Blinken veut forcer Israël à dire qu’il n’a pas l’intention d’assiéger le nord de Gaza ; Netanyahu refuse
Netanyahu et le secrétaire d'État américain ont évoqué la question d'un accord sur les otages suite à la mort de Sinwar ; pour Gallant , Tsahal continuera à lutter contre le Hezbollah
Dans le but de tirer parti de l’assassinat du chef du Hamas Yahya Sinwar, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le Secrétaire d’État américain Antony Blinken se sont rencontrés mardi pour évoquer la voie à suivre en vue de la conclusion d’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages à Gaza, ainsi que la situation humanitaire dans le nord de la bande de Gaza et la possibilité d’agir conjointement contre l’Iran.
Selon un membre des autorités américaines, Netanyahu aurait malgré tout une nouvelle fois déçu Washington en assurant à Blinken, en privé, qu’Israël n’avait pas dans l’idée d’isoler le nord de Gaza, tout en refusant de le dire officiellement.
Selon le porte-parole du Département d’État américain, Matthew Miller, Blinken « a souligné la nécessité de capitaliser sur les réussites d’Israël pour traduire Yahya Sinwar en justice tout en obtenant la libération des otages et en mettant fin au conflit à Gaza ».
Selon le compte-rendu israélien, de la même teneur, de cette réunion d’une durée de deux heures et demie, Netanyahu aurait dit que la mort de Sinwar « pourrait avoir un effet positif sur la libération des otages et la réalisation de tous les objectifs de la guerre ».
Selon les États-Unis, Sinwar était le principal obstacle à la conclusion d’un accord. D’ailleurs, des membres des autorités israéliennes ont déclaré la semaine dernière au Times of Israel qu’il avait toujours rejeté toute tentative en la matière.
Aucune discussion majeure n’a été programmée dans les jours qui ont suivi la mort de Sinwar, mais le chef du Shin Bet, Ronen Bar, se trouve au Caire depuis hier pour évoquer de nouvelles pistes d’accord.
Les autorités israéliennes envisagent à la fois l’éventualité d’un accord de portée limité prévoyant la libération de quelques otages et un court cessez-le-feu et celle d’un accord plus global susceptible de mettre fin à la guerre au Liban et à Gaza tout en garantissant la libération de tous les otages.
Les États-Unis, l’Égypte et le Qatar ont, des mois durant, organisé des pourparlers indirects entre Israël et le Hamas pour tenter de faire advenir un accord aux termes duquel l’organisation terroriste aurait libéré des dizaines d’otages en échange d’un cessez-le-feu durable et de la libération des prisonniers palestiniens de sécurité.
Le cabinet de Netanyahu a qualifié cette dernière réunion en date d’ « amicale et productive ».
Le Premier ministre et le Secrétaire d’État ont également discuté des projets d’après-guerre à Gaza, un sujet que Netanyahu se montre réticent à évoquer publiquement. Toutefois, le compte-rendu israélien de la réunion indique que Netanyahu a indiqué que la mort de Sinwar pourrait également avoir un impact positif sur la préparation de « l’après-guerre ».
Sans le dire, Israël envisagerait de remplacer le régime civil du Hamas à Gaza, ont confié au Times of Israel des membres des autorités israéliennes, par exemple en ayant recours à des sociétés de sécurité privées étrangères pour distribuer l’aide humanitaire.
Selon Miller, Blinken a évoqué « l’importance d’ouvrir une nouvelle voie d’avenir dans la période post-conflit qui permette aux Palestiniens de se reconstruire et de mettre en place une nouvelle gouvernance, de rétablir la sécurité et de reconstruire Gaza ».
Il a également « souligné la nécessité pour Israël de prendre davantage de mesures pour augmenter et maintenir le flux d’aide humanitaire à Gaza et s’assurer que l’aide parvienne aux civils partout dans tout le pays ».
Un membre des autorités américaines a dit aux journalistes, sous couvert d’anonymat, que lors de cette réunion, Netanyahu avait pris acte du caractère « sérieux » des demandes américaines concernant l’augmentation de l’aide aux Palestiniens de Gaza.
« Ils ont pris acte du sérieux de nos préoccupations face à la situation et se sont engagés à y répondre en prenant les mesures qu’elles appellent », a-t-il déclaré.
Blinken a également évoqué avec Netanyahu les mécanismes à mettre en place, y compris les « structures de transition » nécessaires à la gouvernance d’après-guerre à Gaza, a précisé les membres des autorités américaines.
Récemment, aucune forme d’aide n’a été autorisée par Israël, dans le nord de Gaza, durant deux semaines, ce qui a amené les organisations d’aide et gouvernements à tirer la sonnette d’alarme sur le danger qui guette dans le nord de Gaza, où plusieurs centaines de milliers de Palestiniens sont supposés se trouver.
L’administration du président américain Joe Biden a également publié une lettre disant que la livraison d’armes offensives américaines à Israël serait menacée si Jérusalem ne prenait pas des mesures significatives pour lutter contre la crise humanitaire d’ici la mi-novembre.
L’interruption de l’aide aurait contribué à la circulation de rumeurs selon lesquelles Israël mettait en œuvre son « General’s plan » de siège du nord de Gaza.
L’armée israélienne a démenti et déclaré mardi avoir autorisé l’entrée de 237 camions à Gaza ces neuf derniers jours suite à la directive de l’échelon politique.
Netanyahu n’a toutefois pas encore renoncé à ce projet, et un ancien chef adjoint du Conseil de sécurité nationale accuse le cabinet de sécurité d’avoir secrètement approuvé cette proposition des plus controversées, qu’il a qualifiée de « crime de guerre ».
Lors de leurs réunions, mardi, Netanyahu et le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, ont répété qu’Israël ne mettait pas en œuvre un tel projet et que tout propos contraire portait gravement préjudice à l’image d’Israël sur la scène internationale, a indiqué au Times of Israel un membre des autorités américaines.
Blinken a demandé à Netanyahu de clarifier ce point officiellement, ce à quoi le Premier ministre israélien et ses conseillers se sont opposés, a-t-il ajouté.
Cette nouvelle hésitation illustre, une nouvelle fois, la déception des États-Unis envers le Premier ministre israélien, qui, selon Washington, dit en privé aux autorités américaines ce qu’elles souhaitent entendre sans jamais en faire d’annonces officielles, de crainte de s’aliéner les partenaires de sa coalition d’extrême droite, garants de son maintien au pouvoir.
Il s’agit du 11e déplacement de Blinken dans la région depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Cette visite, qui compte plusieurs escales dans des pays arabes alliés, a lieu deux semaines avant une élection présidentielle très disputée aux États-Unis.
Les deux hommes ont également discuté de l’expansion de l’opération israélienne au Liban, alors que les forces terrestres continuent de détruire les infrastructures du Hezbollah situées le long de la frontière et que l’armée de l’air israélienne mène des frappes aériennes dans le sud du Liban et à Beyrouth.
M. Miller a déclaré qu’ils avaient passé en revue « les initiatives en cours pour parvenir à une solution diplomatique le long de la Ligne bleue, qui inclut la mise en œuvre complète de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU et permet aux civils des deux côtés de la frontière de rentrer chez eux ».
Cette Ligne bleue longe la frontière israélo-libanaise et la résolution de 2006, grandement inappliquée, stipule que le Hezbollah ne peut avoir de présence armée à moins de 30 kilomètres de cette dernière.
Netanyahu a souligné la nécessité d’un « changement sécuritaire et politique » le long de la frontière nord d’Israël, a déclaré le cabinet du Premier ministre.
S’agissant de la menace iranienne au sens large, Netanyahu a évoqué « la nécessité pour les deux pays d’unir leurs forces contre » Téhéran et a remercié Blinken du soutien des États-Unis « dans la lutte contre l’axe du mal et du terrorisme de l’Iran », peut-on lire dans le communiqué israélien.
Le compte-rendu note que Blinken a exprimé son « choc » face à la « tentative iranienne d’assassinat du Premier ministre d’Israël par l’intermédiaire du Hezbollah » lors d’une frappe de drone sur la maison de Netanyahu, à Césarée, ce week-end, ajoutant qu’il s’agissait d’une attaque très grave et sans précédent. Netanyahu et sa femme ne se trouvaient pas chez eux au moment de l’attaque.
Netanyahu a remercié Blinken et dit que cette attaque ne pourrait pas être laissée sans réponse.
Blinken a également rencontré d’autres hauts responsables, dont le président Isaac Herzog et le ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que des familles d’otages.
Selon un communiqué du Forum des otages et des familles de disparus, les familles ont demandé à Blinken d' »exercer davantage de pression sur les pays médiateurs, en particulier le Qatar, afin de relancer les négociations et tirer parti de l’élimination de Sinwar pour conclure un accord et faire libérer tous les otages », notant que l’émirat du Golfe accueillait les dirigeants du Hamas.
Selon le cabinet de Gallant, ce dernier aurait dit à Blinken qu’Israël « continuera d’attaquer toutes les unités du Hezbollah » même après la fin de l’opération terrestre, jusqu’à ce que les habitants du nord d’Israël puissent rentrer chez eux et que les forces du Hezbollah se retirent du sud du Liban.
Il aurait également dit qu’il était crucial que les États-Unis se tiennent aux côtés d’Israël après que l’État juif a frappé l’Iran en représailles à l’attaque du 1er octobre au cours de laquelle Téhéran a lancé quelque 200 missiles balistiques sur l’État juif.
« La solidarité des États-Unis avec Israël après notre attaque en Iran va renforcer la dissuasion régionale et affaiblir l’axe du mal », a déclaré Gallant, selon son cabinet.
Un responsable qui avait pris place à bord de l’avion de Blinken a déclaré qu’il découragerait toute action israélienne contre l’Iran susceptible d’aggraver le conflit régional.
Blinken devait se rendre en Arabie saoudite mercredi pour des pourparlers sur la normalisation avec Israël, un changement notable par rapport à son projet initial de se rendre en Jordanie, a déclaré un responsable américain à la presse, sous couvert d’anonymat, attribuant ce changement à des problèmes de calendrier.
L’accord de normalisation est considéré comme moribond, car Ryad le subordonne désormais à la création d’un État palestinien – ce qui est impossible pour Israël.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a lui aussi parcouru la région, ces derniers jours, pour tenter de renforcer ses soutiens avant de possibles représailles israéliennes. S’exprimant mardi depuis le Koweït, il a déclaré que les pays arabes du Golfe lui avaient assuré qu’ils ne permettraient pas que leur territoire soit utilisé pour une frappe israélienne.
« Tous les voisins nous ont assuré qu’ils ne permettraient pas que leur sol ou leur espace aérien soient utilisés contre l’Iran », a déclaré Araghchi, selon l’agence de presse officielle IRNA. « C’est ce que nous attendions de tous les pays amis et voisins et nous y voyons là un signe d’amitié. »
Les pays arabes du Golfe comme les Émirats arabes unis et le Qatar abritent d’importantes installations militaires américaines, et l’on craint qu’une guerre régionale totale ne les implique.
L’Iran a promis à plusieurs reprises de riposter à toute frappe israélienne.
Blinken a atterri quelques heures seulement après que le Hezbollah a tiré des roquettes sur le centre d’Israël, ce qui a déclenché des alertes aériennes dans les zones les plus peuplées du pays ainsi que son aéroport international, sans toutefois faire de dégâts ou de blessés.
L’armée israélienne a déclaré avoir intercepté la plupart des cinq projectiles, dont un s’est écrasé dans une zone déserte.
Au total, 65 projectiles ont été tirés depuis le Liban en direction d’Israël mardi, principalement vers le nord du pays.
Parallèlement au voyage de Blinken, l’envoyé spécial des États-Unis, Amos Hochstein, s’est rendu lundi dans la capitale libanaise dans le but de trouver une solution diplomatique aux combats, déclarant aux responsables libanais que le conflit était « devenu incontrôlable ».
Après avoir rencontré le président du Parlement libanais Nabih Berri, un allié du Hezbollah, Hochstein a déclaré que les États-Unis souhaitaient mettre fin au conflit « le plus vite possible ».