Israël en guerre - Jour 532

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La fermeture des frontières et le droit de la famille séparent les couples

Des familles non reconnues par les autorités israéliennes sont dans l’incapacité de se réunir depuis des mois; en coulisses du pouvoir, les Israéliens réclament des changements

Des Israéliens protestent contre le fait d'être séparés de leurs proches devant la résidence du ministre des Affaires étrangères, en organisant des pique-niques romantiques en solo la veille de Tu B'Av, la Saint Valentin juive célébrant l'amour. Sur les pancartes : « Nous voulons aussi embrasser nos êtres chers. Ouvrez-leur le ciel. Les familles veulent être réunies. » (Autorisation : Plia Kettner via JTA)
Des Israéliens protestent contre le fait d'être séparés de leurs proches devant la résidence du ministre des Affaires étrangères, en organisant des pique-niques romantiques en solo la veille de Tu B'Av, la Saint Valentin juive célébrant l'amour. Sur les pancartes : « Nous voulons aussi embrasser nos êtres chers. Ouvrez-leur le ciel. Les familles veulent être réunies. » (Autorisation : Plia Kettner via JTA)

JTA – Cela fait quatre mois que Yaara Mizrachi n’a pas vu son fils d’un an, sans aucune perspective de retrouvailles.

Mizrachi et sa compagne sont en couple depuis sept ans. Mais comme le mariage homosexuel est illégal en Israël et l’était aussi en Allemagne jusqu’en 2017, elles n’ont jamais officialisé leur relation. Sa compagne, qui ne souhaite pas être nommée dans la presse, vit à Berlin, Mizrachi vit près de la ville portuaire de Haïfa, et elles se rendaient visite fréquemment.

Fin 2017, elles ont décidé d’avoir un enfant et de construire leur vie au même endroit. A la naissance de leur bébé, elles avaient prévu de passer six mois en Allemagne et six mois en Israël, puis de choisir où elles voulaient vivre.

C’est lors de leur passage en Israël que le coronavirus s’est propagé à travers le monde. Le 13 mars, la compagne de Mizrachi est rentrée à Berlin pour être près de ses parents vieillissants. Parce que c’est elle qui a porté leur fils, et qu’il n’avait donc pas la nationalité israélienne, elle a emmené le bébé avec elle.

Cinq jours plus tard, Israël a fermé ses frontières aux étrangers. Parce que Mizrachi et sa compagne ne sont pas légalement mariées, elles n’ont aucun moyen de se réunir en famille. Ainsi, depuis mars, Mizrachi a regardé son fils grandir via un chat vidéo, à 3 800 kilomètres l’un de l’autre.

« Je demande toujours, est-ce qu’il se souvient de moi ? Me reconnaît-il ? », raconte Mizrachi. « Nous étions coparents et à présent elle l’élève seule, et ma capacité à prendre des décisions est infime. Donc, mon rôle de parent a été réduit à le regarder grandir, se déplacer à quatre pattes, apprendre à marcher et faire ses premières dents, et à agiter la main en signe d’adieu. Nous ne sommes pas connectés. Il n’y a pas de mots pour dire à quel point cela me brise le cœur. »

Les séparations familiales comme celle de Mizrachi sont un dommage collatéral de la pandémie de coronavirus en Israël, où le grand rabbinat orthodoxe du pays contrôle l’ensemble des mariages juifs légaux. Cela signifie que pour être reconnus, les mariages doivent être effectués selon la loi juive orthodoxe, qui interdit les mariages interconfessionnels et homosexuels. Ainsi, un nombre croissant de couples laïcs, LGBTQ et interconfessionnels choisissent de se marier ailleurs et produisent ensuite les documents nécessaires à la reconnaissance de leur mariage en Israël. D’autres, comme Mizrachi et sa compagne, préfèrent ne pas se marier du tout.

Des gens militent contre les lois matrimoniales israéliennes depuis des années, mais au jour le jour, les couples ont trouvé des solutions de contournement et ont laissé traîner la paperasse. La facilité des voyages entre l’Europe et Israël signifiait également que les couples qui vivaient entre les deux pouvaient aller et venir à leur guise.

C’est fini, depuis qu’Israël a fermé ses frontières le 18 mars. A présent, les couples qui n’avaient pas fait les papiers, y compris ceux qui sont légalement mariés dans un autre pays, se retrouvent dans deux pays différents sans aucun moyen de se réunir.

Gabi Lasky devant le tribunal de district de Nazareth, 16 mai 2019 (Facebook)

« C’est un véritable scandale », déclare Gabi Lasky, une avocate israélienne des droits de l’homme, qui se prépare dans les prochains jours à intenter une action au nom des familles séparées devant la Cour suprême d’Israël.

« Tout le monde a le droit à la famille, le droit de ne pas être victime de discrimination. Il s’agit d’une réponse disproportionnée, sans fondement ni logique, car il n’existe aucune base juridique qui justifie la discrimination contre les couples non mariés ou de même sexe. »

Dans un cas, une fillette israélienne de trois ans, emmenée par sa grand-mère ukrainienne pour une brève visite en Ukraine, s’est trouvée dans l’impossibilité de rentrer en Israël pendant six mois car. D’abord, parce qu’il n’y avait pas de vols, puis parce que sa grand-mère n’étant pas citoyenne israélienne, elle ne pouvait monter à bord d’un avion à destination d’Israël, a rapporté Reuters. Finalement, la fillette a pu rentrer à la maison grâce une escorte spéciale.

En juin, Israël a publié des directives ouvrant la voie au regroupement familial – pour les couples dont les mariages avaient été reconnus en Israël. En juillet, il a mis à jour ces directives pour inclure les couples mariés dont l’un des époux n’est pas citoyen israélien, mais ces directives exigent que le non-Israélien ait résidé en Israël pendant au moins 90 jours en 2019.

Mardi, une nouvelle mise à jour permet aux étrangers ayant soumis une demande de reconnaissance de leur union d’entrer en Israël, et d’attendre sur place l’approbation du ministère de l’Intérieur. Pour les Israéliens comme Mizrachi, dont le couple n’a aucune existence officielle, cela ne résout pas le problème.

Les directives permettent également à une série d’autres étrangers d’entrer dans le pays, notamment aux touristes médicaux, aux grands-parents de personnes qui se marient, aux étudiants en yeshiva israéliennes, et quelques autres.

Des gens portant des masques faciaux pour se protéger du coronavirus arrivent à l’aéroport international de Ben Gourion le 10 mars 2020. (Autorisation : Avshalom Sassoni / Flash90)

Sabine Haddad, porte-parole de l’Autorité de la population et de l’immigration d’Israël, une division du ministère de l’Intérieur, a déclaré à la JTA que seuls les couples qui n’ont aucune preuve concrète qu’ils sont ensemble s’insurgent contre les directives israéliennes.

« L’Autorité de la population autorise des centaines de couples à entrer », a-t-elle répondu à une question de la JTA. « Vous parlez de couples dont personne ne sait qu’ils sont un couple, à part eux et la presse. Parce que selon la réglementation actuelle, tous les couples enregistrés peuvent obtenir un permis. »

Pourtant même les couples mariés qui ont tenté d’enregistrer leur mariage en Israël se sont retrouvés bloqués et séparés. Andrey et Polinka Belikov se sont mariés en octobre à Chypre, parce que Polinka n’est pas juive, ce qui les empêche de se marier devant le grand rabbinat israélien.

Andrey est un citoyen israélien et Polinka ne l’est pas. En janvier, elle vivait en Ukraine et se préparait à immigrer en Israël. Andrey s’est rendu sur place pour rassembler les documents nécessaires à la reconnaissance de leur mariage auprès du ministère de l’Intérieur israélien. En février, Polinka a reçu un visa pour vivre en Israël. Elle a acheté un billet d’avion pour le 21 mars, après quoi ils avaient prévu de faire reconnaître leur mariage.

Le 17 mars, elle a démissionné de son travail, en prévision de son départ imminent. Le lendemain, Israël a fermé ses frontières.

À gauche : Plia Kettner et son partenaire, Erik, au Mur des Lamentations à Jérusalem (Autorisation : Kettner). À droite : Andrey et Polinka Belikov, mariés depuis octobre (Autorisation : Andrey Belikov).

Les Belikov espèrent que la mise à jour des directives de mardi dernier permettra à Polinka d’entrer dans le pays.

« C’est vraiment dur, jour après jour, de ne voir votre femme que sur un écran de téléphone » a raconté Andrey. « Nous venons de nous marier et nous voulions fonder une famille. Au lieu de cela, à l’époque la plus difficile pour l’humanité, nous avons été séparés et il nous est interdit de nous voir. »

Personne ne sait exactement combien de familles ont été séparées par la réglementation, mais un groupe Facebook pour les personnes concernées compte plus de 1 500 membres. Mardi soir, des Israéliens séparés de leurs partenaires étrangers ont installé, dans le respect de la distanciation sociale, des nappes de pique-nique sur le terrain en face de la résidence du ministre israélien des Affaires étrangères.

L’événement, qui a eu lieu la veille de Tu B’Av, une fête juive célébrant l’amour, visait à faire valoir que les manifestants ne pouvaient pas célébrer leur relation amoureuse comme les autres Israéliens.

Illustration : Un couple s’embrasse avec des masques faciaux pour freiner la propagation du coronavirus lors d’une manifestation contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu devant sa résidence à Jérusalem, le 4 août 2020. (Autorisation : AP / Maya Alleruzzo)

Une séance de la Knesset au sujet des familles séparées, convoquée début juillet à l’initiative de la fondatrice du groupe Facebook Plia Kettner, a révélé que la question touchait bien plus d’Israéliens que les jeunes laïcs urbains qui souhaitent échapper au mariage orthodoxe.

La députée Meretz Tamar Zandberg lors d’une conférence du parti à Tel Aviv, le 14 janvier 2020. (Autorisation : Miriam Alster / Flash90)

Lors de cette séance, la députée de gauche Tamar Zandberg a qualifié les séparations familiales, de « problème exaspérant et embarrassant », de violation des droits de l’homme. Mais les séparations ont également été dénoncées par Israel Eichler, un député haredi (ou ultra-orthodoxe) en référence aux conjoints et aux enfants non-israéliens de ses administrés qui ont aussi des difficultés à entrer dans le pays. Osama Saadi, un législateur arabe israélien, a déclaré que son bureau était « inondé de requêtes » concernant les séparations. Il a également soulevé la question des familles séparées entre Israël et la Cisjordanie, qui ont eu encore plus de mal à se réunir pendant la pandémie.

« Je n’ai pas de souvenir pas d’une telle séance où tout le monde autour de la table était d’accord et soutenait la même idée », a déclaré la députée du Likud Yifat Shasha-Biton, qui a présidé la session.

Mais les couples concernés réclament que le ministère de l’Intérieur fasse encore davantage d’efforts pour remédier à leur situation. Ils appellent à la création d’un comité spécial qui examinerait leurs requêtes au cas par cas. En cas de refus du ministère, ils espèrent une décision favorable de la Cour suprême. Si des militants devaient décider de porter leur plainte devant la Cour suprême, explique Kettner, qui a pris la parole lors de la séance à la Knesset, ce serait également une décision douloureuse.

« Nous faisons tous cela avec amertume », dit-elle. « Vous poursuivez votre propre pays en justice. Nous sommes tous des gens qui aimons notre pays. Nous sommes tous des gens qui avons choisi de vivre ici. Je suis ici. Je ne suis pas en Suède. C’est mon choix, et personne n’aime être dans une situation où vous devez faire du tort à votre pays parce qu’il vous refuse les droits humains fondamentaux. »

Si Israël ne change pas bientôt sa réglementation, les couples qui le peuvent risquent de choisir d’aller vivre ailleurs, a déclaré Kettner. Mizrachi étudie la possibilité de retrouver sa compagne à Londres, d’où elles pourraient ensemble rejoindre Berlin. Belikov envisage d’immigrer en Ukraine, ce qui signifierait renoncer à son travail de peintre en bâtiment en Israël.

D’autres ne refusent tout simplement de quitter leur pays d’origine. Par exemple, le compagnon de Kettner, Erik, vit en Suède. Bien qu’il soit possible pour Kettner de s’y installer pour être à ses côtés, elle est réticente à cette idée, car elle est élue locale dans la ville de Kfar Saba dans le centre d’Israël. Tout ce qu’elle veut, dit-elle, c’est que son partenaire puisse vivre avec elle en Israël.

« Parfois, les gens minimisent : ‘Oh, c’est juste qu’il ne peut pas voir son petit
ami’, » explique Kettner. « Mais l’impossibilité de voir ceux qu’on aime et qui nous soutiennent – ça a des répercussions sur la santé. Ils essaient de nous protéger du coronavirus, mais ils nous donnent d’autres maladies. »

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