Dans les zones « périphériques » d’Israël, Netanyahu est roi
"Les dirigeants du Mapaï nous ont humiliés, ils ont voulu nous éduquer car ils considéraient nos cultures comme inférieures", fulmine un habitant de Ramla
« Six caleçons pour 50 shekels, un caleçon en prime pour ceux qui votent Netanyahu » : la pancarte trône sur le stand de Yaacov Matslaoui dans le marché de Ramla, un bastion du parti du Premier ministre israélien, en périphérie de Tel-Aviv.
Campé entre les piles de chaussettes, de t-shirts et de caleçons, Yaacov, tout sourire sous sa barbe grisonnante, s’anime lorsqu’il parle du « roi Bibi », surnom du chef du gouvernement sortant Benjamin Netanyahu.
A quelques jours des législatives en Israël, le commerçant sort de son arrière-boutique une photo géante de « Bibi » surmontée du texte : « Netanyahu, le marché de Ramla et le peuple israélien sont avec toi », qui lui a déjà valu plusieurs contraventions.
La ville de Ramla fait partie du « Likudland », des zones en marge de la « start-up nation », où les habitants de la classe moyenne inférieure votent massivement pour le Likud, le parti de droite de M. Netanyahu.
Un paradoxe apparent au vu de la politique économique libérale en vigueur, qui a permis de doper les résultats macro-économiques d’Israël mais en a fait un des pays développés où les inégalités sociales sont les plus importantes, selon l’OCDE.
Lors des dernières élections, en septembre, la formation centriste Kahol-Lavan l’a emporté dans les localités les plus aisées tandis que les électeurs loin des centres économiques ou à la périphérie des grandes villes, choisissaient le Likud.
Mizrahim vs. Ashkénazes
« Avec mes frères et sœurs, nous avons grandi à huit dans une pièce », se souvient Yaacov, dont le père est originaire d’Irak et la mère de Libye.
Dans les années 50 et 60, peu après la création d’Israël, des juifs d’Irak, du Yémen, du Maghreb gagnent l’Etat hébreu où les postes clés sont aux mains des Ashkénazes, juifs des pays d’Europe centrale et de l’Est ayant fondé le pays.
Nommés « Mizrahim », « Orientaux », ils s’établissent à l’extérieur des grandes villes, et se sentent exclus à l’époque par la gauche au pouvoir.
L’élite ashkénaze est en effet à la tête du Mapaï, le grand parti de gauche, ancêtre du parti travailliste, qui gouverne pendant les trois premières décennies après la création d’Israël en 1948.
Or, lors des élections de 1977, Menahem Begin, fondateur du Likud, grande formation historique de la droite, s’appuie sur l’électorat croissant des Mizrahim pour l’emporter. Il les place ensuite à des postes de responsabilité.
« Les dirigeants du Mapaï nous ont humiliés, ils ont voulu nous éduquer car ils considéraient nos cultures comme inférieures », fulmine Yaacov.
« Aujourd’hui, ce sont leurs enfants qui sont derrière la gauche et Gantz (centriste) », ajoute le commerçant qui dit avoir bénéficié, sans être riche, du Likud au pouvoir et de la croissance des dernières années en Israël. « Nous roulons, mes frères et sœurs et moi, dans des voitures neuves et nous disons merci au Likud ».
Moshé Avital, 72 ans, dont les parents d’origine marocaine ont vécu plusieurs années en « camps de transit » avant de pouvoir s’installer dans une maison, dit garder Menahem Begin « dans son coeur ».
« J’ai toujours voté Likud et je voterai toujours Likud car Begin est celui qui a permis aux séfarades de relever la tête », dit l’homme qui habite à Sdérot, petite ville de la « périphérie », située à la lisière de la bande de Gaza.
« Appartenir » à Israël
Bien qu’historiquement défavorisés, les Mizrahim « n’adoptent pas automatiquement les valeurs de justice sociale et d’universalisme défendues par la gauche », estime Nissim Mizrachi, professeur de sociologie à l’université de Tel-Aviv.
« Penser que les conditions économiques sont déterminantes est une analyse erronée de la vision de la gauche libérale, qui a échoué à conquérir les masses, que ce soit en Israël ou dans d’autres pays », explique-t-il.
Selon lui, les Mizrahim, et des groupes d’immigrants plus récents comme les russophones, perçoivent comme une menace identitaire le discours de la gauche libérale qui tend à concevoir Israël comme « un Etat moderne et occidental avec un caractère juif ».
« A contrario, le Likud leur donne l’impression que leur vie individuelle fait partie de la grande histoire d’Israël et du peuple juif », dit-il.
Un sentiment renforcé, selon lui, par le charisme de Benjamin Netanyahu qui « leur donne le sentiment qu’on peut lui faire confiance (…), qu’il peut défendre les intérêts d’Israël et les leurs ».
Et dans ce « Likudland », les démêlés judiciaires du Premier ministre -inculpé pour corruption et dont le procès doit s’ouvrir mi-mars- ne semblent pas entamer son aura.
« Bibi a reçu des cigares et du champagne, et sa femme des bijoux. Et alors ? », lance Yaacov. « Bibi c’est notre prince, il ne manquerait plus qu’il vive dans la rue ! »
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