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Des chercheurs lèvent le mystère de diplomates polonais qui ont sauvé des Juifs

Des recherches montrent comment le "Groupe bernois" a fabriqué de faux passeports sud-américains pour aider des Juifs à échapper au génocide nazi de la Seconde Guerre mondiale

Heidi Fishman montrant un éditorial qu'elle a écrit sur le sauvetage de sa famille de la Shoah à l'aide d'un passeport paraguayen. (Avec l'aimable autorisation de Fishman via JTA)
Heidi Fishman montrant un éditorial qu'elle a écrit sur le sauvetage de sa famille de la Shoah à l'aide d'un passeport paraguayen. (Avec l'aimable autorisation de Fishman via JTA)

AMSTERDAM (JTA) – En grandissant, Heidi Fishman a su qu’elle était en vie grâce au passeport paraguayen de son grand-père.

Auteure juive du Vermont, on lui a dit enfant que le passeport de Heinz Lichtenstern était la seule raison pour laquelle ses grands-parents maternels et sa mère avaient réussi à éviter d’être envoyés dans un camp de la mort nazi en Europe occupée.

Mais ce n’est que longtemps après sa mort que Heidi Fishman, 56 ans, a commencé à se demander comment son grand-père, un Juif né en Allemagne et sans liens connus avec le Paraguay, avait obtenu son passeport.

« Je n’ai jamais su d’où venait le passeport », a-t-elle dit lors d’une conférence sur l’histoire de la survie de sa famille. « Je m’étais contentée d’accepter l’histoire de ma mère : Nous avions un passeport paraguayen. Mais d’où venait-il ? »

Cette question a conduit Fishman et d’autres à sortir de l’ombre l’année dernière l’une des opérations de la Shoah les plus remarquables et les plus importantes du genre.

En partie grâce au pouvoir des réseaux sociaux, elle a appris l’année dernière que le passeport était l’un des milliers de faux fabriqués et délivrés par un groupe de six Polonais en Suisse au risque de leur vie. Des centaines de destinataires ont utilisé ces documents vitaux pour échapper au génocide en Europe occupée par les nazis.

Connu sous le nom de Groupe bernois, le groupe a opéré dans un tel secret que ses actions sont restées inconnues pendant des décennies après la Shoah. Pourtant, ils ont laissé suffisamment de traces pour permettre aux chercheurs de reconstituer une approche très détaillée de leurs efforts, selon Jeffrey Cymbler, un avocat new-yorkais qui a passé des décennies à assembler un puzzle qui a été complété l’année dernière.

Les six membres du Groupe bernois « n’ont jamais dit à personne ce qu’ils avaient fait », a fait remarquer M. Cymbler. « Pendant des décennies, on ne connaissait que la moitié de l’histoire ».

Jeffrey Cymbler examine les documents liés au Groupe bernois en Suisse en 2017. (Avec l’aimable autorisation de Cymbler via JTA)

L’histoire complète, reconstituée par Cymbler et une équipe de recherche avec l’aide du gouvernement polonais, implique quatre diplomates polonais en exil à Berne, en Suisse. Ils ont conspiré pour fabriquer de faux passeports sud-américains pour les Juifs de Pologne et d’ailleurs, puis, avec l’aide de deux Juifs polonais, ils ont remis les documents à près d’une centaine de bénéficiaires.

Pour les conspirateurs, l’opération nécessitait de soudoyer des diplomates sud-américains au risque d’être déportés et remis aux nazis par les autorités suisses – qui étaient au courant du jeu des sauveteurs et ne les appréciaient pas du tout.

Cymbler sait depuis les années 1980 qu’on a tenté de donner des passeports paraguayens aux Juifs de la ville d’origine de sa famille, Bedzin en Pologne.

Mais il n’avait aucune preuve de l’utilisation de tels passeports par des personnes pour échapper à la Shoah, dit Cymbler, généalogiste et fondateur de la Bedzin-Sosnowiec-Zawiercie Area Research Society.

Cela a changé l’année dernière, lorsqu’il a découvert sur Facebook des descendants de personnes comme Fishman, qui ont été sauvés grâce aux passeports.

« Jusque-là, je pensais que les passeports étaient arrivés trop tard pour aider qui que ce soit à s’échapper », explique Cymbler. Son grand-oncle a tenté d’obtenir un passeport paraguayen mais a péri avec sa famille lors de la liquidation du ghetto de Bedzin en 1943.

Comme des preuves du Groupe bernois apparaissaient, l’ambassade de Pologne en Suisse, sous la direction de l’ambassadeur Jakub Kumoch, a mis sur pied une petite équipe de recherche dans les archives suisses déclassifiées et ailleurs. Pour la première fois, il a été possible de savoir comment les passeports ont été produits, délivrés et utilisés pour sauver des personnes directement sous le nez des forces d’occupation nazies et des autorités suisses.

Les contrefaçons ont été faites sur de véritables pages vierges de passeport achetées illégalement par le Groupe bernois auprès de diplomates comme le consul honoraire du Paraguay, Rudolf Hügli. Chaque passeport vierge coûtait des centaines de dollars, payés par les destinataires. Le Groupe bernois, cependant, n’a tiré aucun profit de cette initiative, ont montré les recherches de Cymbler.

Konstanty Rokicki, vice-consul de Pologne à Berne, qui n’était pas juif, était un membre clé du Groupe bernois à ce stade du processus. Il a rempli les coordonnées des destinataires et falsifié d’autres parties des faux passeports.

Rokicki avait trois complices diplomates polonais : l’ambassadeur en Suisse Aleksander Ładoś, son adjoint Stefan Ryniewicz et son attaché Juliusz Kühl, qui était le seul diplomate juif du groupe.

Les diplomates ont obtenu les noms et au moins une partie de l’argent pour acheter les passeports vierges à deux Juifs polonais vivant en Suisse : Abraham Silberschein, représentant du Congrès juif mondial, et Chaim Yisroel Eiss, homme d’affaires zurichois et militant du groupe ultra-orthodoxe Agudat Israël.

Alfred Schwarzbaum, un activiste juif de Bedzin, qui avait réussi à fuir en 1940 vers une Suisse théoriquement neutre, a pris contact avec les bénéficiaires. Eiss, Silberschein et Schwarzbaum ont fait passer les passeports en contrebande aux destinataires.

« Schwarzbaum, qui a aidé le Groupe bernois, a utilisé des lettres codées pour diriger une partie importante de l’usine de falsification de passeports sous le nez de la censure allemande », a déclaré Cymbler.

Une lettre, écrite par le grand-oncle de Cymbler à Schwarzbaum, feignait de lui être familier afin de lui envoyer des photos de passeport sans soulever la suspicion des censeurs allemands, qui ouvraient et lisaient toute correspondance depuis et vers le ghetto de Bedzin.

« Cher Alf, comment vont ta femme et tes enfants ? Tout va bien pour nous, nous allons bien, nous travaillons. En souvenir de nous, nous vous envoyons nos photos », peut-on lire dans la lettre. Les photos avaient au dos les noms des personnes représentées.

Dans certaines lettres, les bénéficiaires utilisaient des mots yiddish pour tenir secrètement le Groupe bernois au courant des développements dans le ghetto.

« Oncle Geirush arrive cette semaine », lisait-on dans une lettre, utilisant le mot « déportation ». « Nous attendons l’arrivée imminente de notre ami Malachamavet« , lisait-on dans une autre, qui signifie « l’ange de la mort ».

Pour le grand-oncle de Cymbler, sa femme et leurs deux enfants, les passeports sont arrivés trop tard. Ils ont été tués lors d’une déportation vers Auschwitz. Mais des centaines de personnes ont utilisé ces passeports soit pour échapper à l’occupation nazie, soit pour obtenir le statut de prisonniers de guerre étrangers qui leur a permis d’échapper aux camps de la mort.

De nouveaux dossiers de l’interrogatoire de Schwarzbaum par la police suisse, récemment déclassifiés, indiquent qu’ils avaient le Groupe bernois dans leur ligne de mire. Tous ses membres ont été arrêtés pour être interrogés à un moment donné, laissant présager leur déportation vers la Pologne par les Suisses, qui étaient neutres mais soucieux de ne pas courroucer les Allemands.

Le Groupe bernois s’était progressivement engagé à fournir des passeports d’autres pays d’Amérique du Sud, au-delà du Paraguay, aux Juifs des Pays-Bas occupés et même de l’Allemagne elle-même. Ils étaient le centre d’une conspiration internationale que les Allemands auraient sans doute écrasée avec toute la force de la police secrète impitoyable de la Gestapo.

Tout membre du Groupe bernois renvoyé en Pologne occupée aurait presque certainement été exécuté, simplement parce qu’il était juif ou associé au gouvernement polonais en exil, dont le siège à Londres poursuivait la lutte contre l’Allemagne nazie.

Le risque était tel que de nombreux destinataires de passeports du Groupe bernois n’avaient aucune idée de qui les avait fabriqués, ni même qu’ils étaient faux.

Ce fut certainement le cas pour la famille de la mère de Heidi Fishman, Ruth. Déportée en 1944 d’Amsterdam au ghetto de Theresienstadt avec son père et sa mère, la famille a été libérée des convois vers les camps de la mort sur présentation d’une copie de leur passeport paraguayen.

Avant d’obtenir l’exemption, le père de Ruth l’avait embrassée et avait pleuré devant elle pour la première fois de sa vie, en pensant qu’il s’agissait d’un dernier adieu, raconte Heidi Fishman.

La résidence de l’ambassade de Pologne à Berne, en Suisse. (CC BY-SA 3.0, Beat Estermann, Wikipedia)

L’intérêt de l’ambassade polonaise actuelle pour cette affaire coïncide avec un effort plus large de la Pologne pour mettre en lumière les contributions des Polonais qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah. Les détracteurs de cette tentative affirment qu’elle blanchit les actions des Polonais qui ont livré des Juifs aux nazis ou les ont tués.

Le débat sur la complicité polonaise – qui a été exacerbé par l’adoption, l’année dernière, d’une loi érigeant en crime le fait de blâmer la nation polonaise pour les crimes nazis – faisait rage alors que Cymbler, Fishman et d’autres découvraient la vérité sur le Groupe bernois, a déclaré Mme Fishman.

Elle a déclaré qu’au début, elle était « mal à l’aise » de travailler avec des représentants du gouvernement polonais de droite, que certains critiques accusent de révisionnisme de la Shoah.

« Je ne voulais pas être utilisée comme une marionnette, comme une juive qui dit que les Polonais n’ont fait que de belles choses pendant la Shoah », a-t-elle expliqué à la Jewish Telegraphic Agency. Mais jusqu’à présent, a-t-elle ajouté, « Je n’ai vu aucune tentative de se servir de l’histoire du Groupe bernois pour promouvoir ce narratif ».

Cymbler, l’avocat juif new-yorkais qui a commencé ses recherches sur le Groupe bernois dans les années 1980, dit qu’il ne pense pas du tout à ses découvertes dans le contexte du débat actuel.

« Il s’agit simplement de découvrir la vérité », dit-il.

Bien que le gouvernement polonais en exil connaissait les actions du Groupe bernois et qu’il les ait soutenues, M. Cymbler a déclaré : « Il ne s’agit pas de l’histoire d’un gouvernement polonais. C’est l’histoire de six citoyens polonais, dont trois juifs. Il s’agit d’êtres humains qui ont essayé de sauver d’autres êtres humains : juifs, pas nécessairement polonais, dans toute l’Allemagne nazie. »

Kumoch, l’ambassadeur actuel de Pologne en Suisse, a un point de vue différent. Quoi que son prédécesseur en temps de guerre, Aleksander Ładoś, ait fait, Kumoch a dit, « il l’a fait au nom de l’État polonais. L’Etat qui a combattu les nazis et essayé de sauver ses citoyens juifs ».

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