En 2017, le Bédouin aurait été abandonné par la police avant de mourir
Les détails d'une enquête sur un incident à Umm al-Hiran qui avait entraîné la mort de Yaqoub Abu Al-Qiaan et du policier Erez Levi montrent de nombreuses failles policières
![La police Israélienne se tient à côté d'un véhicule qui a percuté des policiers dans le village bédouin d'Umm al-Hiran dans le désert du Néguev, le 18 janvier 2017. (Police d'Israël) La police Israélienne se tient à côté d'un véhicule qui a percuté des policiers dans le village bédouin d'Umm al-Hiran dans le désert du Néguev, le 18 janvier 2017. (Police d'Israël)](https://static-cdn.toi-media.com/fr/uploads/2018/05/WhatsApp-Image-2017-01-18-at-11.51.23-e1511870018381-640x400.jpeg)
Des preuves récemment publiées de l’enquête portant sur un incident meurtrier commis dans la ville bédouine d’Umm al-Hiran montreraient que la police aurait fait illégalement usage de ses armes à feu, blessant un homme et le laissant mourir dans son sang.
Les forces de l’ordre avaient accusé l’individu d’avoir voulu commettre un attentat à la voiture-bélier.
Après réexamen de tous les éléments de l’enquête, le bureau du procureur d’Etat, en 2018, avait clos une enquête sur l’incident, affirmant qu’il lui était impossible de déterminer si Yaqoub Mousa Abu Al-Qiaan avait en effet commis un acte de terrorisme.
Les investigations, dirigées par le procureur d’Etat Shai Nitzan, avaient déterminé à l’époque que les agents qui avaient ouvert le feu sur Abu Al-Qiaan, quelques instants avant que son véhicule ne fonce en direction de l’agent Erez Levi, ne pouvaient pas être soupçonnés d’avoir commis un délit criminel et qu’ils avaient ouvert le feu légalement.
Toutefois, le Shin Bet avait fait savoir, le mois qui avait suivi, que le motif de terrorisme avait été exclu de l’incident.
Abu Al-Qiaan et Levi étaient morts.
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Les nouveaux détails ont été publiés samedi soir par plusieurs médias israéliens et ils semblent être basés sur un examen de la part du médecin et biologiste Ariel Livne des éléments de l’enquête fournie par le Shin Bet et par le département interne des enquêtes de la police (PIID).
Les conclusions vont être utilisées par deux groupes des droits de l’Homme qui représentent légalement la famille d’Abu Al-Qiaan, Adalah et le Comité public contre la torture en Israël (PCATI), comme base pour une plainte qui, ont-ils dit, sera déposée cette semaine devant la Haute cour de justice.
Les organisations ont indiqué dans un communiqué, samedi, qu’elles demanderont la réouverture d’une enquête criminelle sur le comportement des agents de police et des personnels médicaux qui avaient été déployés sur les lieux. Elle réclameront également qu’Abu-Al Qiaan soit officiellement blanchi de toute étiquette de terroriste.
L’incident était survenu lorsque la police était arrivée pour superviser des démolitions de maisons prévues à Umm al-Hiran, un village non-reconnu que l’Etat avait voulu supprimer pour permettre la construction d’une nouvelle ville juive.
Alors que les agents convergeaient vers la ville, le 18 janvier 2017, Al-Qiaan, enseignant de 47 ans et père de douze enfants, avait placé quelques affaires dans son SUV et avait quitté sa maison, disant qu’il ne supporterait pas d’assister à la démolition de son foyer.
Peu après, la police avait ouvert le feu sur Abu Al-Qiaan et la voiture qu’il conduisait avait alors accéléré en direction du groupe d’agents.
Des activistes et d’autres avaient expliqué que la police avait fait un usage excessif de la force à Umm al-Hiran, pointant ce qu’ils avaient clamé être un racisme institutionnel anti-arabe, et notamment à l’encontre des Bédouins.
Samedi, deux reportages simultanés ont été publiés par les sites Haaretz et Sicha Mekomit – et un autre a été diffusé par la chaîne publique Kan – chacun ne citant aucune source pour la majorité des informations transmises, mais présentant toutefois des détails très similaires de l’enquête et citant une réaction du groupe PCATI.
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Ces reportages ont montré des images qui, jusqu’à présent, n’avaient pas été vues et qui avaient été tournées par les agents présents sur les lieux, ainsi que des retranscriptions des interrogatoires – du Shin Bet initialement et, plus tard, du PIID – des agents de police et des personnels médicaux qui s’étaient trouvées sur les lieux.
Ces éléments, rassemblés, indiquent de multiples défaillances qui, cumulées, ont entraîné la mort non-nécessaire d’Abu Al-Qiaan.
Le Shin Bet avait conclu, dans les quarante-huit heures qui avaient suivi l’incident, que ce dernier n’avait pas été une attaque préméditée contre la police, ce qui avait mis un terme à l’enquête qui avait été alors remise entre les mains du PIID.
Lorsqu’il était sorti, le document du Shin Bet avait entraîné une crise parmi les responsables de la police, du Shin Bet et du ministère de la Justice, précipitant la réouverture des investigations après une enquête interne de la police qui avait blanchi les policiers de tout acte répréhensible au mois d’août 2017.
Nitzan avait ordonné cette nouvelle enquête après une accusation lancée par le commissaire de la police israélienne de l’époque, Roni Alscheisch, à l’encontre du département des enquêtes internes de la police. Le haut-responsable avait estimé que l’instance avait tenté d’enterrer le document du Shin Bet.
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Le PIID – qui est placé sous l’autorité du ministère de la Justice et non de la police – avait rouvert son enquête et réinterrogé les agents qui se trouvaient sur les lieux, soumettant ses conclusions révisées – qui contredisaient apparemment le document du Shin Bet – à Nitzan au mois de décembre 2017.
Nitzan avait clos le dossier au mois de mai 2018.
De nouvelles images des minutes qui avaient suivi la fusillade des policiers montrent l’homme baignant dans son sang, près de sa voiture, pendant des dizaines de minutes, changeant de position – ce qui indique qu’il était encore vivant – avec des agents de police et des secouristes postés à quelques mètres de lui, sans lui apporter de traitement médical. Certains ont ultérieurement dit qu’ils avaient présumé qu’il était un terroriste qui avait intentionnellement projeté son véhicule sur Levi.
Dans un clip, un agent passe devant Abu Al-Qiaan et l’alpague en criant « Fils de pu…e ».
Immédiatement après l’incident, Alsheich et le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan avaient laissé entendre qu’Abu Al-Qiaan était un terroriste qui avait été inspiré par l’Etat islamique, et qui avait été tué parce qu’il avait visé, en accélérant, un groupe d’agents de police, tuant Levi.
Mais la séquence vidéo qui avait émergé dans les heures suivant l’incident montre les agents ouvrir le feu avant qu’Abu Al-Qiaan n’accélère, avec ses phares allumés – l’aube n’était pas encore levée – contrairement à des évaluations policières antérieures.
Le reportage de la Dixième chaîne, à l’époque, avait révélé que l’autopsie d’Al-Qiaan avait révélé qu’une balle l’avait touché au genou droit, le brisant, et amenant peut-être la voiture à se lancer dans sa course folle.
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Dans les mois qui avaient suivi l’attaque, la police avait réaffirmé qu’Abu Al-Qiaan avait délibérément renversé et tué le policier.
Alsheich, pour sa part, avait noté qu’il y avait des indications laissant penser qu’il était impliqué au sein du groupe terroriste de l’Etat islamique.
Toutefois, ces nouveaux détails révélés samedi montrent que ces affirmations n’ont été basées que sur la présence de manuels religieux musulmans standards au domicile d’Abu Al-Qiaan, avec également trois exemplaires du journal Israel Hayom de ce matin-là – c’est le quotidien le plus vendu du pays – avec le titre en hébreu « L’Etat islamique fait exploser un avion ».
Les enquêteurs du PIID n’ont trouvé aucune preuve incriminant les ordinateurs d’Abu Al-Qiaan et ils ont appris que la police n’avait pas eu d’informations anticipées qui auraient évoqué une attaque potentielle au cours des évacuations prévues.
Les enquêteurs du Shin Bet se sont entretenus avec le père, le fils et le neveu d’Abu Al-Qiaan, qui ont tous dit que Yacoub leur avait demandé de ne pas s’adonner à la violence et de laisser la démolition de l’habitation suivre son cours – et qu’il n’y avait rien à faire contre les plans du gouvernement.
Ce qui a mené le Shin Bet à conclure qu’Abu Al-Qiaan n’avait aucun lien avec les groupes terroristes et qu’il avait accepté l’idée que son domicile serait détruit.
Selon des informations qui ont été transmises, l’agent de police qui a ouvert le feu sur Abu Al-Qiaan — qui n’est nommé que par la première lettre en hébreu de son prénom, « Shin » – avait déclaré à un enquêteur du Shin Bet nommé Taher, peu de temps après l’incident, qu’il ne s’était pas senti en danger quand il avait ouvert le feu. Il avait ultérieurement changé son témoignage, disant qu’il s’était senti en situation de danger immédiat et contraint à utiliser son arme.
« Le conducteur a éteint les lumières de la voiture et il a lentement commencé à conduire vers les combattants », avait confié Shin à Taher. « J’ai soulevé mon arme et j’ai lancé des tirs précis contre les pneus, pour arrêter le véhicule. A ce stade, je n’avais pas encore ressenti un danger qui mettait en péril ma vie ou celle de mes amis – parce que si ça avait été le cas, j’aurais tiré pour tuer ».
« J’ai tiré parce que le conducteur n’a pas écouté nos ordres lui demandant de s’arrêter et que j’ai eu peur qu’il puisse nous blesser », a-t-il continué.
Taher a remarqué que « Shin a clamé que le conducteur de la Jeep aurait pu commettre un attentat à la voiture-bélier alors qu’ils se retiraient de manière précipitée, mais qu’il ne l’a pas fait pour des raisons qui lui étaient propres ».
Un autre enquêteur du Shin Bet, Ziad, a écrit que « l’officier Shin m’avait dit qu’il avait tiré d’abord en direction des pneus, puis en direction du conducteur ».
Selon l’enquête, les personnels médicaux rattachés à la police avaient d’abord tenté de soigner Levi mais ils avaient dû se résoudre à prononcer sa mort en quelques minutes. Ils avaient ensuite pris en charge un autre officier qui était modérément blessé, mais pendant 50 minutes – jusqu’à ce qu’ils quittent les lieux – aucun d’entre eux ne s’était jamais approché d’Abu Al-Qiaan.
La docteure Maya Forman, à la tête de l’Institut national médico-légal, avait déterminé que la cause de la mort avait été « le manque de prise en charge médicale ». Le rapport d’autopsie avait dit que « les saignements des vaisseaux sanguins qui ont été endommagés dans ce cas ne causent pas la mort immédiate mais ils peuvent entraîner la mort en quelques dizaines de minutes ».
Le docteur Raphael Walden, directeur-adjoint du centre médical Sheba, a indiqué avoir été « choqué » lorsqu’il a vu le rapport. « Un simple pansement aurait pu lui sauver la vie. C’était un saignement externe, non interne », a-t-il commenté.
La femme médecin rattachée à la police a pour sa part déclaré aux enquêteurs du PIID qu’elle n’avait pas vu Abu Al-Qiaan et qu’il ne lui avait pas été dit qu’il y avait un autre blessé sur la scène de l’incident. Elle a clamé l’avoir appris quelques heures après.
« Je ne l’avais pas vu, je suis sûre à 100 % », avait-elle déclaré dans son témoignage. Alors qu’il lui était demandé comment il était possible qu’elle ne l’ait pas aperçu alors qu’elle était si proche de lui, la femme médecin avait répondu : « Il faisait très sombre, il n’y avait pas de lumière. Il y avait une grande agitation parce que nos forces pensaient qu’il y avait eu un attentat terroriste. Je ne voyais rien, j’étais trop occupée à soigner les agents blessés ».
La contredisant, un autre médecin présent avait indiqué que lui et sa consoeur avaient, en fait, remarqué Abu Al-Qiaan 15 minutes après avoir terminé de soigner les policiers, mais qu’ils avaient cru qu’il était mort.
« Je ne l’ai pas soigné et je n’ai pas vu de médecin s’approcher de lui », avait-il affirmé. « Je travaille sur ordre – et ma supérieure ne m’a pas dit d’aller le soigner. En le regardant, j’ai cru qu’il était mort. Je peux dire avec certitude que ma consoeur a vu le corps, je pense que la cause de la mort a été une balle ».
L’enquêteur du PIID lui a alors dit : « Il n’est pas mort d’un tir. Le type est mort parce qu’il s’est vidé de son sang en plusieurs dizaines de minutes, ce qui signifie que si vous aviez fait votre job, il ne serait pas mort. Comprenez-vous bien les conséquences de ça ? »
Le médecin avait alors répliqué : « C’est triste. C’est facile de parler maintenant mais, là-bas, on croyait que c’était un attentat terroriste ».
Selon le témoignage, le médecin avait initialement déclaré qu’il avait appris qu’il y avait eu un attentat à la voiture-bélier présumé que lorsqu’il était revenu au commissariat, mais qu’il avait ultérieurement changé son témoignage et déclaré qu’il s’était « souvenu » qu’il le savait déjà quand il était arrivé sur les lieux.
« La raison pour laquelle je ne me suis pas approché du civil décédé est parce qu’il y a eu un attentat à la voiture-bélier et parce que le protocole de sécurité de la police, en ce qui concerne les terroristes, dit qu’il ne faut pas les soigner car ils pourraient avoir sur eux une bombe », a-t-il précisé.
Un autre médecin a clamé qu’il n’avait pas vu Abu-Al Qiian, même s’il a été filmé à côté de lui pendant plusieurs minutes.
Un médecin du Magen David Adom a témoigné que le docteur, sur les lieux, lui avait dit qu’il y avait deux corps – celui d’un policier et celui de l’attaquant à la voiture-bélier – venant contredire une fois encore le témoignage du médecin.
« Umm Al-Hiran est une blessure ouverte et sanguinolente dans la relation entre les citoyens et la police en Israël », a déclaré le Comité public contre la torture en Israël dans un communiqué, samedi. « Un civil et un policier ont été inutilement tués, et l’enquête du département interne de la police s’est terminée sans investigations pénales. Le commissaire de la police et le ministre de la Sécurité intérieure ont clamé publiquement qu’il s’agissait d’un attentat terroriste, malgré toutes les preuves ».
« Cette affaire… est un moment critique dans la relation entre la police et la population bédouine en particulier, et le public israélien en général. Afin de commencer à réparer cette relation tendue, nous devons tout d’abord retourner à Umm al-Hiran, ramener les policiers devant la justice et offrir des réparations aux familles des victimes. »
Les forces de police avaient déclaré qu’il s’agissait « d’un événement malheureux, au cours duquel un agent de police est mort renversé par une voiture et qui a entraîné des blessures chez un autre officier. De plus, le conducteur du véhicule a été tué après avoir été neutralisé par les agents – tout cela au cours d’une opération qui s’est déroulée légalement sur le site ».
« L’enquête du PIID a conclu, sans équivoque possible, qu’il n’y avait pas de soupçon de délit criminel commis par aucun des agents de police opérant dans le secteur, dans des conditions complexes », avaient-t-elles ajouté.