Deux expos à visiter au musée de Tel Aviv où la bataille pour les otages fait rage
Depuis le 7 octobre, la place située devant l'institution a été rebaptisée "Place des Otages" et sert d'espace artistique "spontané" ; aujourd'hui, de nouvelles œuvres sont aussi à voir à l'intérieur
Cela fait maintenant deux mois et demi que la place située devant le Musée d’Art de Tel Aviv a été rebaptisée, prenant temporairement le nom de « Place des Otages » en hommage aux 240 personnes environ qui avaient été enlevées, le 7 octobre, par les terroristes du Hamas dans le sud d’Israël et dont un grand nombre est encore en captivité.
« Plus rien n’est pareil », s’exclame la directrice du musée, Tania Coen-Uzzielli, pendant la visite récente de deux nouvelles expositions au sein de l’institution. « Les otages nous obligent à nous repenser, à nous renouveler chaque jour ».
La place qui se trouve devant le musée, qui est habituellement connue pour ses sculptures monumentales, est devenue « un espace d’art spontané », continue Coen-Uzzielli, avec ses œuvres porteuses d’espoir, mais aussi de colère et de chagrin.
« Nous avons permis que cet espace existe ; nous ne l’organisons pas, nous n’avons aucun regard dessus », note-t-elle. « Nous pouvons l’accepter comme vitrine ouverte – pas sous la forme d’une vitrine artistique, mais sous la forme d’une expression de solidarité ».
Une longue table de Shabbat a été dressée pour les 129 otages qui sont encore en captivité dans la bande de Gaza – beaucoup ne sont plus en vie. Il y a des tentes montées par les membres des kibboutzim situés le long de la frontière avec Gaza dont les habitants ont été kidnappés ou tués, et il y a des kiosques qui vendent des tee-shirts, des parapluies ou des sweat à capuche arborant le logo Bring Them Home Now.
La place est également, pour le Forum des Familles des otages et des portés-disparus, le lieu où se tiennent les rassemblements hebdomadaires en soutien aux captifs et autres événements de ce type.
Le musée a été fermé aux visiteurs jusqu’au 30 novembre, n’ouvrant ses portes que pour permettre aux participants aux rassemblements d’aller aux toilettes avec des images de « Bring Them Home » projetées sur les écrans qui se trouvent derrière l’accueil.
Mais aujourd’hui, l’institution a procédé au vernissage de deux nouvelles expositions qui ont été revues pour s’adapter au mieux à l’humeur de la nation et à l’épreuve qu’elle traverse depuis le 7 octobre.
« Nous nous sommes réveillés différemment », explique Coen-Uzzielli. « Notre regard sur l’art est différent, nous voyons les mêmes expositions avec des yeux différents. Il y a de la prophétie dans l’art et il y a aussi cette capacité qui consiste à adopter d’autres angles de vision et de perception ».
A cette fin, l’une des nouvelles expositions est « Shalom Sebba : En fait ». C’est une rétrospective de cet artiste né à Berlin qui avait commencé sa carrière en Allemagne, dans les années 1920, et qui avait immigré en 1936 dans l’Israël pré-État.
L’autre est « Shmini Atzeret, » qui, dans une galerie, permet de découvrir des œuvres issues de la collection du musée qui, si elles ne concernent pas directement le 7 octobre, ont un écho particulier en rapport avec les émotions, les expressions et les expériences de ce Shabbat noir.
Les deux expositions sont très différentes, note Mira Lapidot, conservatrice en chef du musée. « Ce que nous pouvons offrir, c’est… un ancrage ; quelque chose de stable qui puisse nous rappeler ce qui a été construit ici », commente-t-elle.
De Berlin à la Palestine
A l’étage principal du musée, il y a les galeries de l’exposition Shalom Sebba, une rétrospective d’art classique qui est en préparation depuis trois ans.
L’exposition, qui fermera ses portes le 29 avril 2024, est l’occasion de voir plus de 200 œuvres d’un artiste israélo-allemand dont la vie a connu l’époque de la Shoah et dont la perspective « prend dorénavant une importance différente », estime Lapidot.
La curatrice Naama Bar-Or a créé une chronologie des œuvres en partant des premières années de l’artiste à Berlin, jusqu’à ses derniers travaux.
C’est la quatrième exposition en solo de Sebba à Tel Aviv – deux avaient été organisées en 1944 et 1945 à Beit Dizengoff, précurseur du musée d’art, et une autre dans les années 1960 au Pavillon Helena Rubenstein, qui est récemment devenu le Pavillon Pavilion Eyal Ofer, sur la place Habima.
Sebba était devenu un maître sur de nombreux supports – peinture à huile, impressions, collages, décors de théâtre ou création de costume, fresques… Ses œuvres reflètent toutes les inconnues, tous les points d’interrogation de son temps au moment où il fuyait son Berlin natal pour recommander sa vie à zéro dans la Palestine pré-État.
C’est un artiste dont le travail est synonyme de la fondation de l’État et un grand nombre de ses œuvres proviennent de collections privées – « exhibées dans leur salle à manger, dans leurs chambre, toutes très aimées par les collectionneurs », dit Bar-Or.
Il y a des tableaux emblématiques, comme « la tonte des moutons », qui date de 1947 et qui appartient à la collection du musée, et ses peintures à l’huile sur plexiglas et bois, dans la mesure où « il cherchait toujours à présenter les choses différemment », indique Bar-Or.
Sebba était retourné en Allemagne à l’âge de 70 ans sur la demande de l’une de ses clientes, Bekker vom Rath, qui avait fait revenir les artistes qui avaient quitté le pays à cause de la guerre, et il avait vécu là-bas jusqu’à sa mort, en 1975.
Étrangement prémonitoire
En bas, dans l’aile Amir du musée, il y a l’exposition « Shmini Atzeret, » qui porte le nom du huitième jour de la fête de Souccot – quand les terroristes du Hamas avaient commis leur massacre, le 7 octobre.
Cette exposition – présentée dans une seule galerie – est constituée d’œuvres rassemblées par la conservatrice Dalit Matatyahu dans la collection du musée « qui nous rappellent ce qui était venu avant le 7 octobre », dit-elle, même si certaines pourraient remettre en mémoire aux visiteurs ce qui a eu lieu aussi ce jour-là.
Un poème écrit par le poète polonais Tadeusz Różewicz est au cœur de l’exposition, introduisant les photographies de Deganit Berest qui a imprimé les mots du poème sur chacune de ses images, accrochées tout le long du périmètre de la pièce sous la forme d’un lien continuel.
Le poème, qui dépeint le dialogue imaginaire entre un fils et sa mère sur la vie, est étrangement prémonitoire des milliers de messages envoyés via WhatsApp par les résidents des communautés frontalières de Gaza et par les jeunes qui prenaient part à la rave-party Supernova, appelant à l’aide et à un soutien lors de leurs dernières communications, le 7 octobre.
Si la conservatrice Matatyahu demande aux visiteurs de regarder les œuvres en pensant à des instants de la vie et de l’Histoire israéliennes précédant le 7 octobre, il est toutefois difficile de ne pas voir combien elles augurent des événements tragiques de cette journée.
Il y a « le Drapeau Blanc » de Moshe Gershuni – qui amène à penser aux trois otages qui ont été tués à Gaza quand ils ont été confondus avec des terroristes par des soldats de l’armée et il y a aussi le « Keffiyeh » de Tzipi Geva (1990), qui montre le foulard arboré par de nombreux Palestiniens et par leurs partisans dans les mouvements de protestation du monde entier.
« L’art israélien est encore traumatisé », explique Matatyahu qui a préparé cette exposition en un mois seulement.
« Shabbat au kibboutz », le tableau peint en 1947 par Yohanan Simon, rappelle les plaisirs pastoraux de la vie dans les communautés frontalières de Gaza tandis que « Conformément à la tradition locale » d’Elie Shamir, en 2022 – c’est une gigantesque peinture à l’huile représentant des funérailles dans un kibboutz – évoque les nombreuses inhumations qui se succèdent actuellement dans tout le pays.
Une photo familière de Micha Bar Am – dont une rétrospective a été présentée au musée en 2022 – montre un soldat éclaboussé par le passage d’une voiture à l’Ouest du Canal de Suez, au mois d’octobre 1973.
L’Histoire s’est répétée, cinquante ans plus tard, alors que l’armée a procédé à sa plus importante mobilisation de réservistes depuis la guerre de Yom Kippour. 2 656 soldats avaient alors perdu la vie – et une génération toute entière avait été transformée.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel