Affaire Halimi : S’il évoque l’antisémitisme le rapport de l’expert-psychiatre évacue la préméditation, selon Me Buchinger
Quelques jours après la remise de son rapport par l'expert psychiatre, Me Alex Buchinger s'indigne que les actes de tortures et de barbarie, ainsi que la préméditation n'ont pas été pris en compte, même s'il se félicite que le motif antisémite soit évoqué
Journaliste Société-Reportage
Maître Alex Buchinger, avocat de la famille de Sarah Halimi, tuée dans la nuit du 4 avril, n’est pas entièrement satisfait du rapport de l’expert-psychiatre chargé de déterminer la responsabilité pénale de Kobili Traoré, accusé du meurtre de la sexagénaire d’origine juive.
Il lui reproche de « s’être collé aux conclusions du procureur et du juge d’instruction » évacuant la préméditation du crime, la séquestration, les actes de torture et de barbarie.
Il lui reproche aussi d’entretenir un certain flou autour de la motivation antisémite supposée de Traoré, qu’il évoque pourtant sans fard dans son rapport.
Times of Israël : Quel est votre sentiment à la lecture de ce rapport attendu depuis plus de 5 mois ?
Me Alex Buchinger : Je relève des aspects positifs et d’autres moins satisfaisants.
Effectivement, l’expert déclare que le discernement de Kobili Traoré n’était pas aboli mais atténué, et qu’il devra, certes avec une responsabilité atténuée, bien comparaître devant une cour d’Assises.
Le rapport parle de troubles psychiatriques, de psychoses, et de bouffées délirantes, accentués par une consommation massive de cannabis. C’est une circonstance qui vient accentuer sa responsabilité selon l’expert, car il s’agit d’un usage volontaire: on parle d’une quantité oscillant entre 10 et 15 joints quotidien.
En conclusion, sa responsabilité pénale est tout a fait existante. C’est le point positif.
Je le précise, car dans l’affaire Sébastien Sellam – un jeune DJ juif assassiné en 2003 par un Français d’origine marocaine ayant justifié son acte à sa mère en ces termes : ‘J’ai tué un Juif. J’irai au paradis. Allah m’a guidé !’ – le rapport avait été établi par le même expert.
Il avait estimé que le discernement du meurtrier de ce jeune DJ était aboli au moment des faits. Il est donc allé en hôpital psychiatrique, puis il est sorti il y a deux ou trois ans. Aujourd’hui, la mère de la victime croise parfois l’assassin de son fils, car ils habitent le même quartier.
Pour revenir à notre affaire, ce qui me semblait curieux c’est que Traoré avait été mis en examen avant que le rapport ait été transmis au juge d’instruction. Mais à la vue du rapport, je constate que l’expert a rencontré 3 fois Kobili Traoré. Il a fait un gros travail, je comprends pourquoi cela a pris du temps. Il était sans aucun doute en contact avec le juge d’instruction dans le même temps.
L’autre élément que je trouve satisfaisant, mais avec une certaine réserve tout de même, c’est que dans la conclusion de son rapport, que nous avons reçu la semaine dernière, il évoquait ‘une bouffée délirante et antisémite’ ayant conduit au meurtre de Sarah Halimi. L’antisémitisme est donc clairement établi.
Cependant, le point le plus important sur l’antisémitisme formulé dans la conclusion – qui est seule communiquée dans un premier temps et qui peut servir de seule base de travail – est qu’il l’énonce d’une manière générale : ‘on peut avoir une bouffée délirante et commettre un acte antisémite’. Il ne cible donc pas ici clairement notre affaire.
Mais le rapport fait 58 pages, et c’est à la page 54 que le crime de Kobili Traore est défini comme un acte délirant et antisémite. Le problème c’est qu’il ne le dit pas aussi expressément dans la conclusion. Il y explique que chez les sujets musulmans qui ont des troubles psychotiques, souvent dans leur discours revient une forme d’antisémitisme.
D’autre part, il y a un point qui me choque extrêmement, c’est que l’expert tente de raisonner par syllogisme pour conclure qu’il n’a pas eu de préméditation. Je m’explique : le parquet parle de séquestration à propos de la première famille chez qui s’est introduit Traoré, et par le balcon de qui il a pu accéder à celui de Sarah Halimi. On parle de séquestration pour eux, qui n’ont subi aucune violence, mais pas pour Sarah Halimi.
Deuxième point, le juge a retenu l’homicide volontaire, c’est-à-dire le meurtre sans préméditation. Pourtant, il est évident que Traoré a ciblé sa victime, il n’a pas tué la première personne rencontrée. Hors, la justice n’a pas retenu l’assassinat, mais l’homicide volontaire sans préméditation.
L’expert raisonne donc par syllogisme : en conclusion, après avoir dit que c’est un acte dément, et qu’elle n’a certainement pas été visée sciemment en tant que juive, il accrédite la thèse du meurtre fortuit.
L’expert se contredit-il alors ?
Je ne dis pas qu’il se contredit. Mais lorsqu’il dit que Traoré n’a pas nécessairement choisi sa victime, il reprend les éléments que Traoré a avancés durant sa garde à vue.
Il a expliqué durant celle-ci qu’il est rentré dans l’appartement, qu’il a vu un Sefer Torah et qu’il a su qu’il était dans l’appartement d’une personne juive, d’où l’homicide volontaire sans préméditation. La rage antisémite serait donc apparue à la découverte de l’appartement.
Mais c’est absolument contraire à la vérité. Si on ne peut pas contester, je pense, la bouffé délirante, on ne peut nier que Sarah Halimi a été recherchée et tuée parce que juive. C’est là-dessus qu’on va se battre. il ne s’agit pas d’un meurtre mais d’un assassinat.
A ce stade l’avocat de la défense peut-il demander une contre-expertise psychiatrique ?
Oui, tout à fait, ce n’est pas impossible parce que ce rapport n’est pas fait pour arranger la situation du mis en examen.
L’acte de torture et de barbarie n’a pas été non plus retenu…
L’acte de torture et de barbarie n’a pas été retenu par le procureur, qui n’avait pas encore les éléments de l’enquête et de l’expertise. Mais plus préoccupant, il n’a pas été retenu par le juge d’instruction 4 mois plus tard qui avait tous les éléments en main.
Pourtant, je me souviens sur place de la réaction de la substitut du procureur après avoir constaté les faits : « Cette pauvre femme a terriblement souffert ».
Il faut savoir que Traoré a donné tellement de coups à sa victime qu’il a eu une érosion des poings, et il a fallu le soigner pour cela !
Un voisin qui a assisté à la scène sur le balcon a été traumatisé à tel point qu’il a du être pris en charge par une cellule d’aide psychologique.
Mais j’ai le sentiment que l’expert, qui a fait un gros travail il faut le reconnaître, a essayé de coller au rapport du juge d’instruction, et ce n’est pas admissible.
L’expert était-il censé se prononcer sur le motif antisémite ?
Cela n’entrait pas expressément dans sa mission, mais il ne pouvait pas vraiment se dérober.
Quand les Assises devraient-elles avoir lieu ?
Pas avant un an et demi minimum. En réalité nous ne sommes qu’au début de l’instruction. Traoré n’a pas encore été entendu. Il va maintenant y avoir des convocations, des enquêtes.
A mon avis, ce sera un procès pour 2019.
En attendant, je vais demander par voie de demande d’actes de procédure au juge d’instruction de prendre en compte l’assassinat, la séquestration, les actes de torture et de barbarie et l’antisémitisme comme circonstance aggravante.