La victoire de Biden suscite de grands espoirs à Ramallah, peut-être trop grands
L'Autorité palestinienne prévoit une invitation à la Maison Blanche pour Abbas, la réouverture de ses bureaux à Washington et la reprise de l'aide ; seraient-ils trop confiants ?
Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix
Mardi, Saeb Erekat, secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP, est décédé au centre médical Hadassah Ein Kerem à Jérusalem.
Le docteur Abu Ali, comme l’appellent ses amis, avait depuis longtemps été officiellement désigné Kbir Almufawidin – le plus grand négociateur de l’Autorité palestinienne – un titre qui a peut-être eu un certain poids lorsque de véritables négociations avec Israël avaient lieu. Erekat citait cela dans des interviews comme gage de son efficacité, d’autant qu’il n’était ni un vétéran des prisons israéliennes, ni un « combattant de la liberté », contrairement à nombre de ses collègues du Fatah. Cependant, au cours des 11 dernières années au cours desquelles il n’y a pas eu de négociations de fond, le titre est devenu au mieux sans valeur, et a même été ridiculisé par ceux qui s’opposent à de telles négociations.
Le soutien d’Erekat au processus de paix avec Israël a érodé son statut au fil des ans, car il était perçu comme ayant conduit les Palestiniens dans l’impasse. Il avait joué un rôle politique important à des moments cruciaux, notamment à la Conférence de Madrid, où son apparition en keffieh a irrité les Israéliens, quelle qu’en soit la raison – et lors d’innombrables sessions à Oslo, au Caire, à Camp David, à Annapolis et ailleurs. Il a également dirigé les entretiens avec la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni pendant le mandat du Premier ministre Ehud Olmert. Mais les Israéliens comme les Palestiniens ont toujours su que, quel que soit le titre de Kbir Almufawidin, les accords étaient toujours conclus, ou rejetés, par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas ou son prédécesseur Yasser Arafat.
Certains médias israéliens considéraient autrefois Erekat comme un candidat à la succession d’Abbas, mais il n’a jamais représenté une option viable, et il est resté au second plan.
Le cercueil d’Erekat a été exposé mercredi au siège de la Muqata de l’Autorité palestinienne à Ramallah, et de hauts responsables palestiniens sont venus lui rendre hommage – tout en maintenant leurs distances compte tenu du fait qu’il est mort de la COVID-19 (Erekat souffrait d’une grave maladie pulmonaire, et il était clair qu’il était à haut risque quand il a contracté la maladie). Une haie d’honneur a porté son cercueil à l’entrée de Muqata, où Abbas a prononcé l’oraison funèbre.
Le mardi 11 novembre était aussi l’anniversaire de la mort en 2004 d’Arafat – avec lequel la relation d’Erekat avait connu des hauts et des bas, mais à qui il est toujours resté fidèle, même pendant les pires jours de la Seconde Intifada.
Les deux funérailles étaient très différentes. Après la mort d’Arafat dans un hôpital parisien, son corps a été ramené à la Muqata lors de scènes de chaos. Dès l’atterrissage de l’hélicoptère, une foule de dix à quinze mille personnes l’a assailli, dans l’espoir de toucher une dernière fois la légende. Un désordre tel que le « vieil homme » les aimait.
Ce jour semble avoir marqué le début du lent et douloureux déclin de l’Autorité palestinienne. Bien qu’Abbas ait rétabli la loi et l’ordre en Cisjordanie, le coup d’État du Hamas à Gaza a eu lieu sous sa direction, et le schisme dans le paysage politique palestinien s’est aggravé au cours des treize dernières années. Les Palestiniens ont touché le fond – ils se sont marginalisés, sont devenus presque sans importance, représentant une épine dans le pied des riches États arabes. Désormais, les États-clés sunnites les considèrent également, selon les termes du ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban, comme ceux qui « ne ratent jamais une occasion de rater une occasion ».
Les négociations avec Israël sont devenues de lointains souvenirs. L’AP Abbas-Erekat a coupé ses liens avec Washington, qui a coupé la majeure partie de son aide financière, après que le président américain Donald Trump ait reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël. Même les implantations en Cisjordanie commencent à gagner du soutien dans certains milieux internationaux comme une part légitime de l’État israélien.
La victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine a redonné le sourire aux hauts responsables de l’Autorité palestinienne, du Fatah et principalement de l’entourage d’Abbas. L’espoir est de sortir de quatre années de désert diplomatique, et on s’attend à ce que l’Autorité palestinienne reprenne ses activités. Il est cependant peu probable que Biden se révèle aussi accommodant que l’Autorité palestinienne voudrait le croire. Ramallah devra faire preuve d’une grande disponibilité à progresser afin d’éviter de mettre en colère la nouvelle administration américaine.
Si Trump avait été réélu, le Fatah et le Hamas auraient été disposés à organiser des élections parlementaires pour la première fois depuis 2006. Jibril Rajoub du Fatah et Saleh al-Arouri du Hamas avaient tenu des entretiens préliminaires intensifs dans ce but – mais ils ont été interrompus ces dernières semaines à la fois à cause de l’opposition des deux côtés et dans l’attente du résultat des élections américaines.
À présent, Ramallah ne voudra pas irriter Biden dès le départ par un rapprochement avec les terroristes du Hamas, de sorte que ce processus est probablement au point mort. En effet, Rajoub a annoncé mardi que la réconciliation avait été retardée « dû à des circonstances particulières ». En ce qui concerne les élections législatives, celles-ci ne sont probablement plus au programme, du moins jusqu’à ce que Biden dévoile sa politique vis-à-vis de la question palestinienne.
Au lieu de cela, l’Autorité palestinienne va maintenant attendre la fin de la période de transition de deux mois et demi, en espérant que l’administration Trump ne viendra pas régler ses comptes, puis attendre à nouveau que Biden traite les questions plus urgentes, avant d’explorer avec la nouvelle administration les moyens de retisser des liens.
Trump pourrait encore tenter de mettre des bâtons dans les roues de son successeur démocrate en prenant des mesures que Biden aurait du mal à révoquer – annoncer la reconnaissance officielle de la souveraineté israélienne sur les principaux blocs d’implantations tels que Ma’aleh Adumim et le Gush Etzion, ou dans la zone E1 à l’est de Jérusalem, par exemple.
En parallèle du rétablissement des liens avec Washington, l’Autorité palestinienne pourrait aussi envisager de rétablir des liens avec Israël, si l’annexion n’est pas remise à l’ordre du jour. En mai, alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait indiqué l’extension imminente de la souveraineté israélienne à toutes les implantations et à la vallée du Jourdain, Abbas a interrompu la coordination financière et sécuritaire et même refusé de recevoir le paiement des taxes et droits de douane perçus puis reversés par Israël au nom de l’AP.
Depuis, les employés de l’AP ne reçoivent que la moitié de leur salaire. Parallèlement aux ravages de la COVID-19, cela a frappé l’économie de la Cisjordanie, et il n’y a pourtant pas eu de manifestations majeures contre l’AP.
Rien ne garantit que le calme va perdurer, ni que l’Autorité Palestinienne va renouer le contact avec Israël. Ramallah se sent plus fort aujourd’hui qu’au moment où l’annexion se profilait – Netanyahu a accepté de suspendre le processus dans le cadre de la normalisation avec les EAU – et l’AP essaiera probablement de fixer des conditions avant de reprendre la coopération avec Israël.
Mais les attentes actuelles de Ramallah sont peut-être trop hautes. L’AP s’attend à ce que Biden, une fois installé, cherche à renouer les relations, qui pendant des mois se sont limitées à des communications minimales entre les services de renseignement généraux de l’AP dirigés par Majed Faraj et les services de renseignement américains. Elle envisage qu’Abbas pourrait être invité à la Maison Blanche, une étape qui serait suivie par la réouverture des bureaux de l’OLP à Washington. Et elle attend une reprise de l’aide financière conséquente des États-Unis, ainsi qu’une assistance et des équipements de sécurité. L’avenir nous le dira.
La question cruciale est de savoir dans quelle mesure Biden et sa nouvelle administration pourront régénérer l’espoir et la foi dans la solution à deux États. Les résidents de Cisjordanie réalisent, comme tout le monde, que le concept d’un État palestinien sur un territoire contigu est difficile à concilier avec les faits sur le terrain. Même si Biden parvenait à négocier une reprise des pourparlers, il est peu probable qu’il change l’aspect de la Cisjordanie, avec ses implantations et ses avant-postes illégaux sur de nombreuses collines.
Gaza aussi continuera probablement de faire échouer les efforts pour parvenir à une solution pacifique. Comment adresser le problème posé par le groupe terroriste du Hamas, un régime qui gère la vie de deux millions de Palestiniens, qui refuse la paix avec Israël et peut-être même rejette l’idée d’une frontière calme et sereine avec ce pays ?
Et enfin, se pose l’éternelle question de l’avenir d’Abbas. Arafat a disparu il y a 16 ans cette semaine. À présent, c’est au tour d’Erekat. Dimanche prochain, Abbas fêtera son 85e anniversaire. Il est prématuré de faire son oraison funèbre, mais pas de réaliser qu’il ne restera peut-être pas dans ses fonctions bien longtemps. Dans un tel scénario, ce serait en fait la nouvelle administration américaine qui devra attendre que son – ou ses – successeurs prennent les choses en main et déterminent la politique vis-à-vis d’Israël et du processus de paix.
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