Quand un comté en Utah joue un rôle majeur dans la crise judiciaire en Israël
Un arrêt de la Cour suprême israélienne reconnaît le processus de mariage virtuel, permettant aux Israéliens de contourner le rabbinat et suscitant la colère de la coalition
JTA – Aaron Davidson n’est jamais allé en Israël. Il n’est pas Juif. Il a commencé à travailler comme greffier du comté d’Utah il y a seulement deux mois.
Mais les mesures qu’il supervise dans son bureau de Provo, dans l’Utah, pourraient avoir un impact à plus de 7 000 kilomètres de là, dans les couloirs du Parlement israélien, la Knesset, à Jérusalem.
En effet, Davidson est le plus haut fonctionnaire d’un comté qui a, de manière improbable, provoqué un changement radical dans la manière dont les mariages sont légalement reconnus dans l’État juif. La bataille judiciaire qui s’ensuivra sur cette question – et dont le gouvernement israélien vient de perdre la première manche – pourrait inciter le Premier ministre Benjamin Netanyahu à adopter une réforme judiciaire controversée qui a déjà plongé le pays dans la crise.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Prenons un peu de recul et analysons la situation.
Comment fonctionnent les mariages en Israël ?
Bien qu’une grande partie des Juifs israéliens soient laïcs, l’institution légale du mariage dans le pays est contrôlée par le Grand Rabbinat, qui est orthodoxe. En d’autres termes, en Israël, un Juif ne peut se marier légalement qu’au moyen d’une cérémonie orthodoxe.
Cela signifie que les mariages homosexuels, les mariages interconfessionnels et les mariages non orthodoxes célébrés en Israël ne sont pas reconnus par le gouvernement israélien. Les centaines de milliers d’Israéliens russophones, qui ne sont pas Juifs selon la loi juive traditionnelle et qui ne peuvent donc pas se marier en Israël, sont également laissés dans un vide juridique.
Mais il existe une sorte d’échappatoire : les mariages célébrés et reconnus à l’étranger sont également reconnus en Israël. Ainsi, depuis des décennies, les Israéliens non orthodoxes ont trouvé une solution pour contourner ces restrictions en prenant un rapide vol pour Chypre afin de s’y marier, ou en voyageant plus loin pour se marier. Ils rapportent ensuite leur certificat de mariage en Israël, accompagné d’un cachet d’authentification (appelé apostille), et voilà : ils sont légalement mariés.
Quel est le rapport avec l’Utah ?
Depuis 2020, le comté de l’Utah reconnaît les mariages célébrés entièrement par vidéoconférence, à condition que l’officiant ou l’un des membres du couple se trouve dans le comté. Le comté englobe la région de Provo, où se trouve l’université Brigham Young et où se développe une importante activité technologique. Les autorités ont envisagé ce nouveau système de mariage à distance comme un moyen de faciliter « l’exécution d’une autorisation gouvernementale permettant à deux adultes consentants de se marier », comme l’a expliqué l’ancienne greffière du comté, Amelia Powers Gardner, au New York Times.
Cette innovation a coïncidé avec le début de la pandémie de COVID-19 et, à la fin de la même année, les Israéliens ont réalisé qu’ils pouvaient désormais se marier légalement dans l’Utah sans avoir à quitter Israël – en fait, sans avoir à quitter leur salon. Depuis 2020, Davidson estime que plus de 1 000 Israéliens ont eu recours à ces mariages à distance. Les frais de mariage à distance ne dépassent pas 155 dollars.
« Cette technologie offre désormais à des milliers de couples israéliens chaque année la possibilité d’obtenir rapidement, simplement et à peu de frais un certificat de mariage civil sans qu’ils aient à quitter leur domicile », a déclaré le rabbin Uri Regev, directeur général de Hiddush, une organisation israélienne qui milite en faveur du pluralisme religieux. « En soi, c’est une véritable révolution. » (Les Israéliens ne sont pas les seuls ressortissants étrangers à utiliser l’option de mariage à distance proposée par le comté. Les couples homosexuels de Chine y ont également trouvé leur compte).
Comment les autorités israéliennes ont-elles réagi ?
Mal. Le ministre israélien de l’Intérieur par intérim, Michael Malchieli, est membre du parti orthodoxe haredi Shas. Il a refusé de reconnaître les certificats de mariage de l’Utah, comme l’avait fait un de ses prédécesseurs, arguant que les mariages avaient en réalité été célébrés en Israël. Un de ses prédécesseurs avait également refusé de reconnaître les certificats, mais l’année dernière, un tribunal a statué que le gouvernement devait reconnaître les mariages de l’Utah.
Cette décision a été portée devant la Cour suprême d’Israël qui, mardi dernier, a statué à l’unanimité en faveur des couples mariés. Désormais, leurs mariages seront officiellement considérés comme valides en Israël. La Cour avait pris une décision similaire en 2006, obligeant l’État à reconnaître les mariages homosexuels célébrés à l’étranger.
« Il est du devoir de l’officier d’état civil [israélien] de s’abstenir de prendre des décisions concernant la validité ou l’invalidité des mariages eux-mêmes », a écrit la Cour dans un résumé de sa décision mardi dernier. « Lorsque l’officier d’état civil reçoit un document public en bonne et due forme, il doit, en règle générale, l’enregistrer en conséquence et s’abstenir de prendre des décisions concernant des questions juridiques complexes. »
Quel est le lien avec la crise actuelle en Israël ?
Israël est actuellement en proie à un débat national houleux sur une législation proposée par le gouvernement de Netanyahu, qui aurait pour effet de priver la Cour suprême d’une grande partie de ses pouvoirs. Un projet de loi permettrait à une majorité simple de législateurs israéliens de passer outre les décisions de la Cour, ce qui signifie qu’ils pourraient annuler des décisions telles que celle rendue cette semaine.
Les partisans de la réforme des tribunaux affirment que cette législation permettra au droit israélien de représenter plus efficacement la volonté de la majorité élue. Un autre législateur de Shas, Moshe Arbel, a déclaré que la décision de mardi dernier démontrait l’urgence de réformer la Cour.
« La Haute Cour, par une autre mesure politique, a prouvé une fois de plus à quel point la réforme judiciaire est nécessaire », a déclaré Arbel, selon la Ynet. Selon lui, cette décision vise à « effacer l’identité juive de l’État ».
Qu’en pensent les autorités de l’Utah ?
Au départ, il a semblé que Davidson, le greffier du comté, risquait de supprimer les mariages virtuels. Le site web de sa campagne indiquait que « cette option en ligne dévalorise l’union du mariage et le comté d’Utah ne doit pas être l’entité qui facilite la marginalisation du mariage ».
Mais depuis qu’il a pris ses fonctions, il a changé d’avis, a-t-il déclaré à la Jewish Telegraphic Agency. Il craignait en effet que des personnes malveillantes ne profitent des mariages virtuels pour faciliter les mariages de mineurs et la traite des êtres humains. Aujourd’hui, il se rend compte que cela n’a pas été un problème et il travaille à la mise à jour du logiciel de reconnaissance faciale du comté afin d’empêcher cette éventualité.
« Il ne semble pas que les mariages que l’on veut [faire reconnaitre] en Israël soient controversés, et je suis donc tout à fait disposé à ce que ce système reste ouvert et vivant », a-t-il déclaré. « Nous essayons d’éviter toute intervention dans d’éventuels mariages d’enfants, dans des mariages forcés ou dans la traite des êtres humains. Nous voulons être sûrs de savoir qui va se marier avant de célébrer un mariage en ligne ».
Alex Shapiro, directeur exécutif de l’United Jewish Federation of Utah, s’est également réjoui de la décision de la Cour suprême. « Je soutiens pleinement la décision de rendre le mariage civil accessible à tous les citoyens », a déclaré Shapiro à JTA. « Je me réjouis également que l’État de l’Utah puisse jouer un rôle dans ces unions sans que les couples aient à se déplacer hors du comté pour se marier. »
Le comté de Davidson compte cependant peu de Juifs et une population politiquement conservatrice. C’est là que se trouve le vaisseau amiral de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (aussi appelée communauté des Mormons), qui s’oppose au mariage homosexuel.
Davidson, qui est membre de l’église mormone, a déclaré qu’il avait entendu quelques objections de la part des habitants concernant la facilitation des mariages homosexuels à l’étranger. Mais il a déclaré à la JTA qu’il estimait que les mariages virtuels respectaient un autre principe conservateur fondamental : la limitation du gouvernement.
« Le gouvernement limite qui peut vivre où, dans quel pays, et je ressens la même chose pour le mariage », a-t-il déclaré. « Pourquoi ai-je le sentiment d’avoir le pouvoir d’empêcher un couple – qu’il soit homosexuel ou traditionnel – d’être heureux dans sa vie et de faire ce qu’il veut ? C’est un peu mon principe directeur : pourquoi devrais-je avoir le pouvoir de contrôler le bonheur d’autrui ? »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel