Israël en guerre - Jour 347

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Reportage

Prenant le contre-pied de la cérémonie officielle, survivants et proches d’otages éteignent des torches

Un rassemblement organisé à Binyamina pour Yom HaAtsmaout a mis à l'honneur des Israéliens durement touchés par les attaques du 7 octobre, qui ont éteint des torches en signe de protestation - un symbolisme qui, selon certains, transmet le mauvais message

Des participants éteignent des torches lors d'une cérémonie alternative de Yom HaAtsmaout à Binyamina, le 13 mai 2024. (Crédit :  on May 13, 2024. (Flash90)
Des participants éteignent des torches lors d'une cérémonie alternative de Yom HaAtsmaout à Binyamina, le 13 mai 2024. (Crédit : on May 13, 2024. (Flash90)

Rien ne semble a priori distinguer la cérémonie qui, en cette soirée de lundi, marque Yom HaAtsmaout au parc Jabotinsky de Binyamina, et les autres célébrations patriotiques qui ont été organisées à l’occasion du 76e anniversaire de l’indépendance israélienne.

Comme dans la plus grande partie des villes et des villages à majorité juive, il y a un océan de drapeaux israéliens, des personnalités et des chanteurs de premier plan qui se produisent sur scène, des torches enflammées – c’est la tradition – et même des étals qui vendent de la junk food, de l’eau et des drapeaux bleus et blancs à des prix exorbitants.

Mais la ressemblance s’arrête là.

Comme c’est le cas lors de la cérémonie officielle de Yom HaAtsmaout, douze torches brûlent à Binyamina – à la différence qu’elles sont déjà allumées lors que le rassemblement n’a pas encore commencé. Puis les torches sont éteintes, les unes après les autres, prenant le contre-pied de la cérémonie qui est organisée tous les ans à Jérusalem.

Cet événement, à Binyamina, veut être tout le contraire d’une fête. La nature qu’il revendique est celle d’un acte de protestation qui vient contrecarrer les réjouissances officielles organisées pour Yom HaAtsmaout. Les organisateurs de cette cérémonie où le rituel des torches s’est inversé ont estimé que la tradition, cette année, n’avait pas sa place – et qu’elle n’avait pas lieu d’être respectée. Le gouvernement qui était au pouvoir lors de la journée la plus meurtrière de violences antisémites depuis la Shoah n’a aucune légitimité s’agissant de présider les premières cérémonies de Yom HaAtsmaout depuis le 7 octobre, ont-ils affirmé, citant également l’incapacité des dirigeants à obtenir la remise en liberté des 132 otages qui se trouvent encore à Gaza.

Un sentiment que les organisateurs font partager au public lorsqu’ils remettent aux 1 400 personnes venues assister à l’événement des panneaux disant : « Pas d’otages, pas d’indépendance », des mots écrits en lettres jaunes sur fond noir. Les participants reçoivent l’instruction de les brandir, dans l’amphithéâtre, pour que les caméras qui diffusent l’événement sur les réseaux sociaux puissent les filmer.

Parmi les intervenants, il y a des survivants de l’attaque meurtrière qui avait été perpétrée par le Hamas le 7 octobre ; des proches d’otages, des parents ayant perdu un enfant sur le front à Gaza et des Israéliens qui ont dû quitter le sud et le nord du pays en raison des combats opposant l’État juif au Hamas et au Hezbollah, respectivement, et qui ignorent encore quand ils pourront enfin rentrer chez eux.

Des participants à une cérémonie alternative de Yom HaAtsmaout brandissent des pancartes sur lesquelles on peut lire « pas d’otages, pas d’indépendance » à Binyamina, le 14 mai 2024. (Crédit : Flash90)

De plus, lundi soir, ce sont aussi des dizaines de milliers de personnes (100 000 selon les organisateurs) qui se sont retrouvés sur la place des Otages de Tel Aviv, lors de la manifestation hebdomadaire organisée à l’initiative du Forum des Familles des otages et des portés-disparus.

Sharon Sharabi monte à la tribune. Il est le frère d’Eli et de feu Yossi Sharabi, qui ont tous les deux été enlevés au kibboutz Beeri par les terroristes du Hamas, le 7 octobre. Il exprime un sentiment qui est aussi partagé par de nombreux intervenants de Binyamina.

« Nous ne ressentons pas l’esprit de l’indépendance ce soir mais nous avons conscience que nous nous trouvons ici, tous ensemble, et que chacun est sensible à la présence de celui ou de celle qui est à côté de lui, qu’il éprouve du respect à son égard », dit-il.

L’assistance, unie par la pensée douloureuse de la situation critique que vivent actuellement les 132 otages qui se trouvent encore entre les mains du Hamas, se fond en revendiquant une parole d’espoir empruntée à l’hymne national israélien, la « Hatikvah »: « Notre espoir n’est pas perdu ».

Des Israéliens lors d’un rassemblement réclamant la libération des otages détenus par le Hamas à Gaza sur la place des Otages de Tel Aviv, lors de la 76e Journée de l’Indépendance, le 13 mai 2024. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

Le rabbin Zvi Hasid, directeur-général des Services d’urgence de la ZAKA, déclare que même si ce moment peut être un moment « de deuil, de sanglots, de larmes », il y a encore une place qui est réservée à l’espoir. Il dit à la foule que « du désespoir et de la destruction… le peuple juif grandira et atteindra sa gloire ».

Le rabbin Tamir Granot, qui dirige les participants dans la prière, une prière appelant au salut des otages et des soldats, partage la même conviction.

« Quand tout va bien, quand il n’y a ni colère, ni souffrance, on n’a pas besoin d’espoir et c’est possible de se contenter de vivre bien », explique-t-il. « C’est très précisément quand ça fait mal, quand nous ressentons de la colère, quand le cœur brûle, quand il y a des tensions, quand nos enfants sont les captifs d’ennemis cruels, que nous avons besoin de cette essence qu’on appelle l’espoir ».

Environ 3 000 terroristes avaient massacré près de 1200 personnes en Israël, le 7 octobre, et ils avaient kidnappé 252 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza. Les hommes armés avaient commis des atrocités, se livrant à des violences sexuelles à grande échelle. L’État juif, en conséquence, a lancé une offensive visant à démanteler le Hamas à Gaza – une campagne militaire qui, selon le ministère de la Santé du groupe terroriste, a entraîné la mort d’environ 35 000 personnes. Ces chiffres invérifiables ne font pas la distinction entre civils et hommes armés. L’armée israélienne, de son côté, affirme avoir tué au moins 15 000 membres des factions terroristes palestiniennes.

Par ailleurs, le Hezbollah a tiré des milliers de roquettes en direction du territoire israélien en signe de solidarité avec le Hamas, à Gaza, depuis le 8 octobre – ce qui a déterminé Israël à évacuer environ 60 000 résidents vivant dans les secteurs frontaliers du nord du pays et ce qui a amené aussi Tsahal à riposter aux attaques lancées par le groupe terroriste soutenu par l’Iran depuis le Liban.

A Binyamina, Eyal Eshel — le père de Roni, qui avait trouvé la mort sur une base militaire en date du 7 octobre – éteint une torche symbolisant « le péché de vanité » – ce péché commis, dit-il, par le gouvernement et par les responsables de l’armée qui, affirme-t-il, doivent démissionner immédiatement.

Sharon Sharabi, le frère des otages Eli et feu Yossi Sharabi, s’exprime sur scène lors d’un rassemblement réclamant la libération des otages détenus par le Hamas à Gaza sur la place des Otages de Tel Aviv, lors de la 76e Journée de l’Indépendance, le 13 mai 2024. (Capture d’écran/used in accordance with Clause 27a of the Copyright Law)

David Agmon, général de brigade réserviste qui avait combattu les terroristes aux abords du kibboutz Beeri évoque « l’abandon total » du sud du pays par le gouvernement, le 7 octobre, avant d’éteindre sa torche.

Galit Dan, dont la fille et la mère, Noya et Carmela, avaient été tuées par le Hamas à Nir Oz, indique que c’est le gouvernement israélien « qui est responsable de ces meurtres » après « m’avoir donné, ainsi qu’aux autres résidents de l’enveloppe de Gaza, une illusion, celle que nous vivions en sécurité ». Elle éteint la torche qui symbolise, selon elle, « le délaissement absolu de la sécurité personnelle ».

Einav Zangauker, dont le fils Matan aurait été pris en otage à Gaza, est la seule à allumer une torche. Et, ce faisant, elle laisse une place à l’espoir : « Nous avons une population étonnante mais nous n’avons pas de dirigeants », dit-elle. L’assistance se lève et applaudit à tout rompre.

Dans le public, Ofer Gelmond, âgé de 49 ans, déclare au Times of Israel que « il n’y a rien à fêter cette année ».

« Je ressens principalement de la colère, de l’impuissance et de la déception et je pense que cet événement reflète cela », ajoute-t-il.

Tali Biron, de son côté, estime que cette cérémonie alternative souligne la fracture croissante entre les différentes tribus de la société israélienne – des fractures difficiles à soigner à une période où le pays a pourtant désespérément besoin de retrouver une unité.

« Il y a quelque chose d’effrayant dans cette déconnexion qui est plus importante qu’elle ne l’a jamais été », dit-elle.

Biron ne voit aucun moyen de recréer un lien. Les ministres d’extrême-droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir « m’étrangleraient s’ils arrivaient à leur fin. Et je suppose qu’ils pensent que ma tribu leur ferait subir très exactement la même chose », note-t-elle, faisant référence aux libéraux laïques.

Rona Keinan, une chanteuse devenue célèbre pour ses combats en faveur de la paix, est la tête d’affiche du programme musical de la cérémonie de Binyamina. Jacky Levy, un Juif pratiquant qui se dit plutôt à droite et dont plusieurs proches sont actuellement retenus en captivité à Gaza et Lucy Aharish, présentatrice de télévision et actrice arabe israélienne de gauche, jouent les maîtres de cérémonie.

Biron se réjouit du rôle tenu par Aharish lors de l’événement, saluant « un symbole de coexistence » entre Juifs et Arabes.

« Alors que le gouvernement nous propose une parade ostentatoire, un spectacle de lâcheté, de mépris, de déconnexion, sans public pour le suivre, les familles des otages et des citoyens inquiets vont organiser une cérémonie digne et convenable, qui reflète les sentiments du public », ont écrit les organisateurs dans le communiqué qui annonçait l’événement.

Une manifestante brandit une affiche d’Avinatan Or lors d’une manifestation devant la résidence privée du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Césarée, le 30 mars 2024. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Yaron Or, dont le fils Avinatan serait otage à Gaza, n’est pas d’accord avec cette présentation de l’événement de Binyamina – un rassemblement qui a été organisé en coopération avec Noam Dan, une activiste dont le cousin, Ofer Kalderon, se trouverait dans les geôles du groupe terroriste au sein de l’enclave côtière.

Interrogé sur la cérémonie – à laquelle il n’a pas assisté – Or indique au Times of Israel qu’il considère qu’éteindre les torches est « un geste choquant ».

« Si allumer des torches est une manière de célébrer la réussite, alors les éteindre transmet le message opposé. On ne peut pas éteindre de torches. Ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain », demande-t-il.

Son frère, Shimon, juge que la cérémonie alternative représente un affrontement culturel au sein de la société israélienne qui va bien au-delà de toutes les querelles entraînées par la question de céder aux revendications du Hamas, dans le cadre des négociations actuelles, afin de garantir la remise en liberté des otages.

David Agmon s’exprime pendant une cérémonie alternative de la Journée de l’Indépendance à Binyamina, le 14 mai 2024. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

« La culture libérale, en Occident, est centrée sur l’individu et elle considère que le rôle tenu par l’État est d’aider au bien-être des personnes », commente Shimon Or, dont la famille est orthodoxe. « La culture juive envisage l’individu dans le cadre de son appartenance à un peuple, et elle considère le gouvernement comme responsable de l’intérêt collectif. »

A cet extrême, « l’approche collective mène au fascisme », continue Or. Mais une attitude individualiste poussée, elle aussi, à son extrémité « est également dangereuse – et c’est très certainement le cas dans la situation qui est la nôtre. Céder au Hamas causera des milliers de morts et des conséquences terribles en Judée-Samarie [Cisjordanie], ainsi que vis-à-vis du Hezbollah. Tout le monde le sait, mais l’approche individualiste poussée à son extrême, elle, ignore ou accepte ces prix qui seront à payer ».

Des partisans du groupe Hezbollah soutenu par l’Iran lèvent le poing et applaudissent en écoutant une vidéo de Sayyed Hassan Nasrallah, lors d’un rassemblement pour la « journée des résistants blessés », dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban, le mardi 13 février 2024. (Crédit : AP Photo/Hussein Malla)

Uri Heitner, historien et ancien leader du Mouvement des Kibboutz, estime que le rassemblement organisé à Binyamina est le fruit « des groupes radicaux de protestation qui font la promotion du discours du 6 octobre », faisant référence aux divisions qui avaient s’étaient révélées dans le pays pendant une grande partie de l’année 2023 en raison du plan controversé de refonte du système judiciaire israélien qui était alors avancé par le gouvernement.

Heitner, un critique de Netanyahu, dit pour sa part au Times of Israel que les organisateurs de l’événement, à Binyamina, ou ceux d’autres cérémonies alternatives « n’expriment pas le désir d’une alternative dans les politiques du pays mais plutôt le désir d’une alternative au pays lui-même ».

Levy, le journaliste pratiquant, évoque certaines de ces critiques pendant le rassemblement. « Nous n’éteignons pas les torches à la seule fin de les éteindre. Nous les éteignons pour mettre en lumière notre espoir de célébrer pleinement notre Journée de l’Indépendance, sans réserve et sans chaises qui restent vides », déclare-t-il sous les applaudissements et sous les « Amen ».

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