En Egypte, le mal-être des sportifs qui choisissent un autre drapeau
En haltérophilie, en lutte, en équitation, en boxe ou même en handball, le départ des athlètes illustre le malaise de sportifs égyptiens sous-payés et en manque de soutien
Sa décision de représenter l’Angleterre est mal passée en Egypte, mais Mohamed ElShorbagy, l’une des références mondiales du squash, n’a pas eu le choix : son départ illustre le malaise de sportifs égyptiens sous-payés et en manque de soutien.
« Traître », « vendu »: ElShorbagy a tout entendu depuis qu’il a décidé en juin dernier à 31 ans de représenter l’Angleterre.
Mais l’ancien N.1 mondial de squash, champion du monde 2017 et vainqueur de 43 titres sur le circuit mondial, a été transparent pour justifier sa décision: « L’Angleterre m’a apporté tout le soutien dont j’avais besoin (…) ça fait des années que personne ne s’occupe de moi » en Egypte, a-t-il asséné.
Il est loin d’être le premier sportif égyptien à avoir changé de drapeau en cours de carrière. En haltérophilie, en lutte, en équitation, en boxe ou même en handball, les exemples ne manquent pas.
En 2018, Mahmoud Fawzy, spécialiste de lutte gréco-romaine, rejoignait l’équipe américaine après avoir décroché plusieurs titres continentaux. Il expliquait alors claquer la porte après un conflit avec la Fédération égyptienne.
Lors des JO de Tokyo, l’été dernier, Fares Hassouna a offert au Qatar l’un de ses deux seuls titres olympiques de son histoire, en haltérophilie. Mais cette médaille d’or a fait réagir l’opinion publique égyptienne, car le vice-champion du monde 2019 est né en Egypte.
« Il n’y a que le foot »
Son père a dû monter au créneau pour le défendre : Ibrahim Hassouna, lui-même champion d’Egypte d’haltérophilie et un temps entraîneur de l’équipe nationale, expliquait alors que c’était lui qui avait quitté son pays et entraîné son fils au Qatar depuis son enfance.
En lutte comme en haltérophilie, affirme Fethi Zeriq, ancien trésorier de la Fédération égyptienne d’haltérophilie, les sportifs sont souvent issus de familles pauvres –dans un pays où deux habitants sur trois vivent sous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté.
« Comment peut-on offrir seulement 54 000 dollars (51 000 euros) pour un titre olympique alors qu’il a nécessité quatre années d’entraînement, de stages et de préparation ? », s’interroge M. Zeriq. « Et parfois ces quatre années intenses ne rapportent aucune médaille. »
En Egypte, pays du foot-roi et de la superstar Mohamed Salah, une comparaison fait pâlir d’envie tous les sportifs. « En foot, certains joueurs touchent parfois un million de dollars par an, sans même avoir à gagner des compétitions », affirme ainsi M. Zeriq.
« Il n’y a que le foot et quelques sports collectifs » qui tirent leur épingle du jeu, renchérit auprès de l’AFP Hossam Hamed, ancien lutteur, aujourd’hui entraîneur de lutte gréco-romaine en Egypte. Pour les autres, surtout dans les sports individuels, il faut composer avec « des règlements obsolètes » et « des défraiements minimes même après des médailles ou des victoires internationales ».
21,3 M de dollars pour le sport
Le handball a lui réussi à inverser la tendance, raconte à l’AFP Yasser Labib, ancien capitaine de l’équipe nationale et en charge du club d’Al-Ahly –qui, avec un autre club cairote, Zamalek, domine le championnat africain.
Si dans les années 1990, ce fut l’hémorragie avec des joueurs égyptiens partout dans le monde sauf en Egypte, « ce n’est plus le cas », assure-t-il.
« Les salaires ont été augmentés, les contrats se sont professionnalisés et les joueurs n’ont plus pensé à prendre une autre nationalité mais seulement à jouer en professionnels en Europe », tout en restant dans l’équipe nationale égyptienne, rapporte M. Labib.
Le secret, assure-t-il, c’est d’en finir avec les querelles de clocher au sein des fédérations égyptiennes et d’augmenter les fonds dédiés aux sportifs.
Difficile de plaider auprès du gouvernement dans un pays pris en étau entre inflation à deux chiffres et dévaluation mordante. Et ce, alors que déjà en 2019-2020, seuls 21,3 millions de dollars avaient été attribués par l’Etat à l’ensemble des fédérations du pays selon les chiffres officiels. Bien loin des budget accordés aux sports en Europe notamment où les sportifs reçoivent aussi des financements privés.
Car la solution peut venir des sponsors.
« Il faut qu’ils s’immiscent moins dans la carrière des sportifs », plaide M. Zeriq. Et surtout, qu’ils continuent à soutenir les sportifs après leur retraite « en leur offrant un métier », plaide Amir Wagih, ancien champion de squash.
Et dans son sport, dit-il, « de nombreux joueurs ont obtenu des bourses d’universités européennes et américaines et ont de vraies compétences recherchées ».