Israël en guerre - Jour 364

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Il y a 80 ans à Bordeaux, des « coques de noix » contre l’occupant nazi

Objectif de l'opération : faire sauter, dans le port de Bordeaux, des bateaux assurant un commerce de matières premières et d'armes entre Allemands et Japonais

William Edward Sparks, 70 ans, dernier survivant de l'opération "Frankton", retourne sur la scène de ses exploits près de Bordeaux pendant le marathon Royan-Bordeaux, le 24 mai 1992. (Crédit : Olivier MORIN / AFP)
William Edward Sparks, 70 ans, dernier survivant de l'opération "Frankton", retourne sur la scène de ses exploits près de Bordeaux pendant le marathon Royan-Bordeaux, le 24 mai 1992. (Crédit : Olivier MORIN / AFP)

Une nuit de décembre 1942 à Bordeaux : sur la Garonne, des hommes en kayak s’approchent avec précaution de navires marchands, posent des mines magnétiques et disparaissent dans l’obscurité, signant, dans le sud-ouest de la France, l’une des opérations commandos britanniques les plus audacieuses de la Seconde Guerre mondiale.

Nom de code : Frankton. Surnom : « coque de noix », tiré d’un livre et d’un film britanniques des années 1950 (The cockleshell heroes).

Quatre jours plus tôt, au soir du 7 décembre, dix « royal marines » aux visages noircis et en tenue de combat sortaient d’un sous-marin britannique près de l’entrée de l’estuaire de la Gironde.

Ils doivent remonter cet axe stratégique et très surveillé sur près de 100 km, dans une embarcation biplace d’environ 4,50 m, faite de toile et de contreplaqué, en pagayant de nuit à la faveur des marées et de la lune, dormant le jour sur la rive.

Leur objectif : faire sauter, dans le port de Bordeaux, des bateaux assurant un commerce de matières premières et d’armes entre Allemands et Japonais.

À peine entrés dans leur vingtaine pour la majorité d’entre eux, ces soldats ont emporté du thé, des rations de combat et un peu de rhum en cachette.

Les modalités de repli sont dangereusement simples : parcourir 160 km par leurs propres moyens jusqu’à Ruffec, petite localité près de la ligne de démarcation entre la France occupée et celle du régime de Vichy, et y prendre contact avec un réseau de passeurs résistants.

Les kayaks de l’opération Frankton. (Crédit : Domaine public)

« Commando de l’impossible » (François Boisnier, 2003), « Opération suicide » (Robert Lyman, 2012) : le raid voulu par le service des Opérations combinées de Lord Mountbatten et monté par le major Herbert Hasler est un pari risqué… et gagnant : au petit matin du 12, des explosions secouent cinq navires.

Mais le coût humain est élevé : seuls Hasler et son binôme William Sparks rentreront à Londres, plus de quatre mois après leur départ, au prix d’une longue fuite à pied, à vélo et en train jusqu’à Gibraltar.

« Impensable »

Tombés à l’eau aux premières heures de l’opération, le caporal George Sheard et David Moffat se noient au large du Verdon-sur-mer, point de rencontre entre la Gironde et l’Atlantique. Le corps du second s’échouera sur l’île de Ré, à 70 km au nord. Celui du premier n’a jamais été retrouvé.

Le sergent Samuel Wallace et Robert Ewart, eux, chavirent très rapidement dans des remous. Appréhendés sur la côte, ils sont fusillés par les Allemands. Un sort identique attend le lieutenant John MacKinnon et James Conway, dont le kayak s’éventre non loin de Bordeaux et qui sont arrêtés quelques jours après.

Fusillés eux aussi : le caporal Alfred Laver et William Mills, dénoncés par des Français à Montlieu-La-Garde dans leur repli. Leur nom est gravé sur le monument aux morts de cette commune de Charente-Maritime.

Dans la région, une vingtaine de plaques ou de stèles rendent hommage à ces commandos, explique Erik Poisneau.

Devant un mémorial en dalles blanches au Verdon-sur-mer, le président de l’association Frankton Souvenir évoque un « exploit nautique et physique » dans le plus vaste estuaire d’Europe, où s’entrechoquent les forces contraires du fleuve et de l’océan. « Les Allemands étaient partout », dit-il. Un tel scénario « était impensable pour eux ».

L’historien Sébastien Albertelli relève, lui, « la dimension psychologique de propagande » de l’opération pour l’Angleterre, qui montre alors qu’elle « est capable de frapper au cœur du dispositif ennemi ».

Et ce « dans un moment de creux » pour les Alliés, même s’ils viennent de débarquer en Afrique du Nord et que l’Axe s’enlise à Stalingrad.

« Le poulet est bon »

Une fois les mines posées, les commandos sabordent leurs kayaks en aval, près de Blaye. Le plus dur commence.

« Leur exfiltration est aussi rocambolesque que la mission elle-même », souligne Christophe Soulard, auteur de « Frankton, l’incroyable odyssée » (2017).

Aidés d’une carte, d’une boussole, avec quelques francs en poche mais débarrassés de leur Colt 45, Hasler et Sparks traversent la Charente, tantôt refoulés par des habitants méfiants, tantôt aidés par des âmes bienveillantes.

À Saint-Preuil, ils sont cachés et nourris par un couple de fermiers. Clodomir Pasqueraud leur demande de faire diffuser un message sur la BBC à leur retour : « Le poulet est bon ».

À Beaunac, ils dorment à l’abri. Mais trois Français, « dont un gamin de 16 ans », sont déportés pour les avoir aidés, raconte Monique Babin, fine connaisseuse de l’opération devenue membre affiliée de la Special Boat Service Association. « Ils ne sont jamais revenus. »

Le 18 décembre, parvenus à Ruffec comme prévu mais sans autre indication, les deux Anglais entrent au hasard dans un restaurant. Autour d’une soupe arrosée de vin, ils se dévoilent aux propriétaires. Bonne pioche.

Ils restent un mois dans la ferme isolée, avant d’être pris en charge par le réseau « Marie-Claire » dirigé par une comtesse franco-anglaise au caractère bien trempé, Mary Lindell. Leur hôte, Armand Dubreuille, ardent auditeur de la BBC, voudrait lui aussi connaître leur sort. Ce sera : « Les deux poulets sont bien arrivés ».

La radio anglaise diffusera bien les deux messages, en avril 1943.

De Ruffec, Hasler et Sparks rallient Roumazières en vélo et prennent le train jusqu’à Lyon, où on les cache quelques semaines. À Marseille, ils sont hébergés par des sympathisants communistes. Début mars, ils partent pour Perpignan et franchissent la frontière espagnole à pied par les Pyrénées encore enneigées. Le consulat britannique à Barcelone leur permet de rejoindre Gibraltar.

Hasler, officier de 28 ans, a les honneurs d’un avion pour rallier Londres. Sparks, simple matelot de 20 ans, rentre en bateau via Liverpool. Ils retournent au pays sans avoir tiré un coup de feu.

Marin aguerri et concepteur des kayaks, Hasler deviendra une célébrité du nautisme. Cet homme « tatillon mais charismatique » (Lyman), surnommé « Blondie » pour la couleur de sa généreuse moustache et de ses cheveux dégarnis, créera et disputera la première transatlantique à la voile en solitaire, la Transat anglaise.

Sparks, pur cockney qui s’était engagé comme commando pour venger la mort de son frère au combat, conduira des trolleybus après la guerre. Plus tard, confronté à des problèmes d’argent, il devra vendre ses médailles aux enchères.

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