Hassen Chalghoumi demande la poursuite du pèlerinage en Tunisie malgré l’attentat
L'imam français, qui était à Djerba lorsque deux Juifs y ont été tués, a déclaré que le pèlerinage devait se poursuivre pour les 1 000 membres de la communauté juive locale
Le pèlerinage de cette année à la synagogue El Ghriba, en Tunisie, était supposé être une fête, non seulement pour les quelque 8 000 pèlerins juifs, mais aussi pour un musulman, au moins, en la personne d’Hassen Chalghoumi, avocat du dialogue interreligieux né en Tunisie et connu de nombreux Juifs français comme « l’imam de la paix ».
Chalghoumi, dont l’activisme a inspiré d’innombrables Juifs français craignant une augmentation de l’antisémitisme de la part de musulmans français, a déjà participé au pèlerinage, qui attire des milliers de Juifs de France, d’Israël et d’ailleurs, qui viennent grossir les rangs du millier de Juifs qui vivent à Djerba, île du sud de la Tunisie qui abrite la plus ancienne synagogue encore en activité de toute l’Afrique.
L’événement de cette année, qui se déroule au moment de la fête juive de Lag BaOmer, devait revêtir une tonalité particulière parce que c’était la première fois depuis les confinements liés à la pandémie de COVID-19 que le pèlerinage revenait à son faste original, a-t-il fait savoir au Times of Israel. « Mais à la place d’une célébration de la fraternité, c’est un cauchemar violent et une tristesse sans nom qui se sont abattus sur nous », a déclaré Chalghoumi, 51 ans, faisant allusion à la mort de deux Juifs et de deux agents de sécurité lors d’une fusillade que les autorités attribuent à un homme armé lié à la garde navale.
L’attentat de Djerba, le plus sanglant depuis celui de 2002, à la bombe, contre la synagogue, qui avait tué 19 personnes, suscite chagrin et incrédulité au sein de la communauté des Juifs tunisiens de l’étranger et dans le cercle plus restreint des pèlerins.
Avi Chana, Israélien né en Tunisie qui a par le passé participé au pèlerinage, a dit au Times of Israel que l’attentat risquait d’être « fatal » au pèlerinage, qui est un point de rencontre rare entre Israéliens et Juifs dans un pays arabe.
La Dr. Miryam Guez-Avigal, présidente de la Fédération mondiale des Juifs tunisiens en Israël, a dit ressentir une « douleur intense ». Mais Guez-Avital, qui est née en Israël et qui s’est rendue à au moins 17 reprises à Djerba, a déclaré ne pas avoir été totalement surprise par l’attentat.
« Récemment, j’ai ressenti des tensions, ce qui m’a poussée à ne pas envoyer de délégation officielle de la Fédération l’année dernière ni cette année », a-t-elle expliqué. « Personnellement, je n’ai pas peur d’aller en Tunisie où la population est largement accueillante – et soutient les Juifs et même Israël. Mais une délégation et un pèlerinage peuvent être des cibles de choix pour une frange radicale qui, certes, est de taille modeste mais croissante », a-t-elle indiqué.
Son groupe avait cessé d’envoyer des délégations à la Ghriba à la suite des restrictions qui avaient été induites par la pandémie de COVID-19, en 2020.
Guez-Avigal a décrit les tensions comme « subtiles ». « Il s’agit d’amis et de contacts qui ne répondent plus aux messages, qui ne partagent plus sur les réseaux sociaux comme ils le faisaient auparavant. Ce n’est pas quelque chose dont on va vous parler directement, mais on ressent des tensions dans les relations – une tension entraînée par la peur. »
Martine Cohen, une Juive française de 70 ans née en Tunisie et vivant à Paris, a réagi avec colère à la nouvelle de l’attentat, non seulement vis-à-vis de la société tunisienne qui, selon elle, est « désespérément infectée par l’antisémitisme », mais aussi en raison des Juifs qui s’y rendent en masse.
« Je ne comprends pas cette folie du pèlerinage en Tunisie », s’est exclamée Cohen, qui a quitté le pays alors qu’elle était enfant avec sa famille après la Guerre des Six Jours en 1967, en raison de ce que de nombreux émigrants juifs avaient décrit comme une atmosphère de haine anti-juive qui avait conduit à de multiples émeutes antisémites. « Cette nostalgie de la bonne vieille Tunisie, ceux qui ne connaissent pas le pays ou qui l’ont oublié ne peuvent pas savoir ce que c’est », a-t-elle estimé. « Si cette tragédie – qui m’attriste énormément – a un côté positif, c’est qu’elle mettra peut-être un terme à ce pèlerinage qui met inutilement en danger tant de monde. »
Chalghoumi, qui est un héros pour nombre de Juifs francophones en raison de son opposition à l’antisémitisme et de l’acceptation de l’attachement des Juifs à Israël et au droit de ce pays à se défendre, a demandé à tous ceux qui tiennent au pèlerinage, et qui sont horrifiés par cet attentat, de faire en sorte que le pèlerinage se poursuive.
« Je reviendrai l’année prochaine, et j’espère que tous ceux qui chérissent cette belle tradition feront de même : nous ne devons pas céder un pouce à la peur et au terrorisme », a déclaré Chalghoumi, qui a prolongé son séjour en Tunisie d’une journée pour aider le grand rabbin local, Haim Bitan, et sa communauté à gérer les questions soulevées par la mort de Benjamin et Aviel Hadad, tous deux cousins juifs originaires de France et d’Israël.
Chalghoumi, Bitan et d’autres représentants de la communauté juive donneront une prière commune dans la synagogue en mémoire des victimes de l’attentat, qui a par ailleurs blessé six personnes au moins.
En plus du tireur, abattu par la police, quatre personnes ont été tuées lors de l’attentat : les pèlerins, un agent de sécurité tué aux abords de la synagogue et un autre agent, qui a succombé à ses blessures, a rapporté Reuters mercredi.
Chalghoumi estime qu’il convient de réagir à cet attentat terroriste comme le fait Israël, à savoir en l’ignorant.
« Les Israéliens ne laissent pas le terrorisme dicter leur conduite en Israël, et il serait bon d’en faire autant en Tunisie, où les autorités font de gros efforts et de grands sacrifices pour assurer la paix et garantir la sécurité », a ajouté Chalghoumi.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le pèlerinage annuel, mais aussi l’avenir du millier de Juifs qui vit à Djerba aujourd’hui, l’une des rares communautés juives du monde arabe, a ajouté Chalghoumi.
« Cet attentat a vocation à chasser les Juifs qui vivent ici, dont les ancêtres sont nés ici, comme leurs ancêtres avant eux », a déclaré l’imam, qui a été agressé à plusieurs reprises par des musulmans radicaux en France, où il vit, et en Tunisie, où il se rend fréquemment.
« Résister est une façon d’aider les Juifs de Djerba », a-t-il conclu.
Ces dernières années, au milieu des bouleversements politiques internes qui avaient suivi la révolution de 2011 qui avait déclenché le Printemps arabe et qui avait conduit à l’ascension au pouvoir d’un parti islamiste puis à sa chute, la question de la normalisation avec Israël – qui se traduit, pour de nombreuses personnes, par la présence d’Israéliens à Djerba – est devenue un défouloir pour les critiques des partisans de la ligne radicale.
Les autorités du président Kais Saied ont cherché à dissocier le pèlerinage – que les responsables tunisiens ont décrit comme un élément du patrimoine local – des discussions sur Israël et du positionnement adopté par la Tunisie sur le conflit israélo-palestinien.
Le rabbin Pinchas Goldschmidt, président de la Conférence des rabbins européens, qui s’était rendu à Djerba avec les dirigeants de son organisation en 2018, a déclaré que malgré son respect pour la douleur ressentie par les victimes de l’attentat, « nous exprimons notre gratitude et notre admiration aux services de sécurité qui ont permis, par leurs actions, que cette tragédie ne soit pas plus grande encore ».
Goldschmidt a ajouté que « le monde tout entier doit s’unir et condamner haut et fort une nouvelle attaque lâche contre des Juifs à la synagogue ».