Hommage musical au « Schindler japonais », Chiune Sugihara, au Carnegie Hall
L’histoire du diplomate japonais qui a sauvé des milliers de Juifs de Lituanie en 1940 se racontera dans les salles de concert du monde entier, et à New York, le 19 avril
En sa qualité de vice-consul de l’Empire du Japon en Lituanie pendant la Seconde Guerre mondiale, Chiune Sugihara a délivré des visas qui ont sauvé la vie de milliers de réfugiés juifs.
Aujourd’hui, la violoncelliste nippo-américano-israélienne Kristina Reiko Cooper entend faire connaitre l’histoire remarquable de cet homme dans les salles de concert du monde entier.
Élevé au rang de Juste parmi les Nations par Yad Vashem, en 1984, Sugihara est décédé en 1986.
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Son histoire parle énormément à Cooper, dont l’identité est elle aussi au confluent d’origines japonaises, juives et israéliennes : par ailleurs, la famille de son mari a fui l’Europe grâce aux largesses de Sugihara.
La célèbre violoncelliste Cooper a initié un projet musical original en hommage au diplomate, « A Concert for Sugihara », dont la première aura lieu au célèbre Carnegie Hall de New York le 19 avril.
« J’espère que ceux qui ont entendu parler de ce projet et de l’histoire de Sugihara, et qui viendront au concert, en repartiront avec l’idée que ce qui nous manque dans le monde, en ce moment, c’est la compassion », a confié Cooper au Times of Israel lors d’une interview en visioconférence.
La compassion, ajoute-t-elle, est ce qui résume le mieux ce qu’a fait Sugihara.
Et, dit-elle, « c’est un honneur de pouvoir jouer cette grande œuvre dans cette mythique salle new yorkaise. »
Le clou du concert est un morceau intitulé Symphonie n ° 6, « Vessels of Light », composé par Lera Auerbach, que Cooper connaît depuis leurs études à Juilliard.
Il sera interprété par le New York City Opera Orchestra and Chorus, avec un solo de Cooper au violoncelle.
Auerbach a composé un morceau très éclectique, reliant le concept kabbalistique de shevirat hakelim ou rupture des vaisseaux à la poterie japonaise kintsugi, sur un livret en yiddish inspiré des poètes de la Seconde Guerre mondiale.
« Lera a eu une idée géniale », explique Cooper. « Elle réunit avec beaucoup de beauté les influences japonaises et juives. »
Comme Cooper l’explique elle-même, shevirat hakelim signifie « le besoin de rassembler les choses, de guérir le monde ; Les bonnes actions guérissent le monde. »
Dans le concept japonais de kintsugi, « le but est de casser la poterie et de la recoller avec un filigrane d’or pour la rendre plus belle encore ».
S’agissant du concert, elle ajoute : « Le violoncelle est le filigrane d’or qui rassemble toutes les pièces. Le chœur est la voix des réfugiés, ces innombrables réfugiés déplacés de par le monde. »
Cooper n’ignore rien des deux cultures.
Fille d’une mère violoniste japonaise et d’un père pianiste américain, tous deux musiciens célèbres, elle s’est convertie au judaïsme pour épouser son mari, Leonard Rosen. Tous deux vivent avec leurs enfants en Israël, où Cooper est professeur invité à l’école de musique de l’Université de Tel Aviv.
Bien qu’elle n’ait jamais rencontré son beau-père, le regretté Irving Rosen, elle sait qu’il était très lié au Japon. Il y a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale, parlait japonais et exposait des peintures japonaises et des plats en céramique dans son appartement.
Ce n’est que plus tard qu’elle a découvert qu’Irving et son frère avaient bénéficié de visas délivrés par Sugihara.
« Cela leur a sauvé la vie », confie Cooper, rappelant que leurs frères et sœurs avaient eux péri dans la Shoah.
« Mon mari et nos trois beaux enfants ne seraient pas là sans les visas délivrés par Sugihara. »
De ses origines japonaises, elle a compris tout le courage du diplomate.
« Culturellement, j’ai compris ce que cela signifiait pour un Japonais d’aller à l’encontre d’une décision des autorités, à l’encontre des ordres de son propre gouvernement, pour trouver tous ces visas de transit », ajoute Cooper.
Le site Internet de Yad Vashem et celui du Musée du Mémorial de la Shoah des États-Unis lui consacrent des pages entières, pour expliquer comment, entre l’été et l’automne 1940, il a délivré des visas aux Juifs désireux de fuir la Lituanie.
Ces visas étaient un élément essentiel de la fuite, compliquée et risquée, des Juifs d’Europe. Ils leur permettaient de traverser l’Union soviétique, en partance pour une destination improbable, de l’autre côté du globe à savoir l’île caribéenne de Curaçao, à l’époque colonie néerlandaise.
Sugihara s’est lancé dans cette entreprise avec un consul honoraire néerlandais, Jan Zwartendijk.
« L’histoire m’a profondément touchée », confie Cooper.
« Avec tout ce qui se passe dans le monde – le chaos partout, les déplacements massifs de réfugiés, il y en a tellement aujourd’hui, la résurgence des régimes autoritaires, la montée de l’antisémitisme, le regain de haine anti-asiatique… Un seul homme, une seule personne, peut changer les choses en faisant ce qu’il faut. »
Cooper a voulu faire connaître l’histoire de Sugihara et a décidé de le faire avec la musique.
« Je ne suis pas objective », plaisante-t-elle, « mais je crois que la musique est un langage universel, et la meilleure façon de raconter cette histoire. Une partie de nous n’a pas besoin de mots, seulement d’une réponse émotionnelle, viscérale. »
Il lui a fallu, pour ce faire, rencontrer plusieurs personnes, dont l’unique fils vivant de Sugihara, Nobuki Sugihara.
« Fort heureusement, il a été d’un grand soutien », confie Cooper, soulignant qu’il sera présent lors du concert du 19 avril. « Il est ravi. »
L’autre personne incontournable est Edna Landau, que Cooper qualifie de « légende de la musique classique », fondatrice d’IMG Artists et manager d’Itzhak Perlman.
Cooper s’est également rapprochée de Yad Vashem et de l’American Society for Yad Vashem, les deux organisations qui ont commandité le concert.
Trouver un compositeur a été difficile, mais Auerbach s’est avérée la candidate rêvée pour tout un tas de raisons, explique Cooper, résumant son CV on ne peut plus impressionnant et un lien personnel direct avec cette histoire.
Auerbach est en effet juive : ses grands-parents ont échappé aux persécutions nazies et soviétiques en se réfugiant en Sibérie, où elle est née. La famille a fini par rallier le port soviétique de Vladivostok, puis le Japon.
« C’est une compositrice de génie, incroyable, merveilleuse, géniale, qui a accepté ce travail », explique Cooper.
Elle exprime le même enthousiasme envers le chef d’orchestre, Constantin Orbelian, qu’elle qualifie « d’ange au service du projet, qui a immédiatement accepté et dit quelle idée incroyable. Il savait tout sur Sugihara et il adore la musique de Lera. »
Orbelian a été à la tête de l’Orchestre symphonique de la ville de Kaunas. Il est aujourd’hui le directeur musical du New York City Opera.
Le projet a été retardé par deux crises distinctes, à savoir la pandémie de COVID-19, puis l’invasion russe de l’Ukraine.
« Notre première idée était de suivre l’itinéraire des réfugiés en Lituanie et à Moscou », explique Cooper.
« Deux concerts étaient prévus à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Compte tenu de ce qui se passe, de l’invasion de l’Ukraine, nous n’avons pas pu continuer dans cette voie. »
La première mondiale du concert a eu lieu le 5 novembre dernier à Kaunas, en Lituanie, à l’endroit-même où Sugihara a délivré ses visas.
Un autre concert a eu lieu à Prague, le mois dernier, et d’autres dates se profilent, dont Los Angeles et Napa aux États-Unis, Varsovie, Dresde, Berlin, Leipzig et Mexico.
Pour l’instant, Cooper pense au concert de ce mercredi au Carnegie Hall.
« C’est l’une des salles les plus légendaires au monde », confie Cooper, « à New York, où tant de bénéficiaires des visas de Sugihara ont fini par poser leurs valises, dont la famille de mon mari. Cela reste une ville d’immigrants, aujourd’hui encore. »
« J’espère que les descendants de survivants de Sugihara viendront en nombre au concert », dit-elle.
« Qu’y a-t-il de mieux que de donner ce concert devant des gens qui ne seraient pas ici sans Sugihara ? »
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