Comment les Juifs ont contribué à façonner les 350 ans d’histoire de New York
Un nouveau livre retrace l'histoire du judaïsme new-yorkais, de l'anarchiste Emma Goldman, au syndicat du crime en passant par la juge de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg
Raconter l’histoire des juifs de New York est une entreprise aussi importante que l’Empire State Building, et aussi délicate qu’un pastrami sur du pain de seigle de l’épicerie fine Katz’s Delicatessen.
Mais cette mission a été remplie avec Jewish New York : The Remarkable Story of a City and a People, de l’historienne Deborah Dash Moore.
Publié en octobre dernier, le livre est le fruit d’une collaboration entre Moore, Frederick G.L. Huetwell professeur d’histoire et d’études juives à l’université du Michigan, et ses collègues chercheurs Jeffrey S. Gurock, Annie Polland, Howard B. Rock, Daniel Soyer et Diana L. Linden.
Une enquête qui s’étend sur plus de 350 ans, depuis l’époque où New York était une colonie hollandaise baptisée New Amsterdam jusqu’à l’indépendance américaine et aux temps de l’immigration.
Parmi les juifs qui ont contribué à écrire l’histoire, mentionnons l’éditeur de journaux Adolph Ochs, qui a fait revivre le New York Times à la fin du 19e siècle, l’anarchiste Emma Goldman, dont la rhétorique enflammée a attiré partisans et détracteurs au début du 20e siècle, et le Dr Jonas Salk du CCNY [City College of New York], qui s’est opposé à l’antisémitisme et a découvert en 1955 le vaccin contre la polio.
L’histoire continue aujourd’hui. Selon une estimation de 2015, la métropole compte plus d’un million de juifs dans ses cinq quartiers de Manhattan, Brooklyn, le Bronx, Queens et Staten Island.
« Le défi d’écrire sur New York ? C’est qu’il s’agit d’une ville qui compte plus de juifs que bien des nations, la plupart des pays européens – Grande-Bretagne, France, Allemagne, Hongrie, Autriche », explique Mme Moore. « Si c’était [une nation], elle ferait l’objet de beaucoup d’attention. »
Originaire de New York, Mme Moore a déclaré : « Je pense que la ville de New York a une histoire particulière qui la rend essentielle pour le développement des États-Unis. C’est la capitale de la culture aux États-Unis – sa puissance économique, politique et culturelle. »
« Vous définissez tous les autres lieux, les autres endroits, par les influences régionales qu’ils ont », dit-elle, mais l’échelle beaucoup plus vaste de New York « permet tant de pluralisme et de diversité ».
Moore est familière des projets d’envergure. Son livre G.I. Jews : How World War II Changed a Generation, sur les quelque 500 000 juifs américains ayant servi pendant la Seconde Guerre mondiale, est à l’origine d’un documentaire qui a été diffusé sur la chaîne américaine PBS cette année.
Elle a déjà abordé l’histoire juive new-yorkaise, notamment en 2012, avec le livre en trois volumes, lauréat du National Jewish Book City of Promises : A History of the Jews of New York. Elle a travaillé comme rédactrice en chef du livre, recrutant les universitaires qui collaboreront plus tard avec elle sur Jewish New York – Gurock, Polland, Rock, Soyer et Linden.
Ensemble, ils ont compilé un compte-rendu complet de l’histoire juive de New York, qui n’avait jamais été écrite auparavant, selon Moore.
Jewish New York est enraciné dans ce projet antérieur. Mme Moore a déclaré que son éditrice à NYU Press, Jennifer Hammer, lui avait demandé de synthétiser les trois volumes en un seul.
« J’ai énormément coupé », dit Moore. « Je me suis appuyée sur les trois volumes, les idées qu’ils contenaient, et parfois le langage utilisé. »
Mais Jewish New York a un caractère distinct. « C’est vraiment un volume unique différent des trois autres », explique Moore.
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Moore a divisé Jewish New York en quatre parties, ainsi qu’un essai visuel de l’historien de l’art Linden. La première partie, qui s’étend des années 1654 – lorsque les premiers juifs arrivèrent à la Nouvelle-Amsterdam, en tant que réfugiés séfarades de Recife, au Brésil – jusqu’en 1865, date de la fin de la guerre civile et de l’assassinat de Lincoln.
Moore a expliqué que les juifs de l’Amérique coloniale et de la première république ont défini « certains critères importants sur la manière dont les juifs de New York allaient s’organiser » – critères contestés par les immigrants de la première moitié du 19e siècle qui ne voulaient pas « une seule synagogue », ce qui a eu pour résultat « toutes sortes de versions alternatives sur la vie juive dans cette ville ».
Les parties centrales du livre retracent les 19e et 20e siècles, y compris l’ère de l’immigration, lorsque les juifs ont fui le Vieux continent pour une Terre promise représentée par Ellis Island et la statue de la liberté. (Moore a souligné que l’idée de New York en tant que terre promise « a fonctionné » parallèlement au sionisme pendant un certain nombre d’années avant les restrictions américaines en matière d’immigration de 1924).
Des quartiers juifs se sont développés – le plus célèbre étant le Lower East Side de Manhattan, – près de 50 % des juifs de la ville vivaient à Brooklyn. Quant au Bronx, les juifs représentaient près de la moitié de la population du quartier juste avant la Grande Dépression.
Les juifs sont devenus la plus grande communauté ethnique de New York, atteignant 2 millions de personnes dans la ville melting-pot.
« Il n’y avait pas de culture majoritaire, pas de population majoritaire », dit Mme Moore. « Les juifs n’étaient pas une minorité. Il n’y avait pas de majorité. Tout le monde était minoritaire à New York… Les communautés avaient différents niveaux de pouvoir à différentes époques, mais il n’y avait pas de culture dominante. »
Dans cette atmosphère, les juifs ont pu apporter des contributions durables dans de nombreux domaines, y compris à l’hôtel de ville.
« Je pense que la politique juive du 20e siècle a duré assez longtemps, jusqu’aux années 90 », dit Moore, dont le livre inclut les trois maires juifs de New York (Abe Beame, Ed Koch et Michael Bloomberg) ainsi que quelques natifs de Brooklyn qui font la Une des journaux en ce moment.
« Une des raisons pour lesquelles je termine le livre avec Bernie Sanders et Ruth Bader Ginsburg, c’est qu’ils sont des exemples de cette trajectoire politique. »
Moore a également souligné ce qu’elle décrit comme le rôle durable de la culture juive, surtout parce qu’elle contribue à la culture américaine.
« Quand on pense à des personnes en particulier, à la façon dont la ville a incorporé dans son paysage la communauté intellectuelle, culturelle et artistique, c’est l’une de ses principales réussites », a-t-elle dit.
On trouve des exemples de ces réussites dans tout New York. Le poème d’Emma Lazarus de 1883 « The New Colossus » [Le nouveau colosse] personnifie la Statue de la Liberté comme un phare d’espoir pour les immigrés les plus démunis. Le « God Bless America » d’Irving Berlin a été chanté lors des conventions présidentielles démocrate et républicaine en 1940.
Moore a qualifié cet impact culturel de « contribution durable à long terme qui continue de se régénérer à mesure que les jeunes grandissent dans la ville, viennent en ville, veulent perpétuer certains aspects de la culture – peinture, photographie, musique, écriture ».
Bien que le livre expose de nombreuses réalisations des juifs de New York au fil des siècles, « il ne s’agit pas seulement d’une célébration », dit Moore.
« Il semblait très important de rappeler aux lecteurs actuels, notamment les juifs de New York, que l’histoire a connu des heures sombres », dit-elle.
Moore a écrit sur les juifs de la période coloniale de New York qui possédaient des esclaves, et sur les juifs de New York au 19e siècle qui exprimaient des sentiments racistes prévalant dans la vie politique de l’époque.
« Ce n’est pas seulement le fait que les juifs possédaient des esclaves jusqu’à la guerre civile, c’était aussi le soutien des démocrates, qui étaient à l’époque les propriétaires d’esclaves », a dit Moore. « Ils n’ont pas voté pour Lincoln. Après sa mort, ils ont changé d’attitude. »
Elle a également parlé des juifs impliqués dans des crimes à New York, en particulier au début du 20e siècle ; le livre indique que le célèbre syndicat Murder, Inc. a ses racines à Brownsville.
« Il y avait du racisme dans les écoles, dans les quartiers, c’était quelque chose dont je devais rendre compte », a-t-elle dit, y compris à Harlem, où la population est passée de juive à afro-américaine.
« Les propriétaires terriens juifs étaient prêts à louer à des Afro-Américains, en partie pour se faire de l’argent, mais les juifs n’étaient pas prêts à vivre à côté des Afro-Américains. C’est une partie importante de l’histoire dont il faut parler. »
Moore a également abordé les problèmes de classe, qui, selon elle, ont parfois conduit à des conflits entre juifs.
« Ce n’était pas qu’externe », dit-elle. « Les juifs ont essayé de se regrouper en syndicats dans l’industrie du vêtement. Ils combattaient des propriétaires juifs, des fabricants. C’était un combat judéo-juif. Il en était de même pour l’effort d’organisation dans les hôpitaux, lorsque les pharmaciens juifs se sont organisés. Il est très important de reconnaître ces différences de classe qui durent jusqu’au 21e siècle ».
Le livre poursuit sa narration jusqu’en 2015, en examinant à la fois la continuité et le changement dans le dernier siècle du New York juif.
En ce qui concerne les changements, Moore se penche particulièrement sur « les changements intervenus dans le choix du lieu de vie et de travail des juifs », notant que les jeunes juifs choisissent souvent de vivre dans des quartiers différents de ceux de leurs grands-parents, dont la population juive est parfois plus réduite. La population juive en général semble augmenter. Après un exode provoqué par l’augmentation de la criminalité dans les années 1970 et 1980, le début des années 2000 a vu la population chuter en dessous du million. Mais à partir de 2015, elle a dépassé ce chiffre.
« New York est en quelque sorte la capitale des juifs américains », dit Moore.
« C’est le cas depuis le début du 20e siècle, avec la fondation du comité juif américain et d’autres organisations qui ont suivi. Ces organisations ne sont plus toutes présentes. Mais c’est la capitale des juifs américains. Elle n’est concurrencée par aucune autre ville », conclut-elle.
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