Vous pouvez facilement trouver le nom du terroriste de Jérusalem. Mais nous ne pouvons pas le publier. Pourquoi ?
Les policiers insistent : Il y a des raisons valables à l'émission d'une ordonnance de non-publication, qui impose l'interdiction de la divulgation des détails de l'enquête portant sur le meurtre, dimanche, de 2 Israéliens. Les experts, pour leur part, ne sont guère convaincus
Les paquets contenant les cartouches utilisées lors de l’attentat à l’arme à feu étaient encore examinés en fin de matinée, dimanche, rue Haim Bar-Lev Street à Jérusalem, lorsque la police a envoyé une note aux journalistes : Aucune information ne sera transmise sur “tous les détails de l’enquête, sur les noms des blessés, les identités des morts et celle du terroriste”.
Seul problème : A ce moment-là, l’affaire était d’ores et déjà devenue un secret de Polichinelle. Le nom du terroriste ainsi qu’un grand nombre d’autres informations concernant cet attentat qui a fait deux morts et cinq blessés avaient déjà été largement relayées – que ce soit dans les médias israéliens ou internationaux.
Alors que de nouvelles informations étaient révélées, certains sites israéliens ont publié de nouveaux détails sur l’attaque et sur l’enquête, dont les noms des victimes et d’autres éléments du récit dont la réalité a commencé à émerger lentement – certains d’entre eux livrés par les organismes officiels.
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Au même moment, d’autres informations ont été retirées, toutes placées ostensiblement sous les termes de l’ordonnance de non-publication imposée par le tribunal.
La confusion régnait concernant ce qui était autorisé à la publication et ce qui ne l’était pas. Certains membres des autorités eux-mêmes ont avoué leur ignorance quant à ce qui était publiable en l’état, ainsi qu’un grand nombre de médias.
Ce cheminement péniblement emprunté par les journalistes et les responsables dans le sillage d’attentats tels que celui-ci s’avère être chaotique et illustre le processus souvent compliqué et parfois arbitraire de la retenue de l’information – ou de la tentative de retenue – dans la mesure où les officiels de la sécurité s’efforcent de savoir ce qu’ils désirent conserver secret face à l’opinion publique tandis que les journalistes se battent pour concilier les obligations sécuritaires avec le principe du droit à l’information.
Juste après 10 heures, ce dimanche matin, le Palestinien de 39 ans – dont le nom ne peut être encore révélé à l’heure qu’il est, plus de 24 heures après – bien que la terre entière soit au courant – est passé en voiture devant le siège de la police situé sur la Colline des Munitions et a ouvert le feu sur un groupe de personnes qui se tenaient à proximité de l’arrêt du tramway, touchant une femme.
Il a alors continué sur sa lancée, tirant et blessant mortellement une femme âgée de 60 ans qui se trouvait au volant de sa voiture avant que des agents de police ne parviennent à le tuer à l’issue d’une série de coups de feu au cours de laquelle un officier de 29 ans a trouvé la mort et un autre a été légèrement blessé.
A 11 heures 15 du matin, la police a demandé et reçu une ordonnance de non-publication émise par un Tribunal de Jérusalem.
Envoyant un Fac-similé de l’ordonnance aux journalistes, la police a également joint un avertissement écrit rigoureux : “Quiconque enfreindra cette ordonnance pourra être poursuivi en justice”.
Et pourtant, trois heures plus tard, c’est la même police qui a rendu public l’identité de l’agent décédé, Yosef Kirma, avec deux photographies et des informations, dans un message adressé aux journaux et sur le compte Twitter du département, en violation apparente de l’ordonnance de non-publication.
Le nom de la seconde victime, Levana Malihi, 60 ans, a été annoncé peu de temps après.
Malihi ayant été employée à la Knesset pendant plus de trente ans, c’est le porte-parole du Parlement qui a livré les informations la concernant, dans une autre violation apparente du document juridique.
Alors que certains détails de l’affaire pouvaient apparemment être impunément livrés au public, le nom et la photographie de l’assaillant restaient pour leur part strictement interdits à la publication, selon la police.
Mais cela n’a pas empêché le Coordinateur des Activités Gouvernementales dans les Territoires (COGAT), rattaché au ministère de la Défense, de publier un Tweet comportant le nom du terroriste accompagné de sa photographie (le post a été supprimé ultérieurement).
L’embargo n’a pas non plus dissuadé le membre de la Knesset Yehuda Glick d’envoyer un Tweet avec la photo du terroriste, qui n’a pas été supprimée, et un autre Tweet renvoyant à un site d’informations palestinien comportant l’information supposément si sensible et clairement interdite.
Et pendant tout ce temps-là, bien sûr, tout Israélien possédant une connexion à Internet pouvait trouver aisément la photographie du terroriste et un nombre considérable d’informations sur sa vie pour peu qu’il ne se rende pas sur un site d’actualités national – qui, étant local et hébréophone aurait probablement était plus précis et plus juste dans son compte-rendu des faits que les médias étrangers.
Plus d’embargo, moins de vigilance
Même si les ordonnances de non-publication semblent avoir perdu beaucoup de leur efficacité et de leur signification à l’ère du numérique, les forces de l’ordre justifient la mise en place de centaines d’ordonnances similaires annuelles.
Le pourquoi de l’adoption de cette mesure est encore difficile à comprendre, en partie parce que les raisons réelles motivant une telle requête sont souvent maintenues secrètes.
Les ordonnances servent spécifiquement à empêcher « des nuisances à l’enquête », selon le Dr. Tehilla Shwartz Altshuler, chercheuse à l’Institut Israélien de la Démocratie.
Il reste une inquiétude toutefois : Si les ordonnances sont parfois émises non pour empêcher de nuire à la sécurité nationale, elles peuvent l’être également pour éviter certains préjudices aux organisations qui les réclament, selon Shwartz Altshuler, co-auteur d’un livre blanc paru au mois d’août sur le « triangle » des ordonnances de non-publication, de la censure militaire et des lois contre l’espionnage qui fondent le système israélien d’interdiction de la révélation des secrets d’Etat.
‘[Le suspect] pense encore être en cavale, que personne ne connaît son identité, ce qui est la meilleure configuration possible pour les forces de sécurité qui savent qui il est’
Dans certaines enquêtes, la police ou le Shin Bet mettent ce type d’ordonnance en place pour empêcher le ou les suspects de savoir que les forces de l’ordre sont à leurs trousses.
“C’est un avantage immense”, avait déclaré un ancien haut-responsable de la police au Times of Israel au début de l’année.
“[Le suspect] pense encore être en cavale, que personne ne connaît son identité, ce qui est la meilleure configuration possible pour les forces de sécurité qui savent qui il est”, avait expliqué l’ancien officier de police.
Cette considération ne s’applique pas, manifestement, dans l’affaire de l’attentat terroriste de dimanche dans la mesure où l’assaillant lui-même a été tué par les forces de sécurité et que les informations le concernant ont d’ores et déjà été publiées et sont restées disponibles sur Internet.
Interrogé sur l’ordonnance de non-publication, un porte-parole de la police a indiqué qu’il y avait des “raisons manifestes” justifiant son adoption mais il a reconnu “ne pas les connaître”.
Ce qu’une telle ordonnance peut également apporter aux forces de maintien de l’ordre est également de garder le contrôle sur les détails à rendre publics – où à taire a contrario.
Si toutes les informations concernant un dossier sont placées sous la discrétion d’une telle ordonnance, alors la police, les services sécuritaires du Shin Bet ou l’armée peuvent empêcher la publication d’informations embarrassantes ou préjudiciables sous la menace de poursuites judiciaires.
Le tireur n’aurait pas dû se trouver à Jérusalem ce dimanche matin. Il aurait dû se trouver en prison à Ramle au moment de l’attaque. Et pourtant, en raison d’une série d’apparentes erreurs commises par la police et par le système judiciaire, le terroriste se trouvait dans les rues de Jérusalem, armé d’une carabine.
L’ordonnance de non-publication est susceptible d’empêcher un suivi plus spécifique, informé et complet sur ces aspects pour le moins embarrassants – pour les services sécuritaires – du dossier.
Tandis que certains détails de l’affaire ont été rendus publics, de nombreux autres doivent encore l’être et sous les termes de cette ordonnance de trente jours, ils pourraient rester tus pendant encore un moment, longtemps après que l’intérêt porté par l’opinion publique à l’attentat ait diminué.
Au cours de ces dernières années, les requêtes d’ordonnances de non-publication sont devenues de rigueur pour la police, indépendamment des préjudices potentiels de l’information pour la sécurité nationale, et les magistrats les ont approuvés sans prendre en compte de manière rigoureuse le droit à l’information du public, estime Shwartz Altshuler.
Pendant des années, le pays s’est appuyé sur la censure militaire pour maintenir les secrets d’Etat, mais dans les années 1980, la Haute Cour a limité la censure, empêchant seulement la divulgation d’informations qui « seraient directement préjudiciables à la sécurité nationale », explique Shwartz Altshuler.
Ainsi, la police, aux côtés de l’armée et des services de sécurité du Shin Bet, a commencé à avoir recours aux ordonnances de non-publication qui sont sujettes à moins de vigilance judiciaire que la censure militaire, dit-elle.
« Nous avons constaté une forte augmentation du nombre d’ordonnances émises », ajoute Shwartz Altshuler.
Les chiffres exacts sur le nombre d’ordonnances de non-publication, chaque année, reste difficile, sinon impossible, à définir dans la mesure où un grand nombre de données s’y référant n’entrent pas dans le cadre des requêtes relevant de la liberté d’informer.
Toutefois, l’information qui reste disponible – sur la base du nombre d’ordonnances présentées aux médias d’information – souligne que leur nombre a été approximativement multiplié par quatre depuis les années 2000, selon une recherche conduite au début de l’année par Noa Landau alors qu’elle était membre de l’Institut Reuters d’Etude du Journalisme à l’Université d’Oxford (elle est actuellement rédactrice en chef de l’édition anglaise du journal Haaretz).
En l’an 2000, le taux de requêtes visant des ordonnances de non-publication était approximativement de 60 par an, selon les données de l’observatoire des médias The Seventh Eye. En 2015, il y a eu 231 demandes d’ordonnances, selon la recherche faite par Landau.
« La police se dépêche d’obtenir une ordonnance avant même de commencer l’enquête. Parfois, il y a des cas où il n’y a même pas de raison d’ouvrir une enquête, mais ils vont encore chercher, et obtenir, l’ordonnance », indique Shwartz Altshuler.
Par exemple, la police a demandé et reçu une ordonnance de non-publication dans le cas d’Avraham Mengistu, un Israélien qui était entré à Gaza il y a deux ans et qui serait retenu en captivité par le Hamas, en dépit du fait qu’il n’a pas nécessairement commis un crime exigeant une enquête (l’information a été ultérieurement autorisée à la publication).
Certains juges n’ont tout simplement pas l’instruction numérique pour comprendre comment s’effectue le partage médiatique en 2016, dit-elle.
Dans certains cas, les forces de maintien de l’ordre cherchent délibérément des magistrats dans les endroits les plus reculés du pays, plus impressionnables face à l’importance de l’enquête et par conséquent moins enclins à interroger la nécessité d’une ordonnance de non-publication, poursuit Shwartz Altshuler.
La solution à l’augmentation des ordonnances, qui sont souvent délivrées sans réelle prise en compte, est de repenser le système qui en est responsable, dit-elle.
« Le juge devrait demander : ‘Pourquoi cela ne peut-il pas être publié ? Pourquoi cela causerait un problème ?' »
Shwartz Altshuler, avec son co-auteur Guy Lurie, prône l’établissement d’un organisme légal consacré à la gestion des ordonnances de non-publication. Ces magistrats devraient ainsi revoir les dossiers tous les 24 heures, contrairement au système actuel qui délivre des ordonnances courant jusqu’à un mois.
« A quel niveau de stupidité se situe un juge lorsqu’il émet une ordonnance de non-publication pour 30 jours ? Que pensez-vous qu’il va arriver ? » demande Shwartz Altshuler.
Dans la proposition formulée par Shwartz Altshuler et Lurie, l’enquêteur réclamant l’ordonnance devra spécifier quelles sont les informations sensibles, au lieu d’obtenir simplement une interdiction totale.
“Le juge devrait se demander : ‘Pourquoi cela ne peut-il pas être publié ? Pourquoi cela causerait-il un problème ?’ « , dit-elle.
« Et en fin de compte, les ordonnances ne seront pas les gardiennes parfaites des secrets du pays. Nous ne sommes pas une société des plus discrètes », note Shwartz Altshuler.
« La police, l’armée et le Shin Bet doivent continuer à améliorer leur “sécurité de l’information” et à empêcher les fuites de données véritablement sensibles auprès d’étrangers au lieu de s’appuyer sur les ordonnances de non-publication », indique-t-elle.
“Ils doivent comprendre que si vous dites quelque chose au vent, ce dernier va le confier aux arbres”, conclut Shwartz Altshuler.
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