Bereshit s’est certes écrasée, mais elle nous a fait lever les yeux vers le ciel
Bien que la capsule spatiale israélienne ne se soit pas posée sur la Lune, elle nous a permis de regarder au-delà des frontières de notre petit monde et de nous faire rêver
Récemment, quelqu’un de mon quartier de Tel Aviv a peint à la bombe sur les murs des bâtiments, au parc canin et à la gare locale la question suivante : « Avez-vous regardé le ciel aujourd’hui ? » Avez-vous regardé le ciel aujourd’hui ? On nous invite ainsi à lâcher notre téléphone et à lever les yeux un instant pour voir ce qui se passe autour de nous.
Au cours des deux derniers mois, je me suis retrouvée à lever davantage les yeux vers le ciel, en suivant la trajectoire du voyage elliptique de Bereshit vers la Lune.
Au cours de ces deux mois, alors qu’Israël était plongé dans des élections ayant semé la discorde et failli déclencher une guerre dans la bande de Gaza, un groupe d’ingénieurs passionnés a tenté de déplacer le regard du pays entier vers le ciel, pour voir l’univers au-delà des frontières de notre pays et de notre planète.
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Alors que le monde entier et nous-mêmes observions jeudi soir, retenant collectivement notre souffle dans l’attente qu’Israël devienne le quatrième pays à se poser sur la Lune, Bereshit s’est écrasée sur la surface lunaire et s’est fragmentée en mille morceaux.
La manœuvre d’approche s’est déroulée à la perfection et a suscité un grand enthousiasme au moment où l’engin spatial a franchi le point de non-retour, ce qui signifiait que l’alunissage automatique était enclenché et qu’il était impossible de faire marche arrière. Mais la communication avec le vaisseau spatial se mit à vaciller.
La tension est montée, mais tout s’est passé si vite que les présentateurs de la soirée, Ido Antebby de SpaceIL et Opher Doron d’Israel Aerospace Industries, ont à peine eu l’occasion d’expliquer ce qui s’était passé.
Le moteur principal avait cessé de fonctionner, puis miraculeusement, s’est remis en marche. Certains participants applaudirent, mais Ehud Hayun, un ingénieur des systèmes spatiaux de l’IAI assis à côté de moi, savait déjà que c’était fini. L’engin spatial était trop près de la surface pour ralentir correctement sa descente et tomber doucement au sol.
« Nous craignons de ne pas nous être posés de la meilleure façon possible », déclara froidement à 22 h 24 Alex Friedman, l’ingénieur des systèmes qui supervise la salle de commande.
Les ingénieurs, stoïques comme toujours, ne manifestèrent guère d’émotion, car il devenait évident que leur projet, sur lequel certains avaient travaillé pendant plus de huit ans, venait de se fracasser sur la zone où il devait se poser.
Avez-vous regardé le ciel aujourd’hui ? Avez-vous regardé la lune ?
Quelque part, là-haut, se trouvent les restes d’une idée folle lancée par trois amis dans un bar de Holon et qui recueillit 100 millions de dollars de dons, mobilisa une équipe de dizaines d’ingénieurs et attira l’attention d’Israël et du monde.
Que signifie échouer ? Que signifie avoir le courage, l’audace, de se lever et de dire, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer d’aller sur la Lune ?
Au cours des deux derniers mois, alors que je suivais chaque contretemps, chaque manœuvre et chaque selfie de la sonde, je ne me suis pas seulement trouvée plongée dans les nouvelles quotidiennes de ce pays, mais à regarder le ciel et à me rappeler que ce pays est un petit point sur une petite planète au milieu de l’univers entier.
C’est la petitesse que j’avais l’habitude de ressentir en dévorant les exemplaires abîmés des livres de science-fiction d’Isaac Asimov de mon père : comme c’est beau de rêver à ce qui peut exister au-delà de notre horizon. Comme il est crucial de se rappeler à quel point nous sommes petits et sans importance. Comme c’est beau de se rendre compte que le monde extérieur est plus vaste que ce que nous pouvons voir.
Plus d’un million d’élèves israéliens ont passé du temps à l’école à se familiariser avec Bereshit, soit par le biais de présentations de l’armée d’éducateurs de SpaceIL (l’organisation à but non lucratif emploie plus d’éducateurs que d’ingénieurs), soit grâce aux kits pédagogiques mis à disposition gratuitement sur le site Web de SpaceIL. Même en écrivant des articles, j’en ai appris tellement plus sur l’espace et la physique que je ne l’aurais jamais cru.
À un moment donné, entre une conversation sur le périlune (point le plus proche de l’orbite elliptique autour de la Lune) et l’apilune (point le plus éloigné), et en essayant de faire la différence entre orbites géostationnaires et géosynchrones, j’ai réalisé qu’en dépit de mon insistance provocante à dire le contraire, ma professeure de géométrie de seconde, Mme Haupt, avait raison. Un jour, j’aurais besoin de connaître la géométrie de base.
Mon voisin, Yisrael, ne comprend pas toute cette agitation. Il n’arrive pas à s’en remettre : 100 millions de dollars ! Qu’en est-il de tous les affamés d’Israël ? demande-t-il. Peu importe que Bereshit n’ait coûté qu’une fraction des 1,5 milliard de dollars estimés pour chaque mission Apollo. Pourquoi ne pas prendre cet argent et construire un hôpital ou quelque chose de plus pratique ? Yisrael a passé toute sa vie à travailler de ses mains, à construire des choses, à créer des objets concrets que vous pouvez toucher.
J’ai essayé d’expliquer à Yisraël pourquoi j’ai adoré écrire sur ce petit vaisseau qui a sillonné l’espace, sur les subtilités des orbites elliptiques, sur l’attraction de la gravité lunaire et sur le problème croissant des déchets spatiaux.
Mais j’ai aussi eu du mal à trouver les mots. Pouvez-vous donner une valeur monétaire à l’inspiration ? Est-il rentable de convaincre une jeune fille qu’elle peut devenir ingénieure spatiale quand elle sera grande ? En fin de compte, je n’ai pu que dire à Yisraël, pouvez-vous imaginer une chose plus belle qu’un groupe d’amis croyant qu’ils peuvent envoyer quelque chose sur la Lune ? Pouvez-vous donner un prix à la beauté ?
Dans les instants qui ont suivi l’annonce de Friedman, après que l’écran qui montrait la position de l’engin spatial soit revenu à l’arrière-plan de l’ordinateur de bureau de quelqu’un, nous n’arrivions pas à croire que Bereshit s’était écrasée.
C’est étrange de perdre quelque chose qu’on n’a jamais touché.
Que signifie échouer ? L’espace est difficile, me dit Hayun, avec un soupir et un haussement d’épaules, juste quelques instants après le crash de la sonde. Des caméras étaient déjà braquées sur lui, attendant de lui demander ce qu’il ressentait, ce que ça faisait de perdre le projet pour lequel il avait travaillé si dur. L’espace est un défi.
Peut-être que la leçon que nous devrions tirer de Bereshit n’est pas le fait qu’elle ait échoué, mais le fait que nous ayons tout de même essayé. Que pendant un instant, nous avons élargi nos horizons au-delà de nos vies minuscules, élargissant le champ de notre monde jusqu’à un point situé à 400 000 kilomètres de distance, nous unissant à des millions de personnes pour suivre la trajectoire d’un rêve fou.
Avez-vous regardé le ciel aujourd’hui ?
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