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Face à la menace des mariages mixtes, la ‘liste noire’ des rabbins israéliens

Les rabbins israéliens ont établi une ‘liste noire’ des familles dont l’origine juive n’a pu être formellement prouvée. Les militants affirment que le Grand Rabbinat se livre à une ‘Inquisition’, alors que l’identité juive d’immigrants de longue date en Israël est étudiée à la loupe

Un fiancé et sa promise dans le centre de Tel Aviv, le 4 novembre 2015 (Crédit : Flash 90/via JTA)
Un fiancé et sa promise dans le centre de Tel Aviv, le 4 novembre 2015 (Crédit : Flash 90/via JTA)

TEL AVIV (JTA) — Yael savait qu’il fallait qu’elle prouve qu’elle était juive. Mais elle n’aurait jamais pensé que son désir de se marier se transformerait en une enquête sur sa famille qui durerait près d’un an.

Et finalement, Yael – qui a demandé à être désignée par un pseudonyme par souci de confidentialité – n’a pas obtenu le droit de se marier en Israël, tout comme sa mère et son frère aîné.

Même s’ils se trouvaient en tant que Juifs depuis longtemps dans le pays, leur lignée n’a pas satisfait les autorités religieuses de l’état.

« Le fait d’avoir un mariage juif officiel a toujours été très important à mes yeux », dit-elle. « Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être une citoyenne de seconde zone. C’est très perturbant pour moi. Et c’est très perturbant pour ma famille ».

Au fil des années, les rabbins orthodoxes qui contrôlent les unions en Israël sont devenus de plus en plus stricts lors de leurs vérifications.

Et ce sont de plus en plus de candidats au mariage qui ont été envoyés devant les tribunaux rabbiniques pour y faire l’objet d’un examen minutieux.

Le mois dernier seulement, ces tribunaux ont également demandé aux autorités de traduire en justice deux familles de candidats.

Ceux dont il est établi qu’ils ne sont pas Juifs sont ajoutés sur une « liste noire » pour les mariages, comme c’est arrivé à Yaël et à sa famille.

Le mois dernier, des juristes de l’organisation ITIM, association à but non lucratif qui aide les gens à naviguer au sein de la bureaucratie religieuse israélienne, ont fait appel à la cour rabbinique de Jérusalem au nom de Yaël et de son frère, ainsi que de membres de familles ayant été inscrits sur la « liste noire » pour deux autres cas.

Les avocats d’ITIM ont affirmé que les tribunaux rabbiniques avaient agi hors de leur cadre de compétence légale en statuant sur la judéité d’individus sans avoir obtenu leur consentement préalable.

Le Chef de l'Agence Juive Natan Sharansky prend la parole lors d'une réunion à la Knesset de la Commission du Lobby de la Religion etr de l'Etat le 27 décembre, 2016. Assis à sa gauche, le président d'ITIM, le Rabbin Seth Farber et à sa gauche, le co-président de la Commission et Parlementaire Elazar Stern. (Autorisation ITIM)
Le Chef de l’Agence Juive Natan Sharansky prend la parole lors d’une réunion à la Knesset de la Commission du Lobby de la Religion etr de l’Etat le 27 décembre, 2016. Assis à sa gauche, le président d’ITIM, le Rabbin Seth Farber et à sa gauche, le co-président de la Commission et Parlementaire Elazar Stern. (Autorisation ITIM)

Parce que la judéité se transmet de la mère à l’enfant, les tribunaux rabbiniques s’intéressent aux fratries et aux proches du côté maternel des candidats au mariage et décident typiquement d’un jugement qui s’applique à tous.

Selon les experts, cela a été le cas depuis au moins une décennie et de manière bien plus systématique depuis un an et demi.

Le rabbin Seth Farber, directeur de l’association ITIM, explique que le Grand rabbinat – qui contrôle officiellement une grande partie de la vie juive en Israël et supervise les tribunaux rabbiniques – s’est lancé dans une inquisition « destructrice ».

« Le rabbinat est en train de défier les fondements mêmes du sionisme en mettant en doute le statut de tous les Juifs », dit-il. « Au lieu d’être un lieu qui accueille les Juifs, il devient un instrument qui veut saper l’identité juive ».

Le rabbin ashkénaze David Lau, à gauche, et le rabbin sépharade Yitzhak Yosef lors d'une cérémonie de Nouvel An au siège national de la police israélienne à Jérusalem, le 7 septembre 2015 (Crédit :Yonatan Sindel/Flash90)
Le rabbin ashkénaze David Lau, à gauche, et le rabbin sépharade Yitzhak Yosef lors d’une cérémonie de Nouvel An au siège national de la police israélienne à Jérusalem, le 7 septembre 2015 (Crédit :Yonatan Sindel/Flash90)

Elad Caplan, consultant juridique pour l’organisation ITIM, déclare que les tribunaux rabbiniques enquêtent chaque année sur la judéité d’environ 5 000 personnes, établissant que moins de 10 % d’entre elles ne seraient pas juives.

Mais il estime que la plupart de ces gens se sont simplement retrouvés dans l’incapacité de le prouver.

C’est « scandaleux », s’exclame Caplan, qu’Israël puisse demander des documents qui, dans de nombreux cas, ont été créés par les pays plongés dans les affres d’un antisémitisme violent.

« Veut-on vraiment d’un état juif qui établit des listes noires de qui est Juif et de qui ne l’est pas ? » s’interroge-t-il. « N’avons-nous donc tiré aucune leçon de notre histoire ? »

‘Le rabbinat est en train de défier les fondements mêmes du sionisme en mettant en doute le statut de tous les Juifs’

Le 12 décembre, la Cour rabbinique a rejeté deux appels qui lui avaient été soumis par l’organisation ITIM, estimant que les tribunaux rabbiniques avaient agi de façon légitime et sous les termes d’un mandat légal pour lutter contre les mariages mixtes.

La justice a cité une proposition d’amendement aux réglementations de la cour faite quelques jours plus tôt en réponse aux appels de l’ITIM.

Un jugement similaire concernant Yaël devrait être connu d’ici quelques jours.

Le rabbin Shimon Yaakovi, un juriste qui dirige l’administration des tribunaux rabbiniques, a pris la défense du jugement émis par la cour rabbinique, affirmant que les tribunaux religieux doivent s’assurer du respect de la loi juive.

« Nous ne pouvons pas laisser quelqu’un penser à tort qu’il est juif alors que sa famille et ses amis le pensent également », explique-t-il. « Je comprends que les gens aient besoin de faire partie du collectif juif en Israël, mais il y a des règles. Et si nous n’obéissons pas aux règles, nous allons saper la halakha [loi juive]. Le judaïsme ne se mesure pas aux sentiments ».

David, immigrant de l'ex-URSS (en pull bleu) témoigne devant la commission de l'Alyah de la Knesset. Depuis la gauche, sont également présent le rabbin de Giyur KaHalacha Seth Farber, Eli Cohen, directeur, et l'avocat Elad Caplan. A Jérusalem, le 8 mars 2016. (Crédit : Michael Shapochnic, Giyur KaHalacha)
David, immigrant de l’ex-URSS (en pull bleu) témoigne devant la commission de l’Alyah de la Knesset. Depuis la gauche, sont également présent le rabbin de Giyur KaHalacha Seth Farber, Eli Cohen, directeur, et l’avocat Elad Caplan. A Jérusalem, le 8 mars 2016. (Crédit : Michael Shapochnic, Giyur KaHalacha)

Yaël dit s’être toujours sentie juive israélienne.

Sa famille est arrivée en Israël depuis la Biélorussie alors qu’elle n’était qu’un bébé, explique-t-elle dans un hébreu dépourvu d’accent, et elle a fait sa scolarité dans des écoles publiques, observé les fêtes juives et effectué son service militaire.

Elle a grandi en entendant le récit de l’Holocauste tel qu’il avait été vécu par sa grand-mère maternelle, une survivante, ajoute-t-elle. Puis elle est tombée amoureuse d’un jeune Israélien et elle a accepté de l’épouser l’automne dernier.

En amont de la date de mariage, prévu pour cet été, le tribunal rabbinique de Tel Aviv a sabordé tous ses espoirs. En jugeant qu’elle n’était pas juive, le tribunal a souligné des incohérences dans les papiers administratifs de sa famille.

La grand-mère de Yael, qui a expliqué que ses documents s’étaient égarés durant la Seconde Guerre mondiale, a été inscrite comme juive sur le certificat de naissance de sa fille, la mère de Yaël, mais en tant que biélorusse ou comme non-juive sur le certificat de naissance de son fils.

La mère de Yaël a également été enregistrée comme biélorusse sur ses documents d’immigration et en tant que non-juive sur le certificat de naissance de Yaël.

Des immigrants russes lors d'une cérémonie qui marque le 25ème anniversaire de la Grande Alyah de Russie, au Jerusalem Convention Center, le 24 décembre 2015. (Crédits : Hadas Parush/Flash90)
Des immigrants russes lors d’une cérémonie qui marque le 25ème anniversaire de la Grande Alyah de Russie, au Jerusalem Convention Center, le 24 décembre 2015. (Crédits : Hadas Parush/Flash90)

Le père de Yael est juif, mais ce n’est pas pertinent dans la loi juive orthodoxe, car c’est la mère qui transmet la religion.

Les spécialistes expliquent que le Grand rabbinat a commencé à vérifier régulièrement la judéité des candidats au mariage en réponse à l’afflux massif de migrants en provenance d’Ethiopie et de l’ancienne Union Soviétique, majoritairement au cours des années 1980 et 1990.

Il suffisait aux immigrants d’avoir un proche juif pour obtenir la citoyenneté israélienne [c’est toujours le cas] et plusieurs centaines de milliers de non-juifs seraient arrivés lors de ces vagues d’immigration.

Au fil des décennies, disent les spécialistes, les inquiétudes du Grand rabbinat face aux mariages mixtes n’ont fait que croître. Les vérifications sont devenues une politique officielle en 2002.

‘Plus les rabbins regardent de près, plus ils sont nerveux’

« Plus les rabbins regardent de près », l’origine des immigrants, « plus ils sont nerveux, ce qui les amène à observer de plus près encore », indique Shuki Friedman, directeur de la recherche sur la religion et l’état à l’Institut israélien de la démocratie.

Mais Friedman explique que la majorité des immigrants non-juifs ne s’identifient pas en tant que Juifs, et que cette question ne doit donc pas concerner le Grand rabbinat.

De plus, si l’objectif est d’empêcher l’assimilation, dit-il, les examens agressifs des candidats au mariage et de leurs familles, tels qu’ils sont menés par les tribunaux rabbiniques, sont contreproductifs, car « ils éloignent les gens du judaïsme ».

Le rabbin David Stav, un éminent leader sioniste religieux, partage le même point de vue, affirmant que cette pratique n’est nullement exigée par la loi juive.

Le rabbin David Stav (à droite), fondateur et président de l'organisation rabbinique israélienne Tzohar, a exprimé son plein soutien au rabbin de New York Haskel Lookstein (à gauche), après une rencontre le 5 juillet 2016. (Crédit : Yakov Gaon)
Le rabbin David Stav (à droite), fondateur et président de l’organisation rabbinique israélienne Tzohar, a exprimé son plein soutien au rabbin de New York Haskel Lookstein (à gauche), après une rencontre le 5 juillet 2016. (Crédit : Yakov Gaon)

« Si le tribunal découvre qu’il y a eu une tentative de dissimulation ou de tromperie à l’égard des rabbins, je peux comprendre qu’il soit en droit de vérifier [la judéité de l’individu] encore une fois », dit-il.

« Du point de vue de la loi juive, toutefois, il n’est pas nécessaire de vérifier la véracité de l’histoire de quelqu’un, à moins qu’il ne vous donne une bonne raison d’être méfiant », ajoute-t-il.

Le groupe rabbinique de Stav, Tzohar, travaille pour aider les Israéliens non-orthodoxes à accéder aux services du Grand rabbinat.

Mais lorsque Yael s’est tournée vers l’organisation Tzohar pour obtenir de l’aide, avant l’enquête dont elle a été l’objet l’année dernière, elle a été déçue.

Racines – le nom du programme d’aide du groupe à destination des immigrants de l’ancienne Union Soviétique – n’est pas parvenu à prouver qu’elle était juive et a livré ses conclusions au Grand rabbinat.

Après que le tribunal rabbinique a statué en sa défaveur, Yaël a continué à avancer.

Elle s’est convertie au mouvement orthodoxe moderne et elle a épousé son fiancé lors d’une cérémonie de mariage qui n’a pas été reconnue par le Grand rabbinat, et qui par conséquent contrevient à la loi israélienne.

Et pourtant, Yael garde l’espoir que l’état puisse un jour la reconnaître, elle et son mariage, en tant que juive. Avant le mariage de ses futurs enfants…

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