Après les émeutes dans les villes mixtes, les initiatives de paix sont urgentes
Des activistes ont souligné que les violences à Lod et ailleurs ont mis en exergue le défi de construire une société partagée et se battent pour un financement à long-terme
Les violences intercommunautaires qui ont frappé les villes israéliennes, le mois dernier, ont donné un nouveau sentiment d’urgence aux organisations qui œuvrent à renforcer les efforts de paix israélo-palestiniens et la coexistence entre Juifs et Arabes, après des affrontements qui ont entraîné l’horreur dans le pays et qui ont levé le voile sur les tensions grondant sous la surface depuis longtemps.
Les divisions sociétales ne sont pas nécessairement nouvelles et cela fait longtemps que les activistes tentent d’apaiser les tensions entre Juifs et Arabes israéliens d’un côté, et Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza de l’autre. Parmi les programmes œuvrant dans cet objectif, l’initiative Tech2Peace, qui combine technologie et formation entrepreneuriale en organisant des séminaires de résolution des conflits pour construire des relations basées sur la collaboration.
« Les violences ont dit au reste du monde ce que nous savions déjà, à savoir que ce travail a un caractère d’urgence », explique Meredith Rothbart, co-fondatrice et directrice-générale d’Amal-Tikva, une organisation qui rassemble experts sur le terrain, organisations, philanthropes et activistes désireux de soutenir la construction de la paix israélo-palestinienne.
Tandis qu’un grand nombre d’efforts entrent dans la catégorie de cette construction patiente de la paix entre Israéliens et Palestiniens, plusieurs groupes impliqués dans le secteur tentent de renforcer le dialogue entre Juifs et Arabes israéliens par le biais de programmes collaboratifs sociétaux.
Certaines initiatives utilisent la technologie pour renforcer les liens tandis que d’autres accordent plus de place au dialogue. Certaines existent seulement sur le territoire israélien, et d’autres s’étendent au-delà des frontières du seul État juif.
Toutes ces initiatives avaient semblé partir en fumée au mois de mai, lorsque des violences entre bandes avaient éclaté dans les villes mixtes de tout Israël et que des voisins juifs et arabes s’étaient affrontés avec brutalité – des émeutes émaillées de scènes de pillage, d’actes de vandalisme, d’agressions et de mises à feu volontaires.
« En termes de violences entre les citoyens – entre les civils – ces événements ont brisé le cœur des activistes vétérans qui se battent pour la paix et ils se sont interrogés : ‘Est-ce que tout le travail que nous avons fait a donc été vain ?’, » déclare Amitai Abouzaglo, directeur de l’engagement international à Amal-Tikva. « Il faut ainsi se demander que faire de ce désespoir que nous constatons, que faire de cette déception ».
Il ajoute qu’en remplaçant les actions politiques violentes par l’empathie et la sensibilisation à l’Histoire, les Israéliens et les Palestiniens pourraient avoir la possibilité de vivre une nouvelle réalité ancrée dans la coexistence.
« La sagesse à tirer aujourd’hui, c’est que la construction de la paix est un investissement à long-terme et que ce n’est pas un investissement à long-terme que nous pouvons nous permettre d’attendre longtemps », note Abouzaglo. « C’est un investissement à long-terme qui doit être fait chaque jour, encore et encore ».
Même s’il y a toujours eu un sentiment d’urgence s’agissant de renforcer la paix et les efforts de promotion d’une société partagée entre Israéliens et Palestiniens, les violences du mois dernier ont mis ce sentiment à nu, estime John Lyndon, directeur de l’Alliance pour la paix au Moyen-Orient (ALLMEP), un réseau regroupant environ 150 organisations à but non-lucratif et autres groupes travaillant avec les Israéliens et avec les Palestiniens.
« Ce qui a été nouveau, c’est ce type de flambée de violences intercommunautaires dans des villes mixtes, à l’intérieur d’Israël – en parallèle avec l’escalade qui avait lieu dans les cieux au même moment », dit Lyndon, faisant référence aux tirs de roquettes du Hamas et aux frappes aériennes de Tsahal qui ont marqué onze jours de combats intenses à Gaza et à ses alentours.
« Nous avons constaté une relation entre la violence aigue de la guerre et ce genre de violences de rue dans des endroits où les citoyens juifs et arabes doivent partager les espaces civiques, et c’est très dangereux parce qu’une fois que le mauvais génie s’échappe de sa bouteille – et comme c’est le cas habituellement dans ce type de violences sectaires – il est très difficile de l’y faire re-rentrer ».
Un point positif de ces violences, reconnaît Rothbart, est que l’attention portée aux groupes qui s’efforcent de construire une meilleure société et de combattre la violences par le biais de la coopération et de la coexistence s’est renforcée. Elle exprime son espoir que cet intérêt puisse amener un plus grand nombre de personnes à s’impliquer dans cet ouvrage.
« En fait », ajoute-t-elle, « le fait que les gens prennent davantage conscience aujourd’hui des choses peut, avec un peu de chance, aider à faire de la construction de la paix une priorité ».
Intensification des efforts
Après l’apparition des violences dans les rues du pays, Rothbart explique qu’Amal-Tikva a immédiatement évalué les besoins sur le terrain et ce qui pouvait être réalisé pour offrir aux activistes de la paix un soutien bien nécessaire dans leur travail.
« Nous avons réuni notre équipe et pris deux jours, en pleine guerre, pour réévaluer le caractère approprié de notre stratégie et pour déterminer de la nécessité, pour nous, d’intervenir en urgence », explique Rothbart. « Nous avons finalement décidé de conserver la même stratégie, nous avons conclu que ce que nous faisions était ancré sur le terrain et que ça allait dans le bon sens… Ce n’est pas parce que la situation devenait plus violente que les choses avaient changé – c’est simplement qu’elle est apparue aux yeux de tous de manière plus visible ».
Un rapport établi en 2020 par Amal-Tikva avait souligné un grave manque de financement des groupes consacrant leurs activités à la coexistence et à la construction de la paix – limitant le développement et les opportunités dans tout ce secteur.
Pour s’attaquer à certaines pénuries de fonds, le congrès américain a adopté, au mois de décembre, la loi consacrée au partenariat pour la paix au Moyen-Orient Nita M. Lowey – qui prévoit l’investissement, par le gouvernement américain, de 250 millions de dollars pour financer des initiatives de paix et de réconciliation entre Israéliens et Palestiniens et entre Juifs et Arabes sur le territoire israélien – sur une période de cinq ans.
Amal-Tikva aide à préparer les activistes de la construction de la paix à recevoir l’argent du fonds Lowey américain – le groupe assiste aussi des groupes comme Tech2Peace – en aidant les organisations à se professionnaliser, à s’améliorer et à renforcer leurs capacités d’action. Et les violences du mois dernier ont servi de rappel sévère de la difficulté et de l’importance du développement de ces mêmes capacités d’action sur le terrain.
Alors que les organisations se préparent à recevoir le financement prévu dans le cadre de la loi américaine, Rothbart indique qu’Amal-Tikva vient tout juste de lancer la formation de ses activistes en vue du programme Fieldbuilding 360, une initiative qui rassemble des organisations œuvrant dans la paix et dans la coexistence, pour les aider à établir des stratégies et à se soutenir les unes les autres – une sorte d’accélérateur de start-ups, mais qui s’adresse à des ONGs.
Elle explique que la planification entre les ONGs et la publication de manuels pour aider les groupes à mettre en place des stratégies se sont renforcés, comme c’est le cas également des stages et des programmes d’encadrement.
Mais tandis que les groupes expliquent que l’argent de la loi Lowey pourrait bien aider à guérir les maux qui se sont crûment exposés pendant les violences et empêcher un retour à une situation de statu quo, cet argent ne sera disponible qu’à la fin de l’année 2021.
Avec un sentiment d’urgence accru, l’ALLMEP – qui a exercé des pressions en faveur de la création du Fonds Lowey – et son instance constituée de plus de 150 ONGs œuvrant dans la construction de la paix ont demandé au début du mois que le sujet d’un éventuel Fonds international pour la paix israélo-palestinienne soit discuté lors du sommet du G7, au Royaume-Uni, au milieu du mois de juin.
Le Fonds – dont le modèle se baserait sur le Fonds international pour l’Irlande – serait créé de manière à financer des initiatives permettant de créer la confiance entre Israéliens et Palestiniens et entre Juifs et Arabes sur le territoire israélien par le biais de l’engagement civique et de programmes de réconciliation.
Le Royaume-Uni a approuvé l’idée de la mise en place d’un tel fonds il y a deux ans. Récemment, 65 parlementaires issus de tous les partis ont signé un courrier recommandant vivement au secrétaire aux Affaires étrangères Dominic Raab de travailler avec les États-Unis pour la mise en place de ce projet.
Lyndon note qu’un fonds international et partagé présenterait des avantages par rapport à un fonds octroyé par un pays donateur individuel, permettant un versement des ressources plus efficace. Ce serait également un moyen plus centralisé pour évaluer et contrôler les progrès réalisés.
Une approche multilatérale en faveur d’une initiative de financement durable et à long-terme de la part des alliés américains, dans toute la communauté internationale, pourrait répondre à l’urgence et débloquer plus rapidement des ressources bien nécessaires, continue-t-il. Elle pourrait aussi aider à mobiliser le monde sur la question des efforts de paix israélo-palestiniens.
« La vérité déterminante de cette législation, c’est qu’elle n’est pas une aide au développement mais bien un outil politique », dit Lyndon. « Je pense que les gens doivent réfléchir à ça de cette façon plutôt qu’à la manière dont réfléchissent par ailleurs de nombreuses agences au développement – qui sont excellentes dans d’autres domaines. Il faut placer cette loi au service d’objectifs politiques et si elle peut être mise en œuvre sous la forme d’une approche multinationale de ce type, elle peut finalement donner lieu à l’établissement d’une stratégie internationale autour du conflit palestinien – c’est ce qui manque depuis très longtemps », ajoute-t-il.