La franchise russe de McDonald’s a-t-elle été vendue à un prête-nom pour des méga-profits?
Avec les sanctions appliquées à la Russie après l'invasion de l'Ukraine, le géant du burger a battu ostensiblement en retraite. Mais certains éléments de la vente laissent penser que cette dernière n'a pas été à 100 % casher
Les touristes étrangers qui visitent la Russie, aujourd’hui, se rendent souvent dans l’une des branches de Vkusno I Tochka — une chaîne de restauration rapide spécialisée dans les hamburgers qui a été enregistrée peu après l’invasion de l’Ukraine par les forces du Kremlin, au mois de février 2022.
Elle s’inspire clairement des restaurants McDonald’s et ses menus sont très similaires à ceux du géant américain, qui a quitté la Russie en mai 2022. Le Coca-Cola qui était servi autrefois a été remplacé par une boisson équivalente fabriquée par une marque locale, Dobry (qui est aussi produite par la filiale russe de Coca-Cola, HBC), et le Big Mac est devenu le Big Hit. A l’exception de quelques détails, ça et là, rien n’a fondamentalement changé dans le modèle du restaurant ou dans les produits de fast-food proposés aux clients. Seul changement significatif : Celui du propriétaire.
Le 27 mai 2022, il avait été signalé que McDonald’s allait vendre tous ses restaurants en Russie à un exploitant local du nom d’Alexander Govor. A l’époque, certains doutaient des capacités de Govor, entrepreneur peu connu qui était propriétaire de quelques stations-services, de quelques commerces et de 25 franchises McDonald’s en Sibérie, à racheter la chaîne toute entière. Govor lui-même a ultérieurement confié aux médias russes qu’il avait « payé un prix symbolique » pour acheter les restaurants, prenant soin de préciser qu’il n’était « pas en mesure de révéler les détails » de son acquisition.
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Mais, selon des enregistrements clandestins dont le Times of Israel a eu connaissance, il s’avère que Govor pourrait bien avoir été un homme de paille pour un autre acheteur qui, en raison des sanctions occidentales mises en œuvre contre la Russie, n’avait pas pu conclure l’accord de McDonald’s en son nom propre (le siège international de la chaîne n’a pas répondu à nos demandes répétées de commentaire).
Les « enregistrements Mc Donald’s » qui ont fuité, venant s’ajouter à d’autres enregistrements portant sur une tentative manquée d’acquisition de Forbes, suggèrent qu’un schéma spécifique pourrait se dessiner : celui où des hommes de paille s’efforcent d’acheter des biens importants, en Occident, pour des milliardaires russes qui sont soit sanctionnés, soit peu intéressés à l’idée de révéler leur implication dans la transaction, tandis qu’en Russie, les vrais bénéficiaires de ces gros accords disparaissent sous des identités peu connues et ce, pour la même raison.
L’affaire de Forbes avait attiré l’attention à l’international au mois d’octobre quand l’oligarque russe Magomed Musaev s’était trouvé au cœur d’un article paru dans le Washington Post, qui avait dévoilé sa tentative d’acquérir le conglomérat des médias via le milliardaire américain Austin Russell — une affirmation que Musaev avait qualifiée « de non-sens absolu ». Musaev, qui entretient des liens étroits avec le Kremlin et avec les renseignements russes, pèse, selon les estimations, environ 30 milliards de dollars. Il vit également aux États-Unis grâce à un visa O1, un sésame remis aux « individus dont les capacités sont extraordinaires ».
Dans une série d’enregistrements sur le dossier McDonald’s qui ont été mis à disposition du Times of Israel, Musaev explique que le réel acquéreur de la chaîne, en Russie, a été Arsen Kanokov, un milliardaire russe sanctionné par les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Union européenne et l’Ukraine pour son soutien apporté à la guerre en Ukraine et à l’annexion de territoires ukrainiens.
Dans ces enregistrements mis à disposition du Times of Israel, Musaev indique que c’est lui qui a aidé Kanokov à acheter McDonald’s. « J’ai mes obligés – Arsen Kanokov, par exemple… Je l’ai aidé à avoir McDonald’s, la compagnie la plus incroyable », dit-il, avant d’ajouter : « Kanokov est sous le coup de sanctions mais il a acheté tout ça, McDonald’s, OBI… Je l’ai aidé… Arsen Kanokov me doit à peu près dix millions de dollars ».
Kanokov est actuellement sénateur, en Russie, pour la république de Kabardino-Balkarie et il est président-adjoint de la Commission des Affaires internationales, au Sénat. Il a été, dans le passé, président de sa république et membre de la chambre basse du parlement russe, la Douma.
En tant que membre du Conseil de la Fédération, le Sénat russe, Kanokov a voté en faveur de la reconnaissance, par la Russie, de l’indépendance des territoires de Donetsk et Luhansk qui sont situés dans la région historique du Donbass, à l’Est de l’Ukraine. Plus tard, Kanokov a aussi ratifié des traités qui incorporaient dans la grande Russie Donetsk et Luhansk, ainsi que les régions de Zaporizhzhia et de Kherson.
Dans les enregistrements, Musaev explique ensuite qu’un plan sophistiqué a dû être mis au point pour transférer les fonds hors des frontières de la Russie. Ainsi, selon les enregistrements, les liquidités en devises russes ont été transférées par le biais « d’une banque du Kremlin » vers le Kenya, où l’argent a été ensuite prélevé en dollars américains. La nom de la banque russe utilisée pour acheminer l’argent n’est pas mentionné.
Polina Hasin, experte israélienne des sanctions appliquée par l’Occident contre la Russie, déclare que « si les oligarques russes, ou les officiels écopant de sanctions, veulent dissimuler leur implication dans certains actifs, que ce soit au sein de la Fédération russe ou à l’étranger, ils agissent souvent par le biais d’hommes de paille – des proches, des subordonnés ou des personnes de confiance de longue date ».
Dans des enregistrements obtenus par le Washington Post, Musaev révèle que Russell, entrepreneur technologique de 28 ans, qui est également le fondateur et le directeur-général de Luminar Technologies et qui avait fait part de son désir d’acheter Forbes au prix de 800 millions de dollars, n’était qu’un prête-nom pour lui-même.
En 2016, Musaev avait aidé Russel à décrocher un investissement de démarrage pour Luminar à hauteur de 20 millions de dollars et il était devenu son deuxième actionnaire externe. En 2018, Musaev avait acheté Forbes Russie et il s’était apparemment intéressé à la marque mondiale de Forbes . Au mois de novembre dernier, un accord de 800 millions de dollars accordant la propriété de Forbes à un groupe d’acquéreurs dont Russell avait pris la tête a échoué, des questions étant soulevées sur une possible influence russe ou étrangère dans cette transaction.
Au cours des derniers mois, les avoirs russes de la compagnie française de produits laitiers Danone et de Carlsberg, une firme brassicole danoise, ont été saisis et placés sous la propriété temporaire de l’Agence fédérale de gestion des biens d’État.
Finalement, Danone est tombé dans le giron de Yakub Zakriev, un neveu du leader tchétchène Ramzan Kadyrov tandis que Baltika, un fabricant local de bière appartenant au groupe Carlsberg, est dorénavant dirigé par Taimuraz Bolloev, un proche de Vladimir Poutine.
Dans la mesure où Carlsberg n’avait pas autorisé et n’avait pas approuvé la saisie de ses avoirs en Russie, attribuant à l’État la responsabilité de cette mainmise illégale, Bolloev a récemment laissé entendre que l’entreprise Baltika pourrait être nationalisée – même si une telle initiative n’a aucun précédent dans la Russie moderne.
« L’histoire de ces compagnies étrangères qui n’ont pas encore quitté la Russie est tragique », dit Hasin au Times of Israel. « Poutine a signé plusieurs décrets qui obligent les vendeurs et les acheteurs non seulement à obtenir son consentement s’agissant de la vente de ressources dans les industries stratégiques, mais qui demandent également que les ventes se fassent avec un rabais d’au moins 50 % ou qu’elles garantissent les intérêts des personnalités qui sont les plus proches de lui, comme cela été le cas pour Danone et pour Carlsberg ».
Selon Hasin, la seule option pour des entreprises comme celles-là, qui veulent quitter la Russie sans susciter la colère des actionnaires et des autorités russes, est de passer leurs actifs par pertes et profits et de quitter totalement le territoire. Et pourtant, ajoute-t-elle, de nombreuses compagnies ont peur que les directeurs qu’elles laissent derrière eux, qui sont des ressortissants russes, ne finissent par devoir répondre d’accusations devant les tribunaux – comme cela a été le cas de Carlsberg.
L’autrice, ancienne membre de la Knesset, est chercheuse non-résidente au sein de l’Atlantic Council et directrice-exécutive de ROPES.
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