Des auteurs américains visitent Israël et discutent avec Etgar Keret
Vingt écrivains juifs ont sillonné le pays au cours d'une visite de huit jours parrainée par une association de livres juifs non commerciale
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
« Les écrivains sont des agents de l’ambiguïté », a déclaré Etgar Keret à une salle remplie d’auteurs de livres pour enfants, qui ont hoché la tête en signe d’approbation.
L’auteur israélien bien connu a régalé la foule rassemblée de contes et d’anecdotes sur les talents de conteur de ses parents, survivants de la Shoah, et sur sa propre éducation en Israël.
La rencontre avec Keret était la dernière réunion pour ce groupe de 20 écrivains venus en Israël pour un voyage de huit jours avec PJ Library Author Adventure, une organisation juive nord-américaine à but non lucratif, qui offre des livres gratuits aux jeunes enfants, et qui a fait découvrir à ces écrivains le Neguev, Masada, Jérusalem et Tel-Aviv.
« Nous avions beaucoup de livres à la maison, mais pas de livres pour enfants », a confié Keret, en racontant que sa mère, qui a grandi dans le ghetto de Varsovie, n’avait pas toujours de quoi manger, mais que ses parents lui inventaient toujours des histoires avant qu’elle ne s’endorme, et que selon eux, les livres pour enfants avaient été créés pour les parents fainéants.
Cette anecdote a fait rire les auteurs, car ces derniers, tous auteurs de livres pour enfants ou de romans pour jeunes adultes, comptent justement sur ces « parents paresseux ».
« Raconter une histoire est une façon de montrer son amour », a expliqué Keret, évoquant les paroles de sa mère, dont le récit de sa survie à la Shoah a été raconté dans Inside Out, une exposition au musée juif de Berlin, et dans Half-Baked Stories about My Dead Mom, un épisode du podcast This American Life.
« Il est un peu comme un prophète », a déclaré l’écrivain Adam Gidwitz, qui a lu l’œuvre de Keret. « Voir cette terre d’Israël folle et extatique à travers ses yeux a été une expérience inimitable ».
L’auteur de romans graphiques Terri Libenson entendait Keret pour la première fois et l’a trouvé à la fois hilarant et fascinant.
Elle a particulièrement été touchée par l’histoire que Keret a racontée sur son père, lui aussi rescapé de la Shoah, et qui a échappé aux nazis en vivant dans un trou dans le sol pendant 600 jours, avec ses parents.
Keret a expliqué que son père s’était échappé en se racontant des histoires, en créant des réalités alternatives avec juste assez de vérité pour qu’elles paraissent réelles.
« C’était tellement symbolique pour moi, ces outils de survie et de narration », a déclaré Libenson.
Les auteurs,arrivant à la fin de leur voyage de huit jours, ont particulièrement apprécié ces moments passés avec Keret.
Ce voyage organisé par PJ Library était la première visite de Gidwitz en Israël, et la deuxième de Libenson, une écrivaine de l’Ohio qui était déjà venue en 2014 avec un groupe de la Fédération juive.
Tous deux ont trouvé un sens à ce séjour en compagnie de collègues professionnels, « un peu comme dans une chorale », a déclaré Gidwitz, « tous les participants chantaient dans des registres différents et, à l’instar des vibrations des cordes vocales, nos esprits étaient en ébullition ».
On retrouve là le jargon familier de Gidwitz, auteur des best-sellers pour enfants A Tale Dark and Grimm, In a Glass Grimmly et The Grimm Conclusion.
En sa qualité de dessinatrice « très visuelle et humoristique », Libenson a dit qu’elle ne savait pas trop à quoi s’attendre pour de ce voyage.
Mais elle a constaté que celui-ci l’a amenée à envisager des collaborations et à ajouter du contenu juif à ses livres de manière significative.
« Plus je vieillis, plus j’aime explorer le judaïsme. C’est personnel, c’est représentatif et cela peut être fait de manière très joyeuse et humoristique », a-t-elle déclaré.
Pour sa part, Gidwitz a expliqué qu’il était venu en Israël avec l’idée d’un projet, mais qu’il avait trouvé cette expérience si enrichissante qu’elle l’avait inspiré non seulement pour ce projet, mais aussi pour « tout ce que j’écrirai à l’avenir ».
« Dans chaque expérience vécue ici, il y a un ‘mais, aussi’ », a-t-il déclaré, en faisant référence à la multitude de facettes entendues au sujet de l’histoire et des réalités quotidiennes du pays. « Même si cela paraît simple quand on dit quelque chose, si on y réfléchit un peu plus, il y a toujours un ‘mais aussi’ en Israël – mais aussi partout ».
Plusieurs auteurs israéliens ont également participé au voyage, notamment Ran Cohen Harounoff, Ori Elon, Netalie Gvirtz, Shirley Yuval-Yair et Rachel Shalev.
Pour Libenson, la rencontre avec Rachel Shalev a été une sorte d’expérience de double, puisque toutes deux ont commencé par des bandes dessinées sur les mères qui travaillent, avant de se lancer dans les romans graphiques.
« Nous n’arrêtions pas de nous regarder l’une l’autre », a-t-elle déclaré. « Cela a contribué à un rapprochement ».
Pour Richard Ho, auteur de Red Rover : Curiosity on Mars et The Lost Package, le voyage a été l’occasion de visiter Israël en tant que juif et en tant qu’auteur, et de faire connaissance avec d’autres créateurs.
« Ce qui était vraiment imprévisible, ce sont les liens que j’ai noués avec d’autres auteurs », a déclaré M. Ho. » Cette interconnexion a dépassé toutes les attentes et cette expérience a changé ma vie, principalement grâce aux relations que j’ai nouées « .
Ho, juif par choix, a déclaré qu’il avait déjà visité Israël.
Si ses premiers livres ne traitaient pas de sujets juifs, son prochain ouvrage, Two New Years, traite de l’intersection des identités chinoise et juive à l’occasion du nouvel an juif et du nouvel an lunaire.