Israël en guerre - Jour 502

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Être anti-Israël « est tellement à la mode »

Comment une pièce de théâtre sur le 7 octobre a vu – malgré tout – le jour à New York

Les Irlandais Phelim McAleer et Ann McElhinney se sont sentis obligés d'écrire "Oct. 7 : In Their Own Words", dont la production s'est faite dans un environnement hostile

Photo de la piècede théâtre « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)
Photo de la piècede théâtre « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)

Le 7 octobre, les Irlandais Phelim McAleer et Ann McElhinney, mariés à la ville et tous deux journalistes avec en outre une carrière de dramaturges, ont été horrifiés de lire le récit des tortures, viols, enlèvements et massacres d’Israéliens par des terroristes palestiniens.

Le 8 octobre, ils ont découvert avec effroi la façon dont les médias de leur pays d’origine rendaient compte des événements, sans parler des massacres, du nombre toujours plus élevé de morts ou des milliers de roquettes tirées sur Israël, mais du fait qu’Israël avait coupé l’électricité à Gaza, lieu d’origine de ceux qui les avaient envahis. « Comme si c’était là la véritable atrocité », explique McAleer.

« Le lendemain déjà, l’histoire du 7 octobre risquait de sombrer dans l’oubli. »

Au fil des jours, la couverture médiatique a continué de dire sa nette opposition à l’État juif – à l’instar des acteurs du monde de l’art.

Le 18 octobre, 2 000 acteurs et artistes ont signé une lettre condamnant Israël pour « crimes de guerre », sans une seule allusion au Hamas, au pogrom commis en Israël, aux violences, aux otages détenus par l’organisation terroriste ou aux roquettes tirées sur les civils israéliens.

« Alors, dit McAleer, Ann et moi avons pensé que quelqu’un devait écrire mot pour mot ce qui s’était passé. Nous nous sommes regardés et nous nous sommes dit : « Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? »

Le couple s’est rendu en Israël pour interviewer des rescapés et des proches de victimes de ce massacre qui a coûté la vie, dans des circonstances particulièrement violentes, à 1 206 personnes et entrainé la captivité de 251 hommes, femmes et enfants retenus dans la bande de Gaza. Ils en ont tiré une pièce de théâtre reprenant mot à mot ces témoignages.

La pièce, « October 7 : In Their Own Words », s’est jouée à guichets fermés – et avec une forte présence policière, chiens anti-explosifs à l’appui – à l’Université de Princeton le 24 septembre et à UCLA le 7 octobre. D’autres campus américains devraient suivre.

Dès le début de l’année 2024, la pièce était prête et McAleer et McElhinney ont commencé à contacter des théâtres à New York. Pour avoir déjà loué des théâtres, ils pensaient que cela ne poserait pas problème. Ce fut tout le contraire.

Phelim McAleer et Ann McElhinney, qui ont écrit et produit la pièce « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)

« Ce fut une succession interrompue de problèmes, sans parler des refus », explique McAleer en ajoutant que la location de théâtre à New York est d’ordinaire aisée. « Nous avons écrit à tous les théâtres de New York : tous ont refusé. »

L’Actors’ Temple, un théâtre off-Broadway qui fait également office de synagogue, est le seul à New York à leur avoir dit oui.

Une fois la confirmation obtenue, McAleer et McElhinney ont publié une annonce sur Actors Access, site américain spécialisé dans les auditions, pour procéder au casting des acteurs. Rapidement, une discussion a commencé au sein d’un groupe Facebook appelé Theatre Folx of Color, communauté théâtrale en ligne qui se targue de lutter contre les discours de haine et d’être « aimable et courtoise ».

« Nous sommes tous dans le même bateau, traitons tout le monde avec respect », peut-on lire dans la partie « À propos » de ce groupe.

Un membre a publié un message à l’intention des 14 000 abonnés les invitant à « se tenir à distance de ce projet » et qualifiant le témoignage des survivants de « fabriqué de toute pièce ».

D’autres messages ont nié les massacres du Hamas et accusé Israël de la litanie habituelle de mots à la mode et d’insultes. L’un d’entre eux a qualifié les Juifs d’ « agresseurs violents » et affirmé que la pièce faisait partie d’un plan pour susciter « la sympathie envers un apartheid/génocide ». D’autres ont suggéré de manifester contre la pièce ou d’envoyer des courriers haineux à partir d’adresses de courriel anonymes.

Photo tirée de la pièce « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)

Les problèmes de casting ont continué.

McAleer explique que « les acteurs craignaient de participer à cette pièce et que cela nuise à leur carrière – il est tout bonnement impensable qu’une pièce sur l’un des jours les plus sombres de l’histoire juive, à New York, nuise à la carrière de quiconque. Il n’y aurait pas de Broadway sans les Juifs. Il n’y aurait pas de New York sans les Juifs. »

« Ça pourrait nuire à ma carrière, mais merde »

La pièce compte une dizaine d’acteurs qui incarnent 18 personnages, tous de véritables individus interviewés par McAleer et McElhinney en Israël. On y trouve notamment Biliyah Michal, qui a survécu en se cachant sur un toit avec ses enfants et petits-enfants, Michael Zilberman, qui a pris sa voiture pour se rendre dans le sud, au cœur du carnage et sauver sa fille, qu’il avait vue, blessée, dans une vidéo du Hamas publiée sur les réseaux sociaux, ou encore cet homme religieux qui a pris l’initiative de se rendre dans cette zone de mort pour sauver et extraire, à plusieurs reprises, les personnes cachées dans les buissons et fossés qui bordaient le lieu de la rave Nova.

La pièce leur donne la parole, en une sorte de compte-rendu, étape par étape, de cette journée, qui laisse libre cours à l’expression de l’expérience de chacun.

A la fin de la pièce, le public ressent toute l’horreur de la journée, la tragédie, la mort mais aussi le courage de ceux qui se sont sacrifiés et qui ont survécu.

En fin de compte, dit McAleer, « les acteurs qui ont accepté de jouer dans la pièce sont ceux qui ont dit : ‘Ça pourrait nuire à ma carrière, mais merde’. »

L’une d’entre eux est Leora Kalish. Interrogée sur l’antisémitisme dans le milieu artistique, Kalish répond qu’il surfe avant tout sur ce qui est à la mode.

« Je ne suis pas étonnée qu’une grande partie de cet antisémitisme vienne du monde de l’art », dit-elle, « parce que, de nos jours, Israël n’est pas considéré comme un lieu cool ou un peuple cool auquel s’identifier ou que l’on aurait envie de protéger. Pour eux, ce n’est pas cool de soutenir les Juifs.

Leora Kalish, une des actrices de la pièce « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)

Pour évoquer les violences sexuelles commises à l’encontre des femmes israéliennes le 7 octobre, Kalish rappelle la réaction de la communauté internationale à l’enlèvement, en 2014, de plus de 200 filles nigérianes, pour la plupart chrétiennes, par l’organisation terroriste islamiste Boko Haram. La campagne en faveur de leur libération avait reçu le soutien d’organisations de femmes, de célébrités et de professionnels des arts du monde entier.

« Mais qui », demande Kalish, « s’est prononcé en faveur des femmes juives ? Il ne s’agit pas seulement de meurtres. Des femmes avaient les seins coupés et des ongles enfoncés dans le vagin, et pourtant, personne n’a rien dit. »

Elle rappelle que le documentaire de Sheryl Sandberg « Screams Before Silence », film choquant et puissant sur les violences sexuelles dont ont été victimes les femmes israéliennes le 7 octobre, a été presque totalement ignoré par les milieux de l’art et du spectacle.

« Sheryl Sandberg a eu du courage. C’est une femme puissante, explique Kalish, et même elle n’a pas réussi à faire bouger les lignes. »

Un autre des acteurs de « October 7 » est René Ifrah. Lorsqu’on lui demande s’il a eu des doutes avant d’accepter le rôle, Ifrah répond : « J’ai toujours eu un principe, à savoir que si quelqu’un a un problème avec les Juifs, alors il a un problème avec moi. »

René Ifrah, qui joue dans « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)

Au sujet de l’antisémitisme et du monde des arts, Ifrah rejoint Kalish en ce qui concerne l’attrait de la mode. Être anti-Israël « est tellement à la mode », dit-il. « C’est tellement tendance. Dans le monde de l’art, tout le monde semble adhérer au même récit, à savoir qu’Israël est un oppresseur maléfique et les Palestiniens, d’innocentes victimes. « Le milieu artistique, dit-il, est gangréné par cette idéologie. »

Pour autant, Ifrah s’interroge sur le nombre de personnes qui sont vraiment contre les Juifs.

« Au sein de l’industrie artistique, nombreux sont ceux qui ont peur de dire quelque chose de mal », rappelle-t-il. « Il y a cette culture de la peur qui fait que bien des gens ne disent pas le fond de leur pensée – ce qui nous ramène à l’Allemagne d’avant la Shoah. Mais comment est-il possible de se taire ? N’avons-nous rien appris de tout ça ? »

Besoin de davantage de sécurité

Les représentations de la pièce « October 7 » n’ont pu se faire sans la présence de vigiles, de détecteurs de métaux et de gardes armés au sein du public, soir après soir, à cause de manifestants anti-israéliens volontiers perturbateurs, destructeurs et parfois violents, sans compter les traditionnelles menaces terroristes, à un moment où la police new-yorkaise fait état d’une augmentation des actes antisémites suite à l’attaque du 7 octobre 2023, la plus importante qui soit d’après l’Anti-Defamation League (ADL).

Ce besoin de sécurité n’a rien de très surprenant, à New York, s’agissant de pièces à thème juif, ce qui devrait nous choquer, mais qui est accepté par l’industrie théâtrale, expliquent les producteurs de la pièce.

Selon McAleer, « c’est une mise en accusation de la scène artistique à New York et en Amérique ».

De l’autre côté de l’Atlantique, une nouvelle version londonienne du « Marchand de Venise », l’an dernier, a requis des mesures de sécurité particulières au profit de l’actrice principale, Tracy-Ann Oberman, prise pour cible suite au 7 octobre.

L’actrice Tracy-Ann Oberman s’exprimant lors de l’événement commémoratif du 7 octobre à Hyde Park, dans le centre de Londres, le 6 octobre 2024. (PA via Reuters)

Comme l’a dit Oberman lors d’une interview à la BBC, « Une actrice juive doit bénéficier de mesures particulières de protection dans le West End parce qu’elle a parlé des viols du 7 octobre et personne, dans le milieu théâtral, n’a levé la main pour dire « C’est mal ». On devrait beaucoup plus entendre : « C’est inacceptable ». Ils seraient les premiers à trouver cela inacceptable si cela arrivait à une autre minorité. »

Malgré six semaines de salles combles à l’Actors’ Temple, « pas un seul journal grand public ne s’est présenté pour en faire la critique », rappelle McAleer. « Même mauvaises, poursuit Kalish, c’est fou qu’aucune de ces grandes publications ne se soit dit que cela valait la peine de s’y intéresser. »

Selon McAleer, qui tient l’information de leur agent, les communiqués de presse envoyés pour « October 7 » ont été les plus lus – et ont donné lieu à un nombre record de demandes de désabonnement.

« Bien sûr, dit McAleer, ils disent que ce n’est pas de l’antisémitisme, que c’est de l’anti-sionisme ou de l’anti-colonialisme. Mais quand on y regarde de plus près, les pays auxquels ils s’intéressent ont de quoi étonner. Il y a beaucoup de conflits de par le monde, certains beaucoup plus violents même, mais malgré cela, ils choisissent de faire porter leurs récriminations sur le seul et unique pays juif. Pourquoi ? »

Photo tirée d’une représentation de « October 7 : In Their Own Words ». (Autorisation)

Pour Kalish et Ifrah, jouer dans cette pièce a été une expérience pleine de sens et très satisfaisante. Le fait d’incarner de véritables personnes qui ont vécu l’enfer, le 7 octobre, renvoie à une forme de service public, et ils n’auraient pas laissé leur place, fût-ce pour un rôle plus simple et moins controversé.

« Israël existe pour une raison », rappelle Ifrah, « et je me tiens à ça. Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec tout. Cela ne veut pas dire que je suis exempt de critiques. Mais s’il y a bien un pays dont l’existence est légitime, c’est Israël. »

Kalish n’est pas moins engagée. « Il n’y avait pas moyen que je ne joue pas dans cette pièce », assure-t-elle.

« On essaie de nous faire tomber. On veut nous faire taire. Mais nous ne laisserons pas faire. Nous sommes toujours là. »

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