Encore en transit, une artiste de Beeri poursuit sa quête vers « quelque chose qui a du sens »
Le 7 octobre, Sofie Berzon Mackie a quitté son kibboutz dont les terroristes ont incendié l'espace artistique. Après des mois à l'hôtel, elle cherche des réponses et tente de se reconstruire

Sofie Berzon Mackie, directrice de la galerie d’art et conservatrice du kibboutz Beeri, n’en est pas à son premier logement temporaire depuis le pogrom du Hamas, le 7 octobre 2023, qui a détruit sa maison et, plus largement, sa communauté.
Ce jour-là, Berzon Mackie et ses proches ont quitté Beeri après avoir passé des heures cachés chez eux et à esquiver les tirs qu’échangeaient les soldats de Tsahal et les terroristes dans une lutte âpre pour prendre le contrôle du kibboutz.
La bataille durera près de 48 heures.
La galerie Beeri, institution artistique chère aux membres du kibboutz depuis 1986, a été totalement incendiée par les terroristes du Hamas. Berzon Mackie et Ziva Jellin, codirecteurs et conservateurs de la galerie, ont tous deux dû s’éloigner de ce lieu mythique, fondé 40 ans plus tôt dans ce qui avait été le tout premier réfectoire.
Pour Berzon Mackie, l’attaque terroriste du 7 octobre est synonyme d’une tristesse et d’une angoisse intenses, sans oublier un nomadisme personnel et professionnel qui dure depuis plus d’un an et demi.
Aujourd’hui, dix-huit mois après les événements, Berzon Mackie, son partenaire et leurs trois enfants vivent dans une nouvelle maison temporaire au kibboutz Hatzerim, non loin de Beer Sheva et du rugissement des avions de chasse qui décollent de la base militaire voisine, au milieu de rangées de mobil homes nouvellement arrivés dans l’herbe verte.
« Les enfants sont ravis », confie Berzon Mackie. « Avoir à nouveau une maison, des chambres, une cuisine. Cela nous a fait tout drôle de reprendre ces habitudes.»
L’emménagement à peine terminé, Berzon Mackie a acheté des arbres fruitiers qu’elle a plantés dans des pots en céramique autour de la petite terrasse en bois attenante à leur mobil home.
« C’est fait, nous pouvons nous reposer maintenant », affirme Berzon Mackie.
Mais c’est un repos tout sauf paisible.

Après le 7 octobre, les habitants du kibboutz Beeri évacués ont été accueillis des mois durant dans des chambres d’hôtel près de la mer Morte.
Berzon Mackie et ses proches ont séjourné chez des amis les tout premiers jours suivant cet effroyable massacre, avant de partir avec le reste du kibboutz pour l’hôtel David.
Quelques semaines plus tard, le kibboutz Hatzerim proposait aux habitants de Beeri de venir vivre dans des mobil homes installés sur leurs terres. Dès juin 2024, des familles originaires du kibboutz Beeri ont pu quitter l’hôtel et emménager à Hatzerim dans les premiers logements mis à disposition.
Le logement de Berzon Mackie, comme ceux d’autres, a pris plus de temps à se mettre en place et même si l’hôtel était disposé à continuer à les accueillir, il n’y avait plus d’école à la mer Morte. Les enfants du kibboutz avaient déjà été inscrits dans les écoles maternelles et primaires de Hatzerim et dans les lycées de la région.
« Quand j’ai appris la nouvelle, quelque chose s’est de nouveau brisé en moi. Je n’en pouvais plus. Qui pourrait supporter ça ? interroge Berzon Mackie. « Nous parlons d’enfants gravement traumatisés, des jeunes de 13 ans. C’était du n’importe quoi. C’est là que nous avons décidé de faire autrement. »
Les familles ont donc cherché des solutions, que ce soit des solutions très provisoires ou même des logements à louer dans le secteur. Dix-huit familles – celle de Berzon Mackie comprise – ont décidé de rentrer chez elles à Beeri un moment.
« C’était très difficile, mais après y avoir bien réfléchi, nous en sommes venus à la conclusion qu’il n’y avait qu’un endroit possible », explique Berzon Mackie. « Personne ne pourrait me mettre à la porte de chez moi. J’ai donc décidé de rentrer chez moi, un point c’est tout. Et c’était bien. »
Bien sûr, tout est relatif. Leur quartier du kibboutz avait été relativement préservé des déprédations – la seule maison incendiée par les terroristes avait déjà été abattue – mais la guerre faisait toujours rage dans la ville voisine de Gaza.
Les parents ont fait du covoiturage pour emmener les enfants dans les écoles de Hatzerim, à une heure de route, jusqu’à ce que leur maison soit enfin prête en décembre dernier.
« Nous avons emménagé et passé Noël dans notre nouveau logement », poursuit Berzon Mackie, fille d’un kibboutznik israélien et d’une Anglaise venue à Beeri en qualité de bénévole dans les années 1970.
Berzon Mackie a reçu une éducation mixte – d’abord en Angleterre, puis dans un kibboutz -, où sa mère s’est éteinte des suites de maladie. Elle a passé la majeure partie de sa vie d’adulte au kibboutz Beeri : c’est là qu’elle a eu trois enfants avec son partenaire et c’est là qu’elle vivait près de son père et de sa sœur cadette, elle aussi relogée au kibboutz avec ses proches.

Son père est revenu vivre à Beeri et Berzon Mackie, sa sœur et leurs proches sont à Hatzerim.
Chaque famille a reçu un pécule de 80 000 shekels de la part de Tekuma, l’autorité chargée de ranimer la zone frontalière de Gaza, afin d’acheter meubles, appareils électroménagers et articles ménagers, et dans le cas de Berzon Mackie, des arbres fruitiers pour sa terrasse. Leur contrat stipule que les habitants de Beeri resteront à Hatzerim jusqu’en septembre 2026, soit près de deux ans, après quoi ils regagneront leurs pénates à Beeri. Berzon Mackie estime que le kibboutz ne sera pas reconstruit à cette date.
En outre, en mars dernier, Berzon Mackie était tout sauf sûre de vouloir retourner vivre dans cette maison où ils ont vécu dans la terreur et qui les a vus se cacher, le 7 octobre, ou même une autre dans un nouveau quartier en construction du kibboutz. La famille a fini par décider de construire une nouvelle maison dans le nouveau quartier.
« Je suis épuisée », confie Berzon Mackie. « Je serais tellement heureuse de pouvoir m’asseoir, ici, pour contempler le coucher de soleil, le beau ciel, sans m’en faire pour ces choses très graves qui changent la vie. C’est ce qui nous a occupés jusque-là. Nous voudrions pourvoir nous reposer maintenant. Mais quand je pense à l’avenir, ce n’est pas très clair. Quand pourrons-nous enfin nous reposer ? Seulement une fois que nous serons rentrés chez nous. C’est-à-dire encore dans des années. »
Lorsque les terroristes du Hamas ont envahi Beeri et d’autres communautés de l’enveloppe de Gaza, le 7 octobre, ils ont incendié des bâtiments et des maisons, y compris la galerie d’art Beeri, que Berzon Mackie co-dirigeait depuis cinq ans.

La galerie s’est vu offrir un espace temporaire pour les trois prochaines années à Tel Aviv, à l’invitation de la municipalité, sans loyer ni impôt foncier, fruit des largesses du propriétaire des lieux et de la ville. Cet espace se trouve au dernier étage de Beit Romano, juste à la sortie d’une route principale située à l’extrémité sud de Tel Aviv. Les expositions ont pu reprendre avec une nouvelle équipe.
« Nous avons eu toutes sortes de problèmes », poursuit Berzon Mackie.
Mais elle ne s’est pas laissé décourager, même lorsque que son co-directeur Jellin a quitté la galerie suite au 7 octobre. Berzon Mackie savait que le projet tout entier risquait de péricliter, mais que c’était de bien peu d’importance comparé à tout le reste, au milieu de tous ces morts et de ces otages.
La galerie a rouvert ses portes en janvier suivant, à la grande surprise et satisfaction de Berzon Mackie.
« C’est la seule chose que je sais faire et aussi la seule que je pouvais encore faire », souligne-t-elle. « Je connais bien tout ça. C’est mon superpouvoir, je sais comment faire bouger les choses. »
Depuis, plus d’une demi-dizaine d’expositions se sont succédées à la galerie, toutes programmées après le 7 octobre 2023.

« Je vivais au jour le jour, un pied devant l’autre, persuadée que l’univers m’enverrait de bonnes personnes et de bonnes opportunités que je ne manquerais pas », ajoute Berzon Mackie. « Quand on vous prend tout, il vous reste un corps et des intuitions très fortes sur les bonnes décisions à prendre. Et j’ai pris les bonnes décisions. »
Depuis le 7 octobre, Berzon Mackie a pu constater la solidarité de ses collègues du monde de l’art, un monde de professionnels dévoués et réellement extraordinaires qui savent faire bouger les choses.
« Les artistes et autres créatifs de la société savent comment réunir », assure-t-elle. « C’est ce que nous faisons. La créativité, ça consiste à prendre deux pièces et à les faire fonctionner ensemble. Je n’ai rien fait seule. J’ai toujours été entourée de professionnels et bénéficié de beaucoup de soutien de tout autre, de gens d’ici et d’ailleurs. Et j’ai aussi eu beaucoup de chance. »
D’une certaine manière, la plus importante tragédie qu’elle et son pays aient connue l’a aidée à se recentrer.
« Au beau milieu de cette crise d’identité géante, il n’y a plus rien », poursuit-elle. « Mais d’un autre côté, il n’y a plus aucune distraction. On se retrouve face à ces vérités claires comme de l’eau de roche et l’intuition très forte de ce qui doit arriver. Le bruit parasite a tout simplement disparu. C’est tellement facile. Cela semble contre-intuitif. Mais ça ne l’est pas. Je retire une certaine clarté de pensée de toute cette période. »
C’est autre chose de diriger la galerie à Tel Aviv, sans la communauté artistique du sud autour d’elle, de surcroît loin de chez elle, avec une nouvelle équipe et de nouvelles règles.
« Il faut se réinventer en tant que personne dans ce nouveau monde, avec de nouvelles règles », précise-t-elle. « C’est difficile de s’y retrouver. On ne connait personne. »
Pour l’heure, la galerie de Tel Aviv est un lieu qui lui fait du bien et Berzon Mackie est en train de choisir un architecte pour reconstruire la galerie du kibboutz, dans un ancien silo, un bâtiment en pleine réhabilitation après 50 ans d’abandon.
Artiste visuelle également connue pour ses assemblages de photographies, Berzon Mackie a également poursuivi son oeuvre et organisé une exposition personnelle au Studio of Her Own, à Jérusalem, et exposé des oeuvres lors de récentes expositions dans des musées israéliens.
Elle est revenue à l’art quelques mois après le pogrom, à la mer Morte. Sa première œuvre, qui joue avec l’idée du très petit, lui est venue en ramassant de microscopiques détritus sur la plage et en en faisait un petit collage, qu’elle a immortalisé par une photo.
L’une de ses oeuvres de cette période est accrochée au mur de son salon à Hatzerim : il s’agit d’une petite photo très pâle, de quelque chose qui ressemble à un coquillage, sur un fond noir nettement plus grand qui lui fait penser aux étoiles dans le ciel.

« Ce sont des morceaux de mon passé, quelque chose qui a du sens », explique-t-elle. « C’est un peu comme un cristal, car lorsque les cristaux grandissent, ils ont une structure : ils sont de l’ordre du vivant, sans être aussi vivants que quelque chose de vraiment vivant. »
Avec l’art, Berzon Mackie tente de reprendre espoir et d’accepter la catastrophe, sans négliger les conversations avec ses voisins ou les récits des survivants de la Shoah.
« Je n’ai pas le sentiment d’avoir grand chose à dire, mais le peu que j’ai me parait authentique », confie-t-elle. « Je fais de mon mieux pour comprendre ce monde et de lui donner un sens. Parce que tout, pour moi, du moins, semble faux. Tout semble faux. Les vérités que je pensais vraies ne sont pas vraies. Nous devons donc faire ce travail ensemble. Nous devons avoir cette discussion sur ce que nous sommes, sur ce qui nous est arrivé, sur notre objectif et les moyens d’avoir un avenir. Pour savoir comment être heureux. »
Elle a du mal à imaginer ce qu’elle fera dans trois ans, et même dans les prochaines 48 heures, si ce n’est qu’elle doit aller chercher son cadet à 15 h 45 chaque jour à l’école maternelle.
Pour autant, elle reste une artiste et cette nouvelle maison, ce foyer temporaire, lui apporte du réconfort. Berzon Mackie regarde autour d’elle – son fils affalé dans le salon sur le nouveau canapé acheté grâce à la vente de ses œuvres d’art.
« Pour l’instant, je me sens chez moi ici », conclut-elle. « Cela m’aide. »
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