont été mal compris« .
Israël préférerait ainsi une autorité multinationale, qui comprendrait ses alliés arabes, qui intègrerait un conseil palestinien et des technocrates, ont confié deux politiciens de la région à Reuters. Mais la plus grande partie des États arabes ne souhaitent guère s’impliquer. Des officiels arabes et américains ont indiqué de manière répétée au Times of Israel, au cours de ces deux derniers mois, que le soutien des pays arabes à la reconstruction de Gaza était loin d’être acquis et qu’ils se tiendraient, au mieux, au second plan jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne soit prête à prendre le pouvoir et qu’il y ait une avancée vers la solution à deux États.
Et en effet, les Émirats arabes unis ont depuis explicitement établi – en réponse à une affirmation faite par Netanyahu qui avait assuré que les EAU et l’Arabie saoudite financeraient la reconstruction de l’enclave côtière – qu’il faudrait que le royaume du Golfe puisse « entrevoir un plan viable à deux États, avec une feuille de route sérieuse, avant que nous puissions discuter du jour d’après et de la reconstruction des infrastructures à Gaza ».
Dans la mesure où les responsables israéliens ont fait savoir que « une solution à deux États, après ce qui est arrivé le 7 octobre, serait une récompense pour le Hamas », il semble probable qu’il y aura une forme ou une autre d’occupation prolongée à Gaza, sur le modèle de ce qui se passe en Cisjordanie, où une autorité a été désignée pour prendre en charge les affaires civiles tandis qu’Israël assure le contrôle sécuritaire.
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a annoncé qu’il ne consentirait à revenir à Gaza que dans le cadre d’un plan plus large prévoyant l’établissement d’un état indépendant qui inclura la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Trois territoires qui avaient été capturés par Israël pendant la guerre des Six jours, l’État juif se retirant pleinement de l’enclave côtière en 2005.
Déplacement et émigration
Tandis que Netanyahu reste évasif sur ses plans pour l’après-guerre, les membres de sa coalition d’extrême-droite ont affiché moins de réticence à s’exprimer, faisant la promotion de divers scénarios pour « le jour d’après » – des scénarios qui ne bénéficieront par ailleurs probablement pas du soutien national ou international.
Plusieurs députés, et notamment des membres du cabinet, font l’éloge du « déplacement volontaire » des Palestiniens de la bande, une politique qui a été rondement rejetée par Netanyahu qui, le mois dernier, a demandé avec sévérité aux membres du cabinet de faire attention aux mots qu’ils emploient après une déclaration du ministre de l’Agriculture, Avi Dichter, qui avait estimé que la guerre contre le Hamas serait « la Nakba de Gaza » (Nakba est le mot, en arabe, pour désigner une « catastrophe » et c’est le terme employé par de nombreux Palestiniens pour évoquer le déplacement de cette population dans le cadre de la Guerre de l’Indépendance, en 1948).
L’Égypte et la Jordanie, de leur côté, ont dit qu’ils n’accepteraient jamais que des Palestiniens soient déracinés de leurs foyers et le secrétaire d’État américain Antony Blinken a estimé qu’une telle idée de déplacement massif était en elle-même « rédhibitoire ».
Les opérations aériennes et terrestres de Tsahal, dans la bande de Gaza, ont déplacé environ 1,9 million de personnes qui se sont dirigées principalement vers le sud de l’enclave côtière. Les militaires israéliens avaient appelé les civils à quitter le nord pour éviter de se laisser prendre malgré eux dans les combats.
Dans la semaine qui a suivi la mise en garde lancée par Netanyahu à ses ministres, l’idée d’un transfert de la population, autrefois considérée comme une idée marginale relevant de quelques membres du mouvement ultranationaliste Kahane, a de nouveau émergé dans le discours politique israélien quand les députés Danny Danon (Likud) et Ram Ben-Barak (Yesh Atid) ont publié un article d’opinion dans le Wall Street Journal où ils appelaient « les pays du monde entier à accepter un nombre limité de familles de Gaza qui ont exprimé le souhait de partir s’installer ailleurs ».
Une proposition qui a été saluée par le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui a estimé que cette initiative était « une solution humanitaire juste pour les résidents de Gaza », et par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, qui s’est réjoui de ce que « au moment de vérité, tout le monde parle du pouvoir juif » – un jeu de mots sur le nom de sa formation Otzma Yehudit.
Écrivant dans le Jerusalem Post, plusieurs jours plus tard, la ministre des Renseignements du Likud, Gila Gamliel, a examiné la possibilité de promouvoir « le déplacement volontaire des Palestiniens de Gaza hors de la bande, pour des raisons humanitaires ».
« Au lieu de faire affluer l’argent pour reconstruire Gaza ou pour le remettre à l’UNRWA, qui est en échec, la communauté internationale pourrait aider à assumer le coût des réinstallations en aidant la population de Gaza à se construire une nouvelle vie dans ses nouveaux pays d’accueil », a-t-elle écrit.
Certains, à droite, ont aussi appelé à rétablir le bloc d’implantations de Gush Katif, qui avait été évacué en 2005, pendant le désengagement de Gaza, une initiative à laquelle s’oppose une majorité d’Israéliens.
Même si Netanyahu a évoqué le maintien, par Israël, du contrôle sécuritaire à Gaza, il n’a pas prononcé le mot « d’occupation ». L’idée a été envisagée et présentée par des membres de sa coalition d’extrême-droite et notamment par le ministre du Patrimoine, Amichai Eliyahu, qui a estimé qu’Israël devait « occuper pleinement » la bande de Gaza dans l’après-guerre, ajoutant que si lui-même était favorable à « un rétablissement des implantations » au sein de l’enclave côtière, il pensait que « ce n’est pas nécessairement le meilleur moment pour ça ».
S’exprimant devant les caméras de la Douzième chaîne, dimanche, Smotrich a aussi appelé à lancer le débat sur la renaissance des implantations civiles israéliennes, affirmant être convaincu que le contrôle civil israélien sera nécessaire pour maintenir l’ordre dans la bande de Gaza.
« Nous aurons le contrôle sécuritaire et nous aurons aussi besoin qu’il y ait un contrôle civil mis en place dans la bande », a dit Smotrich. « Je suis favorable à un changement complet de la réalité actuelle à Gaza, à l’organisation d’un débat sur la construction d’implantations dans la bande de Gaza… Nous devrons gouverner longtemps là-bas… Si nous voulons être présents militairement, nous devrons être aussi implantés là-bas au niveau civil ».
L’opposition
Critiquant « les difficultés rencontrées par le gouvernement en ce qui concerne la création d’un plan qui définirait, pour l’armée et pour les responsables politiques, le dessein stratégique de la guerre », le leader de l’opposition, Yair Lapid, a lui-même diffusé son propre projet d’après-guerre, le mois dernier, un projet qui prévoit la création d’une zone démilitarisée et qui ouvre la porte à de futures incursions de l’armée israélienne pour empêcher le Hamas de reprendre le pouvoir.
L’administration, au sein de l’enclave côtière, serait gérée par une coalition internationale dirigée par les Américains, avec la participation des États arabes, une coalition qui « prendrait en charge la gestion, la reconstruction et l’approvisionnement en aide humanitaire en direction des résidents de la bande de Gaza, avec l’établissement d’une instance qui viendrait remplacer l’UNRWA » – c’est l’agence chargée des réfugiés palestiniens des Nations unies.
Comme ses homologues au sein de la coalition, Lapid a estimé que l’Autorité palestinienne ne serait pas en mesure de gouverner Gaza avant d’entreprendre « un programme de déradicalisation élargi », a-t-il dit, qui comprendrait un travail d’éducation aux incitations au terrorisme et à la violence, l’arrêt du versement des salaires aux terroristes et d’importantes initiatives de lutte contre la corruption.
Et si Israël doit se réengager « en faveur d’une solution politique », cette dernière devra être considérée comme un objectif « à long-terme », a-t-il affirmé.
Michaeli, du parti d’Avoda, a adopté une approche différente, estimant, en date du 25 décembre, que « ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un accord politique visant à résoudre le conflit ».
« Cela va être long, cela va être extrêmement douloureux mais c’est la seule condition qui garantira l’existence de l’État d’Israël et c’est la seule chose qui nous permettra de rapatrier nos otages maintenant, parce que nous n’avons plus de temps », a-t-elle dit dans une déclaration où elle accusait Netanyahu d’avoir « renforcé le Hamas pour éviter de devoir prendre des initiatives politiques susceptibles de résoudre le conflit israélo-palestinien ».
Pas pressé
Dans un discours prononcé samedi dans la soirée, le Premier ministre n’a guère paru ému par les appels qui lui sont lancés, le sommant de mettre au point un plan de sortie de crise.
Le Conseil de sécurité nationale a discuté, à huit occasions distinctes, de la manière de gérer « le lendemain » de l’opération militaire israélienne à Gaza, a-t-il déclaré, ajoutant que la question serait à l’ordre du jour de la rencontre du cabinet de sécurité, cette semaine.
Interrogé sur la réunion qui a été annulée la semaine dernière, il a indiqué que le cabinet de guerre avait eu « un débat différent » concernant ce qui était, selon ses propres mots, « la problématique de sécurité nationale la plus importante ». Il n’a pas donné de détail.
« En ce qui concerne le jour d’après », a continué Netanyahu, « attendons d’abord d’arriver à ce jour d’après… D’abord, détruisons le Hamas ».
Emanuel Fabian, Jacob Magid, et Reuters ont contribué à cet article.
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