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La polémique autour de la « Jewface » du biopic sur Leonard Bernstein fait long feu

Ceux qui vont voir « Maestro » s’intéressent plus à l'intrigue qu’aux origines de Bradley Cooper, qui campe le chef d'orchestre juif et s'est fait étriller à propos de sa prothèse de nez

Carey Mulligan et Bradley Cooper dans « Maestro ». (Crédit : Netflix via la JTA)
Carey Mulligan et Bradley Cooper dans « Maestro ». (Crédit : Netflix via la JTA)

NEW YORK (JTA) — Comme tant d’autres cinéphiles qui avaient pris des billets pour la projection de « Maestro » au Festival du film de New York, lundi soir, Alexander Gorlin était au courant de la polémique autour de la « Jewface» qui a fait fait couler beaucoup d’encre à propos du film.

Pour Gorlin, qui est juif, l’interprétation est un exercice qui relève de la sphère « inter-culturelle ». Son cabinet d’architectes a conçu plusieurs lieux de culte juifs.

« Si vous avez le talent pour interpréter le rôle, alors il faut le faire», explique Gorlin à la Jewish Telegraphic Agency à l’entrée du David Geffen Hall du Lincoln Center. « Votre identité de naissance ne vous cantonne pas à certains choix. Les plus grands acteurs sont ceux qui s’affranchissent des lignes. »

« Maestro », biopic sur Leonard Bernstein interprété et réalisé par Bradley Cooper, défraie la chronique depuis maintenant plusieurs mois en raison de l’utilisation d’une prothèse de nez par l’acteur, qui n’est pas juif. Le débat en ligne a été tellement houleux que les trois enfants de Bernstein se sont fendus d’une déclaration pour défendre Bradley Cooper et dire qu’il les avait associés à « chaque étape » du film. La maquilleuse qui a créé la prothèse a présenté des excuses pour avoir blessé des gens. Même l’Anti-Defamation League s’en est mêlée.

Mais l’ambiance dans le hall du David Geffen Hall, entre les deux projections du film lundi soir – c’était sa Première en l’Amérique du Nord – était légère et festive. Nombre de spectateurs étaient des fans déclarés de Bernstein, Cooper et de la musique classique. Pourtant, la plupart étaient bien informés des détails de la polémique autour du nez – une controverse qui, en vérité, leur importait peu.

« Je pense que c’est approprié et cela ne me pose aucun problème. Le nez est parfait pour le film », a ainsi estimé Scott Drevnig, qui est juif et directeur adjoint de la Glass House dans le Connecticut. Il a passé une grande partie de la projection à se demander si c’était bien Bradley Cooper qui se trouvait devant lui (c’était en effet le cas).

De nombreux spectateurs ont été plus intéressés par le film à proprement et notamment par son intrigue, centrée sur le mariage de Bernstein avec l’actrice Felicia Montealegre. Même si tous deux partageaient une véritable complicité amoureuse doublée d’une vision empreinte de compréhension de la vie amoureuse de Bernstein, leur relation s’était dégradée sous le poids des nombreuses relations homosexuelles de Bernstein, parfois sous les yeux du public.

« Enfant déjà, j’étais fan de Bernstein, et je suis très à l’aise avec ça », confie Greg Outwater, qui n’est pas juif et qui travaille dans la collecte de fonds pour l’Université Northwestern, à propos de la prothèse nasale. « Je pensais juste que le film parlerait plus de musique et de direction d’orchestre, je ne m’attendais pas trop à ça. »

Sarah Silverman, qui, il y a quelques années, a contribué à populariser la critique des « Jewfaces » des acteurs non juifs interprétant des personnages juifs, joue dans « Maestro » le rôle de Shirley, la sœur de Bernstein. Elle n’a pas pu faire de commentaire public à propos du film en raison de la grève de la guilde des acteurs.

Le film évoque clairement l’identité juive de Bernstein, dès le début du film et à plusieurs reprises. Lors de la fête durant laquelle Bernstein rencontre Montealegre, interprétée par Carey Mulligan, les deux futurs époux se rapprochent après s’être dit qu’ils ont des parents juifs. Née au Costa Rica et élevée au Chili, Montealegre avait un père juif américain.

Lorsque la carrière de Bernstein décolle, un compositeur juif russe lui dit qu’il aura bien plus de succès s’il change de nom pour quelque chose de moins juif – comme « Burns » (Montealegre le convaincra que c’est un mauvais conseil). Plus tard dans le film, Bernstein porte un pull revêtu d’une inscription en hébreu. Le générique de fin est fait de prières juives sur des mélodies classiques.

Le générique de début donne la vedette à certains des plus grands noms d’Hollywood, comme Steven Spielberg et Martin Scorsese, qui ont co-produit le film. Spielberg avait choisi Bradley Cooper pour prendre la tête d’affiche après avoir vu « A Star Is Born ».

Bradley Cooper dans le rôle de Leonard Bernstein sur le tournage de « Maestro » à New York, le 31 mai 2022. (Jose Perez/Bauer-Griffin/GC Images)

L’offre du tandem Spielberg-Cooper pour le rachat des droits d’utilisation de la musique de Bernstein l’a emporté sur celle d’un autre acteur juif de tout premier plan, Jake Gyllenhaal.

En 2021, peu de temps après l’affrontement, Gyllenhaal s’en était ouvert à Deadline. « Cela fait une bonne vingtaine d’années que j’avais envie de me couler dans la peau de l’un des artistes juifs les plus importants d’Amérique, qui a lutté pour faire accepter son identité ».

Pour Melissa Tomczak, jeune femme âgée de 24 ans qui travaille dans une agence littéraire, c’est cette histoire qui est plus troublante que la polémique sur le nez.

« Je ne pense pas que les non-Juifs ne peuvent pas jouer des Juifs ou faire des films sur les Juifs », explique Tomczak, qui n’est pas juive. « Mais je trouve ça moche que Gyllenhaal, qui est un acteur de théâtre et admire Bernstein n’ait pas pu faire le film. »

Considéré comme le premier grand chef d’orchestre américain, compositeur de musique dans plusieurs genres, du classique au style Broadway de « West Side Story », Bernstein avait été très engagé dans le judaïsme tout au long de sa vie. En 1963, il avait écrit une symphonie intitulée « Kaddish », dédiée au regretté John F. Kennedy. Avec le légendaire chorégraphe Jerome Robbins, il avait conçu un ballet intitulé « Dybbuk », basé sur la pièce yiddish du début du 20ème siècle de S. Ansky « The Dybbuk ». Après la guerre des Six Jours, en 1967, il avait dirigé un concert resté dans les mémoires depuis le mont Scopus, à Jérusalem.

Pour Annalise Pelous, coordinatrice de production cinématographique âgée de 23 ans et présente à la projection de lundi soir, la validation du parti pris de Bradley Cooper par la famille Bernstein a été très utile. La fille aînée de Bernstein, Jamie, a présenté le film sur scène avant les projections, disant, presque sans voix, que le public « allait se régaler ».

Le chef d’orchestre Leonard Bernstein. (Crédit : Paul de Hueck/The Leonard Bernstein Office, Inc.)

« La famille était tout à fait d’accord avec ça », affirme Pelous à propos du nez. « Je ne sais pas, c’est… peu importe. »

Le public, lundi, était divisé : pour certains, c’est un chef-d’œuvre et pour d’autres, un film somme toute assez banal. Ils sont toutefois nombreux à avoir été impressionnés par la tonicité de la bande-son, grâce au système audio Dolby conçu pour l’occasion.

« C’était un peu creux. J’ai l’impression que toutes les productions Netflix se ressemblent. J’attends toujours quelque chose qui ne vient pas », confie Pelous à propos du film. Après sa sortie en salle le 22 novembre prochain, le film sera visible sur Netflix dès le 20 décembre. « Mais la musique, dans l’ensemble, était géniale », conclut-elle.

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