Il n’est pas trop tard pour que Netanyahu fasse ce qui est juste pour Israël
Une partie des dommages commis par le Premier ministre depuis plus de cinq mois restent inexpliqués. Difficile de le lui pardonner - mais il doit commencer à réparer les dégâts
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Prenez le temps de réfléchir en profondeur, attardez-vous sur les analyses soumises par les initiés présumés et tentez donc de comprendre la logique du comportement du Premier ministre Benjamin Netanyahu depuis qu’il a remporté les élections, depuis qu’il a formé sa coalition et qu’il a consacré tous ses efforts à la neutralisation du système judiciaire. Inutile de dire que je vous mets au défi de me donner une explication rationnelle.
Netanyahu est le plus grand homme politique israélien contemporain. Ce qui n’est pas forcément un compliment réjouissant pour celui qui le reçoit : après tout, la politique est une sale besogne. Mais il est indéniablement un maître. Il l’a prouvé, encore une fois, par son dynamisme infatigable à travers cinq campagnes électorales épuisantes. Il l’a en particulier prouvé en garantissant que pas un seul vote ne s’égarerait lors du scrutin décisif de novembre dernier dans le camp pro-Bibi – pilotant des alliances même avec les partis les plus extrêmes, les plus infréquentables, de manière à s’assurer qu’ils franchiraient bien le seuil électoral à la Knesset – alors que ses adversaires, par excès de complaisance, permettaient à un demi-million de bulletins de finir aux oubliettes.
Toutefois, depuis cette victoire, ses actions ont été à la fois incompréhensibles, destructrices et parfois même totalement contre-productives.
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Il a accordé à ses alliés des concessions dans le cadre des pourparlers de coalition comme s’ils avaient par ailleurs le choix de ne pas établir de partenariat avec lui. Ce choix, ils ne l’avaient pas. Et pourtant, il a hissé le dangereux théocrate Bezalel Smotrich au cœur même de son gouvernement, lui donnant le ministère des Finances en plus de responsabilités importantes au sein du ministère de la Défense. Il a accordé à un trublion raciste chronique le contrôle de la police, cédant à Itamar Ben Gvir des pouvoirs sans précédent. Et il a promis aux formations ultra-orthodoxes une législation qui viendra ancrer l’exemption pure et simple de service militaire et de service national des jeunes hommes de la communauté, augmentant largement les financements en direction des écoles non supervisées par l’État de la communauté et des étudiants adultes à plein-temps dans les yeshivot – ce qui écartera encore davantage cette catégorie de la population du marché de l’emploi et de l’auto-suffisance et ce qui la plongera plus profondément dans la pauvreté.
Encore une fois, il a fait tout cela comme si ces leaders politiques avaient une influence puissante sur lui alors que c’est bien lui qui aura ramené son bloc au pouvoir et qu’ils dépendaient tous les uns des autres s’agissant de pouvoir maintenir une majorité de coalition.
Il a dans la foulée fait de la politisation et du bouleversement du système judiciaire israélien sa priorité parlementaire, en nommant Yariv Levin au poste de ministre de la Justice ; en envoyant ce dernier, la première semaine du mandat de sa coalition, dévoiler « la première phase » de son plan de refonte du système de la justice et en faisant avancer à un rythme effréné la législation au cœur du projet de réforme – à une telle rapidité qu’à la fin du mois de mars, le texte qui offrait à une majorité au pouvoir la capacité de choisir la totalité (ou presque) des juges en Israël était prêt pour ses deux dernières lectures.
Il a ignoré, en chemin, le mouvement de protestation massif et constant qui a balayé le pays (et il a évoqué les manifestants en utilisant des termes habituellement réservés aux ennemis extérieurs) ; les mises en garde implacables face aux possibles conséquences de la réforme pour l’économie qu’il a nourrie jusqu’à présent, une économie dont le moteur reste le secteur de la high-tech. Il s’est obstinément refusé à voir les signaux clairement affichés qui étaient transmis par les réservistes de l’armée, des partenaires déterminants pour la sécurité du pays, qui ont averti qu’ils ne serviraient pas dans un Israël non-démocratique. Il n’a pas voulu entendre les plaidoyers des différents alliés d’Israël, avec à leur tête le président des États-Unis et les demandes inquiètes du président Herzog, suppliant d’abandonner les législations sous leur forme actuelle parce qu’elles déchiraient le pays et prônant, à la place, la négociation d’un programme authentique de réformes qui ancrerait les valeurs qui ont fondé la nation juive et démocratique, avec des droits fondamentaux garantis.
Il a ensuite annoncé le renvoi de son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui a osé rompre les rangs de la coalition et évoquer en public les fractures entraînées par le projet de réforme au sein de l’establishment de la sécurité – des divisions qui menacent la cohésion nationale et, en conséquence, qui menacent les capacités du pays à se protéger et à se défendre. Cette décision incroyablement irréfléchie de renvoyer Gallant a entraîné – et c’était prévisible – des manifestations nationales spontanées encore plus fortes et un mouvement de grève qui ont fait plonger la popularité de Netanyahu dans les sondages à un niveau sans précédent, qui ont encore réduit le soutien apporté par les Israéliens au projet de refonte judiciaire, qui ont envoyé une nouvelle onde de choc au sein de la coalition, obligeant le Premier ministre à mettre en pause la loi consacrée à la Commission de sélection judiciaire un ou deux jours avant son adoption définitive.
Le roi est nu
Cet enchaînement de décisions est tout simplement insensé. Et si les analystes se sont abstenus de le dire, c’est seulement en raison du respect quasi-mystique dont Netanyahu – à juste titre – fait l’objet en tant que stratège politique devançant constamment ses adversaires.
Certains disent que Netanyahu n’a jamais réellement voulu la législation de Levin – ou qu’il n’avait pas réalisé combien elle serait dévastatrice pour la démocratie, ou qu’il avait cru que Levin se montrerait plus ouvert au compromis. Des affirmations absurdes, impossible à concilier avec la relation de travail qui s’est établie entre les deux hommes.
Cela fait longtemps que Netanyahu envisageait une telle législation pour s’extirper de son procès pour corruption. Mais cette justification, elle aussi, n’a aucun sens. Il y avait d’autres moyens à sa disposition pour améliorer sa situation dans une procédure qui, de toute façon, peut encore traîner pendant de nombreuses années et qui ne nécessite pas de détruire l’indépendance du système judiciaire israélien (pour n’en donner qu’un seul que je n’encourage pas par ailleurs : la « réforme » du poste de procureur-général, sa division en deux fonctions distinctes – celle de conseiller juridique du gouvernement et celle de chef du parquet de l’État – en s’assurant que la personne nommée à la tête du parquet « réexaminera » avec attention les mises en examen à son encontre).
D’autres déclarent qu’il a eu peur, qu’il a changé d’avis. Vraiment ? Sur sa législation-phare ?
D’autres encore pensent qu’il a sous-estimé la diversité, l’importance et la ténacité des Israéliens descendus dans les rues pour faire part de leur opposition au plan de refonte. Si tel est le cas, alors ce n’est certainement pas le même Netanyahu que celui d’il y a seulement quelques mois, cet homme politique israélien particulièrement en phase avec l’humeur nationale.
Le Netanyahu d’alors, c’est certain, n’aurait jamais fait la bêtise de saquer le ministre de la Défense, entraînant une vague plus puissante encore de manifestations au moment même où sa coalition était sur le point de faire adopter le projet de loi qui l’obsède encore et toujours (Gallant a depuis retrouvé ses fonctions).
Le Netanyahu d’alors – celui d’il n’y a pas si longtemps – n’aurait pas donné d’interviews où il se vantait de la manière dont il avait sauvé l’économie, quand il était aux Finances, en incitant les populations ultra-orthodoxes et arabes à intégrer le marché de l’emploi en grand nombre alors même qu’il soutient un projet de loi (qui sera adopté une fois que la Haute-cour aura été privée de sa capacité d’intervention) qui aura l’effet opposé.
Mais le Netanyahu d’alors, bien sûr, n’aurait dès le départ jamais emprunté ce chemin.
Ce Netanyahu aurait reconnu qu’une démocratie dans laquelle le parlement est l’outil impuissant d’une coalition au pouvoir partageant les mêmes idéaux, d’une démocratie dans laquelle le système judiciaire est appelé à perdre sa capacité à protéger les droits fondamentaux, n’est déjà plus une démocratie.
Ce Netanyahu avait prôné, pendant des décennies, le caractère déterminant d’une Haute-cour indépendante, sachant qu’elle protégeait les militaires – les soldats, les commandants et leurs patrons politiques – de l’attention des tribunaux internationaux qui cherchent à pouvoir enquêter sur les crimes de guerre présumés qui peuvent être commis dans le monde et à poursuivre en justice leurs auteurs.
Ce Netanyahu était bien là quand sa ministre de la Justice, Ayelet Shaked, avait félicité l’entrée de magistrats conservateurs à la Haute-cour et il avait ainsi pu constater que la commission de sélection judiciaire s’était avérée être tout à fait efficace telle qu’elle était à ce moment-là, même en l’absence du projet de loi qui cherche aujourd’hui à la remodeler.
Ce n’est pas trop tard
Tous ces dégâts qui ont été commis par Netanyahu depuis cinq mois et demi, par le biais d’actions qui restent franchement incompréhensibles – avec des législations qui, si elles sont finalisées, bouleverseront la gouvernance, lacéreront la nation, mettront en péril son avenir et qui le placeront du côté obscur de l’histoire du sionisme, ce qui ne sera pas un hasard – ne seront pas faciles à réparer. Mais le mal n’est pas non plus irrévocable.
Les négociations en cours, qui se déroulent sous les auspices du président Herzog, continuent. Elles sont sérieuses, nous dit-on, et elles ont un peu avancé.
Ce serait très certainement exagéré d’espérer qu’elles aboutissent sur une constitution au sens propre du terme. Mais Netanyahu pourrait choisir de rester fidèle à ces pourparlers, même si le chemin est difficile, laborieux, jusqu’à ce qu’ils permettent la mise en place d’un cadre consensuel – qui se baserait sur les principes et sur les valeurs de la Déclaration d’Indépendance, qui seraient présentés dans une législation qui ne pourrait être amendée qu’avec une large majorité de députés – un cadre dans laquelle notre mosaïque démographique pourrait se sentir à l’aise, protégée et représentée.
Israël a besoin de cohésion nationale ; Israël a besoin d’une main-d’œuvre incitée à entrer sur le marché de l’emploi. Israël a besoin d’un système judiciaire indépendant, doté de capacités ; Israël a besoin d’une gouvernance fiable qui encouragera les investissements depuis l’étranger ; Israël a besoin de la confiance et du soutien de ses alliés tout autant que de pouvoir dissuader ses ennemis – et c’est là tout ce que le plan de refonte du système judiciaire a miné et tout ce qu’un processus patient de recherche de consensus pourrait ressusciter.
Personne, à l’heure actuelle, ne peut facilement ou rapidement désigner Netanyahu comme l’homme qui saura guérir la nation blessée. Mais il n’est pas trop tard et il peut encore faire ce qui est juste et bon pour Israël, échappant ainsi à la triste perspective de voir, dans l’Histoire, son nom être associé à celui d’un homme dont la force aura été néfaste.
L’ancien Netanyahu pourrait expliquer une volte-face, sans effort à faire. Et il n’est pas difficile de parier que même le nouveau Netanyahu pourrait le faire. Certes, tous ses partenaires de coalition ne resteraient pas à ses côtés. Mais c’est une opportunité à saisir. Il reste un politicien hautement efficace, hautement éloquent ; il pourrait bien encore gagner une majorité. Mais quoi qu’il en soit, il commencerait au moins à extraire Israël de l’abîme dans lequel il a lui-même choisi de précipiter le pays.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel