Dès les années 40, des caricatures prévenaient les États-Unis de la Shoah
La preuve que l’Amérique avait conscience du génocide contre les Juifs européens réside dans les journaux comiques, où les dessinateurs ont utilisé leurs stylos pour dénoncer l'apathie des politiciens américains
NEW YORK – Longtemps avant de devenir un auteur bien-aimé des enfants, le Dr Theodor Seuss Geisel maniait sa plume pour des raisons plus sobres : il voulait alerter le public américain des horreurs du Troisième Reich.
En fait, Geisel appartenait à un groupe, petit mais déterminé, de caricaturistes américains qui, dès 1933, a sonné l’alarme à propos d’Adolf Hitler et des nazis. Aujourd’hui, le travail de ces dessinateurs légendaires est en vedette dans le nouveau livre du Dr. Rafael Medoff et de Craig Yoe, “Cartoonists Against the Holocaust » (Caricaturistes contre l’Holocauste).
Mais au-delà de vouloir ressusciter ces caricatures des marges de l’histoire où elles se trouvaient, le livre démonte le récit des Américains qui prétendaient ne pas être au courant de la barbarie montante.
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« Il y a une fausse idée populaire que ce que Hitler faisait n’était pas connu du public américain jusqu’à ce que les camps soient libérés », a déclaré au Times of Israel le Dr. Rafael Medoff, directeur fondateur de l’Institut David S. Wyman pour les études de l’Holocauste.
« Quand vous regardez la couverture du journal de l’époque, vous voyez que l’on en savait beaucoup bien avant cela. Et le nombre de caricatures illustre en outre à quel point les atrocités d’Hitler étaient largement connues avant la fin de la guerre ».
Le fait que les caricaturistes ont abordé la menace de l’Allemagne nazie aussi tôt correspond au à la façon dont ils perçoivent leur rôle dans la société, a déclaré Yoe, un historien de la bande dessinée primé par l’Eisner award et ancien directeur de la création pour les Muppets et Nickelodeon de Jim Henson.
« Les caricaturistes sont souvent progressistes. Ils donnent une voix aux gens qui luttent et ils peuvent parler pour ceux qui ont besoin d’une voix. Ils se soucient des lois sociales et des problèmes d’actualité », a-t-il dit.
Grâce à plus de 150 rares caricatures politiques, à des explications historiques et à des commentaires, les auteurs racontent comment ces dessinateurs imploraient les politiciens américains, ainsi que les citoyens d’agir contre l’Allemagne nazie et de sauver les vies juives.
Les lecteurs verront La nuit de Cristal, les autodafés de livres, le voyage du bateau St. Louis rempli de réfugiés condamné, la lutte sur la politique des réfugiés de l’Amérique, les chambres à gaz, les compartiments à bestiaux des trains, et les procès de Nuremberg, à travers les yeux de chiens de garde tels que Herbert Block du « Washington post », Jay « Ding » Darling, du « New York Herald Tribune », et Edmund Duffy du « Baltimore Sun ».
Comme les auteurs l’ont écrit dans l’introduction du livre, les caricatures à succès piquent, font pression et provoquent. Non seulement elles demandent l’attention des États-Unis, mais en plus, elles ont attiré une réponse de l’Allemagne nazie.
« En fait, Hitler a mis au point deux volumes de dessins humoristiques montrant ce que le monde disait à propos de l’Allemagne nazie. Ils ont recueilli des dessins humoristiques de l’étranger comme un moyen de dire : « Ils mentent sur nous et sur ce qui se passe réellement ». C’était leur manière de réfuter les accusations portées contre l’Allemagne nazie », a déclaré le Dr Steven Luckert, principal du programme de curation à l’Institut Levine pour l’Education à l’Holocauste, qui fait partie de du Musée du Mémorial de l’Holocauste des États-Unis.
Sans choisir son dessinateur préféré, Yoe a dit qu’il avait longtemps été attiré par le travail de Daniel Fitzpatrick sur le St. Louis Post-Dispatch, qui travaillait au fusain. Sa caricature de 1935, « Swastika Over Germany », représente une croix gammée formée par une personne pliée et enchaînée.
« Il fait des dessins très simples, mais très énergiques. Vous devez être un très bon artiste pour avoir une idée pareille », a déclaré Yoe.
En tant qu’auteur de 16 livres sur l’Holocauste et l’histoire juive, Medoff dit que les dessins humoristiques offrent une nouvelle manière d’enseigner l’histoire de la Shoah.
« Un point important qui me frappe encore et encore est qu’il est vraiment difficile pour les adolescents de s’identifier à l’Holocauste parce que cela semble s’être passé il y a si longtemps », a dit Medoff. « Ils lisent ‘Le Journal d’Anne Frank’ et souvent ‘La Nuit’ d’Elie Wiesel, mais cela reste ancré dans leur mémoire, ce qu’un livre de 250 pages ne peut pas faire ».
Luckert en est convenu, disant que les caricatures offrent une manière succincte de transmettre un argument. Ainsi, les dessins humoristiques figurent souvent dans les expositions permanentes et temporaires du musée.
Beaucoup de dessinateurs étaient des fouineurs lauréats du prix Pulitzer. Certains étaient les cibles de monstres racistes. Et certains, comme Eric Godal et Arthur Szyk, étaient des réfugiés juifs dont les parents ont été pris au piège dans l’Europe d’Hitler.
« Cela ajoutait une touche poignante. Je pensais écrire un livre sur des dessinateurs bien intentionnés qui ont essayé de faire une différence. Je n’avais pas réalisé comment ils [Godal et Szyk] ont été personnellement touchés », a déclaré Medoff.
Originaire d’Allemagne, Godal a échappé de justesse à la Gestapo en 1933, et après s’être installé aux États-Unis a commencé à travailler en tant que dessinateur pour plusieurs publications. Un de ses dessins humoristiques en 1938, « Le Juif errant » montrait un réfugié juif qui sillonnait le monde, selon le livre. Un an plus tard, sa propre mère, Anna Marien-Goldbaum, et 936 autres réfugiés juifs allemands sont montés à bord du « St. Louis », dans l’espoir de se voir accorder refuge aux États-Unis.
Elle a envoyé deux lettres, d’une mère âgée sur le paquebot errant à son fils Godal, l’artiste à New York. Elle a écrit sur le fait qu’elle avait l’espoir que le président Franklin D. Roosevelt « et d’autres personnes influentes vont nous aider… Je ne dois pas perdre courage avant d’avoir atteint une fin heureuse ».
Roosevelt a refusé son aide et le « St. Louis » est retourné en Europe. Bon nombre des passagers, y compris la mère de Godal, ont péri dans les camps de concentration nazis.
Plus tard Godal dessinerait l’une des critiques les plus sévères de Roosevelt dans une caricature sous-titrée « Se référer au Comité 3, enquête Sous-Comité 6, Section 8B, pour examen ». Il montre un Roosevelt apathique faisant passer un mémorandum sur la façon dont les nazis assassinaient des centaines de milliers des Juifs par mois.
Plus de 70 ans après la fin de la guerre, il est difficile d’évaluer l’impact que les caricatures a eu sur l’opinion publique et la politique – car, alors que le gouvernement américain n’a pas intercédé en faveur des réfugiés juifs, des individus tels que le révérend Waitstill Sharp, un ministre unitarien, et sa femme Martha ont sauvé un membre antinazi du parlement tchèque en le faisant passer dans un sac de corps par la morgue d’un hôpital.
« Même si vous ne pouvez pas le mesurer de manière évidente, cela ne signifie pas que la caricature n’a pas eu d’impact », a déclaré Medoff. « L’appréciation du public des caricatures est encore grande, elles ont toujours un véritable effet coup de poing et peuvent être prises au sérieux en tant que commentaire politique. »
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