La visite de Biden aura été à mille lieux des attentes chimériques d’Israël
Après le battage autour du voyage du président, Jérusalem a finalement accueilli la première manche d'un déplacement sans véritable enjeu dont MBS a été l'incontestable vainqueur

Le déplacement de Joe Biden dans la région était « une opportunité sans précédent de changer la dynamique au Moyen-Orient », avait commenté un haut-responsable israélien auprès des journalistes, mardi dernier, vingt-quatre heures avant l’arrivée de l’avion du président américain sur le tarmac de l’aéroport Ben Gurion.
Des superlatifs qui avaient encore été largement utilisés après l’atterrissage d’Air Force One. C’était une visite « historique », avait estimé le Premier ministre Yair Lapid et le président Isaac Herzog était, pour sa part, allé un peu plus loin dans cette rhétorique, comparant le chef de l’État américain à Joseph, le patriarche biblique – Biden qui avait, selon lui, entamé « un périple de paix d’Israël vers l’Arabie saoudite, de Terre sainte vers le Hejaz. »
Et pourtant, les résultats de ce voyage ont été prosaïques – c’est le moins qu’on puisse dire. Et, d’une certaine manière, la semaine qui vient de s’écouler devrait servir de triste rappel à l’ordre pour Israël.
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« Plus grandes sont les attentes, plus grandes sont les déceptions », commente Yoel Guzansky, chercheur à l’Institut des études de sécurité nationale de Tel Aviv.
Quelques heures avant que Biden ne s’envole pour Jeddah, vendredi, l’annonce qu’attendait l’État juif avait enfin été faite. L’Autorité saoudienne responsable de l’aviation civile avait fait savoir que l’espace aérien du royaume serait dorénavant ouvert à tous les transporteurs civils commerciaux. Un communiqué qui n’avait pas explicitement mentionné Israël mais que Lapid avait qualifié de « première avancée officielle vers la normalisation avec l’Arabie saoudite ».
Même satisfaction chez Biden qui avait évoqué « une initiative importante… un premier pas tangible vers ce qui, je l’espère, se transformera à terme en normalisation plus large des relations entre les deux pays ».
Mais du côté des Saoudiens – au moins publiquement – ça avait été la douche froide. « Cela n’a rien à voir avec les liens diplomatiques avec Israël », avait insisté le prince Faisal bin Farhan, ministre saoudien des Affaires étrangères, auprès des journalistes alors que Biden rentrait aux États-Unis.

Malgré les messages exagérément enthousiastes transmis par les chaînes officielles de télévision au sein de l’État juif – ce qui n’est peut-être guère surprenant en amont d’un scrutin – la réalité est probablement que nous n’avons pas été au cœur, comme nous pouvions le penser, du déplacement de Biden.
« Biden avait un objectif central, celui d’atténuer la crise énergétique mondiale en obtenant un renforcement de la production en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis », explique Moran Zaga, expert de la région du Golfe à l’Institut Mitvim. « Tout ce qu’il y avait autour, à mon avis, était une sorte d’ornement, une initiative visant à attirer l’attention sur d’autres domaines qui occupent une place de choix dans la politique de Biden – la libéralisation, la paix, les droits, les Palestiniens ».
« Même quand les rumeurs concernant l’ouverture de l’espace aérien saoudien ont commencé à circuler, la question est devenue : ‘D’accord, c’est bien : et quoi d’autre ?’, » continue Zaga.
Ce qui n’a pas empêché les leaders israéliens de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour galvaniser l’importance de la visite en Israël elle-même. Lapid et Biden ont signé la Déclaration de Jérusalem pendant le séjour du dirigeant américain – un document qualifié par un haut-responsable israélien de « déclaration historique… qui montre la nature unique de ce que nous avons mis en place entre nos deux pays ».
Lapid l’avait placée dans un cadre, dimanche, et il l’a accrochée lui-même dans la salle de réunion du cabinet.

Rien de particulièrement nouveau, pourtant, dans ce document, qui engage les deux alliés à travailler de concert pour empêcher l’Iran d’obtenir l’arme atomique, à continuer à discuter des relations entre Israéliens et Palestiniens, à œuvrer à développer et à élargir les Accords d’Abraham et à lutter contre l’antisémitisme – comme ils le font déjà aujourd’hui.
Israël a fait tout ce qui fallait pour occuper Biden quand il se trouvait dans le pays, l’aidant à faire oublier le véritable objectif de son déplacement dans la région. Herzog lui a remis la médaille d’honneur présidentielle, la même distinction qui avait été remise au président tchèque, Miloš Zeman, quelques jours auparavant.
Biden a aussi salué les athlètes lors de la cérémonie d’ouverture des Maccabiades et il a pris part à une visioconférence via Zoom avec les dirigeants indiens et émiratis.

Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu de moments poignants, sincèrement émouvants et forts. Pendant la longue conversation entre Biden, qui s’était agenouillé, et deux survivantes de la Shoah à Yad Vashem, le président américain a retrouvé, l’espace d’un instant, sa vraie nature : celle d’un homme politique tactile et attentif, doté d’une capacité hors-pair à entrer en relation avec les citoyens qui l’entourent.
Le discours qu’il a prononcé en acceptant sa médaille d’honneur a été chaleureux et sincère.

Mais tout ce battage autour du déplacement – et au vu des avancées mineures dans les liens entre Israël et l’Arabie saoudite – est allé bien au-delà des libertés typiques que prennent habituellement les porte-paroles gouvernementaux autour des visites présidentielles. Et ces messages pourraient même avoir porté préjudice à Israël aux yeux de l’Arabie saoudite.
« Je pense qu’Israël a fait des dégâts ici », déplore Guzansky. « La question saoudienne a été artificiellement gonflée, avec toutes sortes de fuites d’information et de conférences de presse. Mais il n’y a rien eu d’historique, ni en Israël, ni du côté saoudien. »
« Je pense que cela reflète un manque de compréhension, en Israël, du positionnement adopté par les Saoudiens, de leur sensibilité et de ce que sont leurs intérêts », ajoute-t-il.
Zaga en convient : « Les Saoudiens n’ont rien amené en complément des efforts diplomatiques israéliens. »
A l’heure actuelle, Ryad n’a aucune raison de faire à Israël – ou aux États-Unis d’ailleurs – des cadeaux gratuits. Tous les gestes qui ont pu être faits l’ont été en résultat de négociations difficiles avec les Américains.
Après un déclin relatif de leur statut régional dans le sillage de la guerre au Yémen et du meurtre de Jamal Khashoggi, en 2018, les Saoudiens – et en particulier leur leader de facto, Mohammad Bin Salman — veulent pouvoir à nouveau revendiquer leur place à la tête du monde arabe.

Et ils ont été les grands vainqueurs du déplacement en obtenant ce qu’ils recherchaient.
« D’abord, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient de la visite de Biden », explique Zaga. « Il s’est incliné devant eux, il a accepté de reconnaître les Saoudiens comme, a-t-il dit, des protecteurs des intérêts américains ».
« Et ensuite, dans le cadre de la visite, l’Arabie saoudite a accueilli cet important sommet inter-arabe », ajoute-t-elle. « Et là, une fois encore, l’Arabie saoudite a été le pays organisateur, ce pays qui prend l’initiative, le leader, le moteur ».
Et les Saoudiens n’ont pas eu peur non plus de montrer les crocs. Quand Biden a apparemment commencé à rudoyer MBS sur le dossier de l’assassinat de Khashoggi, le prince héritier a riposté en interrogeant le président sur la mort de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh et sur les violences perpétrées dans la prison d’Abu Ghraib, en Irak.
Et alors que Biden retournait aux États-Unis à l’issue de ce déplacement, la question persistante en Israël a été la suivante : où en est véritablement la normalisation avec les Saoudiens ?
Et au regard de ce qui s’est passé la semaine dernière, elle paraît encore très éloignée.
Malgré la coopération en termes de renseignement et des intérêts qui convergent, la relation actuelle entre l’État juif et l’Arabie saoudite n’est pas la même que celle qu’entretenaient l’État juif et les Émirats arabes unis avant les Accords d’Abraham. Tandis que les EAU se positionnaient comme un centre international leader dans les secteurs de la culture et du commerce, les Israéliens étaient bien présents lors des fora internationaux et des compétitions internationales.

Mais l’Arabie saoudite n’est pas le même genre de pays. Il n’y a pas la même ouverture au monde, il n’y a pas la même familiarité avec les Juifs et avec les Israéliens. Et le rôle de l’Arabie saoudite en tant que tutrice des deux saintes mosquées implique qu’elle doit faire preuve d’une prudence beaucoup plus grande concernant des liens publics avec les Israéliens s’il n’y a pas de solution apportée au problème palestinien au préalable.
Il y a eu d’autres évolutions de la situation régionale qui, cette semaine, n’ont pas non plus été particulièrement encourageants pour Israël. Le projet d’alliance de sécurité régionale contre l’Iran, qui est au cœur de toutes les discussions, semble beaucoup moins avancé que ne pourrait l’espérer Israël. Son évocation, pendant la visite, est restée très vague, à mille lieux d’un OTAN du Moyen-Orient.
Et même les Émirats arabes unis, le joyau de la couronne des Accords d’Abraham pour l’État juif, ont transmis un message significatif pendant la visite du président américain. « Les EAU ne font partie d’aucun axe contre l’Iran », a commenté Anwar Gargash, conseiller du président – qui a rajouté qu’Abu Dhabi envisageait de renvoyer son ambassadeur à Téhéran. Le même état d’esprit règne, à l’évidence, dans tout le Golfe depuis quelques mois alors que les pays arabes tentent de s’adapter au mieux à la présence réduite des Américains dans la région en cherchant la désescalade avec la république islamique.
Le besoin d’exprimer de l’enthousiasme au sujet de la visite du président américain est totalement et absolument compréhensible. Mais les leaders israéliens doivent toutefois bien garder à l’esprit que les pays élaboreront leurs politiques à l’égard d’Israël en fonction de leurs propres besoins et de leurs propres intérêts. Trois pays ont emprunté le chemin de la normalisation, c’est vrai, mais les autres partenaires potentiels de l’État juif tiennent d’abord à observer attentivement les bénéfices apportés par les Accords d’Abraham tout en regardant l’Iran avec inquiétude.
Et pendant ce temps, les Israéliens devront se contenter de pouvoir apercevoir le royaume sous eux, par un hublot, à presque 10 kilomètres de hauteur.
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