Jeff Cohen raconte en détail la prise d’otages de la synagogue Beth Israel au Texas
Pour ce fidèle, le ravisseur a choisi une synagogue parce qu'il pensait que les Juifs auraient le "pouvoir" de faire libérer Aafia Siddiqui, en écho à un trope antisémite

COLLEYVILLE, Texas — Malik Faisal Akram a choisi de prendre en otages les fidèles d’une synagogue de Colleyville, au Texas, parce qu’il avait intégré des tropes antisémites et qu’il était convaincu que ces Juifs captifs auraient le pouvoir nécessaire pour faire libérer une détenue pakistanaise incarcérée sur une base aérienne proche de la ville, a expliqué lundi l’un des quatre hommes retenus en otage dans le lieu de culte sous la menace d’une arme.
« Il n’était pas venu tuer des Juifs… il était venu pour faire libérer [Aafia Siddiqui], il croyait fermement dans ce trope antisémite extrêmement dangereux qui laisse croire que les Juifs contrôleraient tout, qu’il nous suffirait d’appeler le président [Joe] Biden pour qu’il la libère », dit Jeffrey Cohen lors d’un entretien via Zoom.
Siddiqui purge actuellement une peine de 86 ans de prison pour terrorisme dans une structure militaire qui se trouve à environ 25 kilomètres de Colleyville. Elle est connue par les autorités américaines sous le nom de « Lady al-Qaïda » mais Akram s’est référé à elle pendant toute la prise d’otages comme à sa « sœur », au sens figuré du terme, ajoute Cohen.
Ce résident de Keller, une localité voisine et qui est âgé de 57 ans, a figuré parmi les trois derniers orages à prendre la fuite, samedi soir, parvenant à s’échapper de la synagogue de la congrégation Beth Israel, dont il est un membre actif depuis quelques années.

Au cours de notre entretien, Cohen se souvient des événements éprouvants de la journée, faisant référence en affichant une certaine nonchalance à des actions héroïques entreprises par lui-même et par d’autres dans le lieu de culte – des actions qui ont finalement permis aux otages de mettre un terme, sains et saufs, à leur calvaire après onze heures d’angoisse et d’incertitude.
Alors que les faits sont encore brûlants dans sa mémoire, quarante-huit heures après, Cohen laisse échapper des larmes pendant cette conversation de 40 minutes en évoquant les appels téléphoniques passés à son épouse et à ses enfants – des appels dont il pensait, se rappelle-t-il, qu’ils pourraient être les derniers – et il explique la gratitude qu’il éprouve pour ses cursus de formation au tir actif qui lui ont permis « d’anticiper » le comportement à adopter pendant toute la journée et qui ont été, plus important encore, à l’origine de sa survie.
« J’allais à l’école à Pittsburgh et je passais, à cette époque-là, devant la synagogue Tree of Life régulièrement », dit-il, parlant du lieu de culte qui avait été pris pour cible au cours de l’attaque antisémite la plus meurtrière de toute l’Histoire des États-Unis, il y a un peu moins de quatre ans. « Bien sûr, ici, la fin a été très différente de ce qui s’est passé là-bas, Dieu merci ».
Cohen se rend aux offices du Shabbat tous les week-ends mais il explique qu’il était particulièrement enthousiaste à l’idée d’y assister samedi dernier parce que c’était le Sabbath Shira – où les Juifs lisent l’extrait de la Torah portant sur la traversée miraculeuse de la mer Morte, coupée en deux par Dieu, après la sortie d’Égypte.

Quand Cohen est arrivé dans cette synagogue du mouvement réformé, Akram se trouvait déjà à l’intérieur. Le rabbin de la communauté, Charlie Cytron-Walker, l’a salué, lui disant d’aller dire bonjour à cet invité qui était resté dehors, dans un temps glacial, et qui était en train de boire une tasse de thé.
« Tout ce à quoi on vous dit d’être attentif chez quelqu’un – les yeux fuyants, les mains tremblantes ou dissimulées, les expressions de trouble qui peuvent s’exprimer sur le visage ou par la gestuelle – il ne présentait rien de tout ça », continue Cohen. « Il était souriant, il était à l’aise, il était détendu… Alors de mon côté, je n’ai rien ressenti d’inquiétant, vraiment ».
L’office a commencé peu après pour les quatre membres de la congrégation Beth Israel.
« Après la prière de la Amidah… Et que je me suis assis et… j’ai entendu ce bruit unique d’une arme automatique qui coulisse », poursuit Cohen.

Quelques moments plus tard, Akram s’est levé précipitamment de sa chaise. Il criait. Cohen explique ne pas se souvenir de ce que disait l’attaquant, ajoutant qu’il a sorti à ce moment-là son téléphone de sa poche et qu’il a appelé le 911, retournant son appareil de manière à ce que le preneur d’otages ne puisse pas l’apercevoir.
Une prise d’otages qui s’est aussi déroulée partiellement en direct, la congrégation Beth Israel ayant mis en place un système hebdomadaire de streaming, depuis le début de la pandémie, pour permettre aux membres de sa communauté susceptibles d’être mal à l’aise à l’idée de prier dans un espace clos de pouvoir suivre l’office depuis chez eux. Si Cytron-Walker s’est félicité de ce que cette diffusion en direct ait permis qu’un nombre moins important de fidèles aient été réunis au moment de la prise d’otages, Cohen note pour sa part que grâce à cette transmission via Facebook Live, les autorités ont pu être rapidement alertées de ce qui était en train de se passer.
Akram a ensuite demandé à Cytron-Walker, à Cohen et aux deux autres otages, dont les noms n’ont pas été encore rendus publics, de se placer dans un coin du sanctuaire. Là-bas, Cohen a pris soin de se rapprocher d’une porte de sortie.
Il cesse à ce moment-là son récit pour lancer un appel : « Saisissez l’occasion de prendre des cours de tir actif, parce que c’est ce qui nous a sauvé la vie. Cela m’a permis d’anticiper mon positionnement à cet endroit en particulier ».

Pendant les trente premières minutes, Cohen dit avoir été convaincu que le preneur d’otages avait l’intention d’utiliser son arme.
Akram a laissé les otages téléphoner à leurs familles – un appel considéré par les fidèles comme étant peut-être la dernière conversation qu’ils pourraient avoir leurs proches.
« J’ai appelé mon épouse et mes enfants et je leur ai laissé un message très bref où je leur disais simplement : ‘Je suis à la synagogue. Il y a un homme armé, ici, qui dit qu’il est en possession d’une bombe. Tout cela pourrait ne pas bien se terminer. Je vous aime. Ne m’oubliez jamais’, » se souvient Cohen, qui est lui-même père de deux enfants, submergé par l’émotion.
Après ces trente premières minutes, Akram s’est calmé et s’est concentré sur son objectif : Faire libérer « sa sœur » Siddiqui.

« Il avait un seul but. Il a dit et répété qu’il ne voulait pas nous faire de mal… Qu’il nous laisserait partir, qu’il était le seul qui allait mourir… Et que si la police amenait sa sœur ici, lui et elle descendraient sur la pelouse, devant, et qu’il laisserait les autorités l’abattre. Il parlait de martyre en permanence. Il était le seul à devoir mourir ce jour-là », indique Cohen. « Il nous a dit qu’il avait choisi la synagogue la plus proche de l’endroit où Siddiqui est actuellement en détention ».
Faisant référence à une déclaration faite dimanche par le frère d’Akram qui a insisté sur le fait que l’homme armé souffrait d’une maladie psychique, Cohen déclare : « Je pense que c’est vrai ».
Néanmoins, l’ex-otage se souvient des propos furieux de l’attaquant à l’encontre des minorités, des sexes ou des religions – fustigeant notamment certains musulmans.
L’épreuve devait donc durer onze heures – onze heures pendant lesquelles Cohen et les autres otages ont tenté de faire en sorte d’apaiser au mieux Akram.

Vers le milieu de la prise d’otages, l’homme armé a proposé de libérer les quatre otages pour qu’ils aillent chercher à manger, à la condition qu’ils reviennent 30 minutes plus tard.
Réalisant qu’ils ne reviendraient probablement pas, il a décidé alors de ne libérer qu’un seul des fidèles.
Toutefois, vers 20 heures 30, Akram, fatigué, frustré et affamé, a commencé à perdre patience. Il a alors menacé d’ouvrir le feu sur les otages. « Trois balles – une pour chacun d’eux », a-t-il crié à ce moment-là, se souvient Cohen.
Perdant son sang-froid, Akram a alors ordonné aux otages de se mettre à genoux.

« Je ne vais pas mourir comme ça », a dit Cohen, ajoutant qu’il avait alors commencé, pour la toute première fois depuis le début de la prise d’otages, à se rebeller et à se montrer agressif à l’encontre de son ravisseur.
Il explique s’être penché en avant, avoir regardé dans les yeux Akram et avoir murmuré lentement le mot « non ».
« Il a eu un peu peur et il s’est rassis », poursuit Cohen.
Peu après, Akram est allé se servir un verre de soda. A cet instant, Cohen a entendu Cytron-Walker crier : « Courez ! » avant de jeter une chaise en direction de l’homme armé.
Cohen et l’autre otage sont sortis en toute hâte par l’issue de secours, suivis très rapidement par le rabbin.
Ensuite, l’unité du FBI spécialisée dans le secours aux otages est entrée dans le bâtiment, s’engageant dans un échange de coups de feu au cours duquel Akram, ressortissant britannique âgé de 44 ans, a été abattu.
Cohen reconnaît qu’il est prématuré de savoir si cette prise d’otages aura des répercussions sur lui à long-terme, précisant qu’il a tiré deux leçons des événements éprouvants du week-end.
« La leçon numéro un – la formation au tir actif est d’une importance primordiale », dit-il pour la seconde fois de notre entretien.
« Si je pouvais faire quoi que ce soit pour aider à encourager tout le monde à suivre ces cours, toutes les organisations qui devraient le faire, je le ferais », continue Cohen, ravalant ses larmes. « Et en particulier les organisations juives, parce que nous sommes une cible – en raison de tous ces tropes antisémites horribles. »
« La deuxième leçon, c’est d’aller vers les autres pour qu’il soit plus difficile pour eux de nous haïr… C’est ce qu’on tente beaucoup de faire dans notre communauté », ajoute-t-il, notant le rôle actif tenu par Cytron-Walker et par la congrégation Beth Israel dans le domaine du vivre-ensemble à Colleyville.
« Ce n’est pas un secret que ce secteur rencontre certains problèmes de discrimination », explique Cohen, évoquant la banlieue de Dallas, sans donner de détail. « Mais cela ne concerne pas la majorité des gens – de plus en plus de gens prennent conscience que d’autres ont été empoisonnés par ces tropes et peut-être que nous pouvons aider au travail de sensibilisation ».
« En ce qui concerne mon retour à la synagogue, je n’ai aucun problème avec Zoom, mais cette habitude de me trouver à l’intérieur du bâtiment est importante pour moi et c’est pour ça que si je peux le faire, je préfèrerais continuer à être l’un de ceux qui prennent place sur l’un des sièges de la synagogue », s’exclame-t-il.
Même la semaine prochaine ? « Même la semaine prochaine », affirme-t-il en réponse à ma question.
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