Des agents israéliens m’ont contacté pour évacuer les bâtiments ciblés, raconte un Gazaoui
Mahmoud Shaheen a dit à la BBC que des agents de renseignement l'ont contacté pour qu'il fasse évacuer les 22 bâtiments identifiés par Tsahal comme abritant des infrastructures du Hamas. Tous les habitants ont survécu
Un dentiste palestinien de Gaza a raconté à la BBC comment des agents des services de renseignement israéliens ont passé des heures au téléphone avec lui, lui demandant de convaincre les centaines d’habitants concernés d’évacuer et de sauver leur vie avant une série de frappes aériennes qui ont détruit les immeubles d’habitation d’un quartier de la ville de Gaza.
A travers cette histoire dramatique publiée mercredi, Mahmoud Shaheen, 40 ans, raconte à l’agence de presse britannique comment, le matin du 19 octobre, il a entendu une certaine agitation devant son appartement du quartier de classe moyenne d’al-Zahra.
« Vous devez partir, ils vont bombarder les tours », lui crie quelqu’un depuis la rue.
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C’est alors que son téléphone sonne : il s’agit d’un numéro non identifié.
« Ici les services de renseignement israéliens », raconte Shaheen, ajoutant que l’homme, qui s’était présenté sous le nom d’« Abou Khaled », parlait un arabe impeccable.
« Il m’a dit qu’ils allaient bombarder trois tours… et m’a dit de faire évacuer les environs », se rappelle Shaheen.
"Israeli military has phoned Gazans sometimes to warn them ahead of air strikes – Mahmoud's account gives an insight into one such phone call in an unprecedented level of detail.
The BBC contacted Mahmoud after multiple al-Zahra residents identified him"https://t.co/FaW01By6ju— Dr. Mike Walsh MIC #FBPE @ drmpwalsh.bsky.social (@drmpwalsh) November 8, 2023
Doutant de l’authenticité de l’appel, car il avait lu de nombreux avis sur les réseaux sociaux mettant en garde contre de prétendus appels d’Israël, Shaheen demande à l’homme de tirer un coup de semonce, qui serait à la fois une preuve et une alerte pour ceux qui n’avaient pas encore évacué.
Un coup de semonce apparemment venu de nulle part – peut-être d’un drone – frappe alors l’un des immeubles d’habitation menacés, dit-il.
« Je lui ai demandé de tirer un autre coup de semonce avant les bombardements », ajoute Shaheen. Un autre tir suit.
Israël utilise parfois des missiles sans ogives en guise d’avertissement, ce qui est communément qualifié de « frappe sur le toit ». Cette pratique est moins utilisée dans le cadre du conflit actuel.
Shaheen explique avoir ensuite parcouru frénétiquement tout le quartier pour tenter de persuader tous ceux qui se trouvaient dans les trois immeubles à évacuer. Son immeuble se trouve à proximité, mais ne fait pas partie des cibles.
L’interlocuteur israélien de Shaheen passe plus d’une heure au téléphone avec lui, l’assurant qu’il lui laissera le temps d’agir car il veut éviter qu’il y ait des victimes.
Shaheen lui demande alors pourquoi Israël veut bombarder la zone alors qu’il ne s’agit que d’appartements résidentiels.
« Il m’a dit : ‘Nous voyons des choses que vous ne pouvez pas voir’ », se rappelle Shaheen, ajoutant que son interlocuteur ne lui donnera pas plus de détails.
Selon Shaheen, une fois que l’homme reçoit la confirmation que la zone est dégagée, il lui dit qu’ils vont bombarder le premier immeuble, ce qu’ils font, avant de s’occuper des trois bâtiments visés, au milieu d’un ballet d’avions israéliens tournant au-dessus de sa tête.
« C’est la tour que nous voulons, restez à l’écart », dit Abou Khaled.
Une fois les bombardements terminés, l’Israélien dit à Shaheen. « Nous avons fini… Vous pouvez rentrer chez vous. »
Israël a déclaré la guerre au Hamas suite aux assauts meurtriers du 7 octobre dernier, dans les communautés proches de la bande de Gaza, perpétrés par 3 000 membres du Hamas et d’autres terroristes entrés en territoire israélien par la barrière de sécurité sous un déluge de milliers de roquettes. Avec une extrême brutalité, ils ont tué 1 400 personnes, pour la plupart des civils, et fait 240 otages qu’ils ont conduits à Gaza.
L’armée israélienne a lancé des frappes aériennes généralisées, suivies d’une offensive terrestre, dans le but de renverser le groupe terroriste du Hamas qui dirige la bande de Gaza. L’armée israélienne assure s’en prendre aux infrastructures utilisées par le Hamas et d’autres groupes terroristes, dont une grande partie se trouve sous terre, dans un vaste réseau de tunnels fortifiés creusés dans des secteurs peuplés de civils, notamment sous des appartements, des hôpitaux, des mosquées ou des écoles.
Le Hamas affirme que 10 000 Palestiniens, dont 4 000 enfants, sont morts depuis le début de la riposte israélienne. Ces chiffres ne peuvent pas être vérifiés et certains pensent que le Hamas pourrait les gonfler en ne faisant pas le distinguo entre terroristes et civils, en comptant toutes les victimes âgées de moins de 18 ans, y compris les hommes armés et victimes des centaines de roquettes terroristes égarées.
La BBC explique avoir contacté Shaheen après que plusieurs habitants d’al-Zahra l’ont identifié comme l’homme qui avait reçu les appels de mise en garde.
Elle précise qu’à défaut d’avoir pu vérifier le contenu de l’appel, elle atteste que les détails correspondent à ceux donnés par un groupe Facebook communautaire ainsi qu’aux images satellites avant et après les frappes.
Israël a appelé à plusieurs reprises les habitants du nord de Gaza à se rendre dans le sud, plus sûr, et continue de le faire depuis le début de l’offensive terrestre d’encerclement la ville de Gaza, où le Hamas dispose de vastes infrastructures.
L’armée israélienne a publié des enregistrements d’autres appels passés par des officiers de l’Unité 504 de la Direction du renseignement militaire – qui se spécialise dans l’HUMINT – aux habitants de Gaza leur demandant d’évacuer les bâtiments et de partir vers le sud.
Dans l’un de ces enregistrements, on entend un habitant de Gaza dire à l’officier israélien que le Hamas tire sur les personnes qui tentent de fuir vers le sud.
Shaheen dit que son téléphone a de nouveau sonné ce soir-là et qu’un autre officier israélien – « Daoud » – était au bout du fil.
L’homme l’aurait félicité pour son action, dans la matinée, et l’aurait qualifié d’« homme sage ». Il aurait ajouté en savoir beaucoup sur lui, à commencer par le prénom de son fils.
Il lui aurait dit qu’il allait y avoir d’autres frappes et qu’il fallait à nouveau évacuer le voisinage.
Il a donc répété le processus du matin, cette fois dans l’obscurité, et trois autres bâtiments ont été détruits, une fois vidés de leurs occupants.
Shaheen explique que les instructions ont brutalement changé : Daoud lui aurait dit que toute la rangée d’appartements d’un côté de la rue allait être prise pour cible, soit une vingtaine de bâtiments.
« Il y a des gens qui n’avaient pas encore évacué parce qu’il n’y avait pas encore eu d’avertissements concernant ces bâtiments. Je lui ai dit : « Donnez-nous au moins jusqu’au matin. En pleine nuit, où iront tous ces gens ? »
« La réponse a été : ‘Les ordres sont les ordres. Nous allons bombarder toutes les tours dans les deux heures’ », relate Shaheen. Il dit que, pendant ce temps, il a couru sans relâche pour persuader des centaines de personnes d’évacuer leur appartement, en contact constant avec son interlocuteur.
« Il m’a même dit : ‘Prends ton temps. Je ne bombarderai pas sauf si tu m’y autorises.’ »
« Je lui ai rétorqué : ‘Non, cela n’a rien à voir avec une autorisation. Je ne veux pas que vous bombardiez quoi que ce soit. Si vous voulez que j’évacue, je le fais pour le bien et la sécurité de tous. Mais si vous voulez bombarder, ne me dites pas que vous avez besoin de ma permission. Ce n’est pas Mahmoud Shaheen qui va bombarder al-Zahra’ ».
À un moment donné, alors que la batterie de son téléphone s’épuise, l’Israélien lui dit de raccrocher pour économiser sa batterie. Le téléphone d’un de ses voisins sonne, avec Daoud au bout du fil, qui demande à parler à Mahmoud Shaheen, explique-t-il.
Il conseille à Shaheen d’emmener les habitants évacués à l’ouest, dans les locaux de l’Université de Palestine toute proche, où ils pourraient trouver refuge.
L’homme reste en ligne jusqu’à la fin des frappes.
L’armée israélienne a réagi à cette information donnée par la BBC en rappelant que, dans le cadre de sa « mission de démantèlement de l’organisation terroriste du Hamas, [elle] avait pris pour cibles des positions militaires dans toute la bande de Gaza ». Les frappes sur des cibles militaires sont soumises, a-t-elle ajouté, à « certaines dispositions du droit international, parmi lesquelles la prise de précautions pour limiter les pertes civiles ».
« Le Hamas continue d’attaquer Israël depuis la bande de Gaza. Le Hamas s’est infiltré dans toutes les infrastructures civiles et opère ainsi dans toute la bande de Gaza. L’armée israélienne est déterminée à mettre fin à ces attaques et, à ce titre, elle frappera le Hamas partout où cela sera nécessaire. »
La BBC a conclu en disant : « Grâce aux efforts de Mahmoud, on estime qu’aucun de ses voisins n’est mort ce jour-là ».
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