Lawrence Langer, éminent spécialiste des témoignages sur la Shoah, meurt à 94 ans
En analysant ce que les survivants eux-mêmes ont dit du génocide, Langer, qui a reçu de nombreux prix pour son travail, s'est opposé au sentimentalisme excessif et à la mythologisation
JTA – « L’une des premières choses que j’ai apprises, c’est qu’on ne peut pas généraliser l’expérience de la Shoah », a confié Lawrence Langer dans une interviewe sur le documentaire de 2004 « A Life in Testimony » (Une vie en témoignage). « Nous devons constamment nous concentrer sur les particularités. C’est pourquoi j’ai consacré ma vie à essayer de comprendre : comment était-ce en réalité ? »
À travers des dizaines de livres et d’essais – dont le plus célèbre est Holocaust Testimonies : The Ruins of Memory – Langer a utilisé ses compétences de professeur de littérature pour explorer ce que les paroles des survivants eux-mêmes révélaient sur le génocide et le processus de la mémoire. En analysant des centaines de témoignages recueillis par la Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies de l’université de Yale, Langer a insisté pour que les souvenirs des témoins soient pris au sérieux et sans sentiment, et qu’ils ne soient pas soumis à un processus de mythologisation qui enferme les survivants dans les catégories banales de « martyrs » ou de « héros » ayant triomphé de l’adversité.
Professeur émérite d’anglais à l’université Simmons de Boston, Langer s’est souvent opposé aux idées de ce qu’il appelle les « théoriciens du traumatisme », qui cherchent à trouver ce qui est bon ou ce qui confirme la vie au milieu d’une tragédie indicible. « Je comprends le besoin de trouver quelque chose de bon dans quelque chose de si mauvais ; je suppose que c’est un besoin humain, mais cela déforme la nature de l’expérience », a-t-il déclaré lors d’une interview en 2021. « Ce n’est pas ce qui ressort des témoignages des survivants de la Shoah ».
Langer est décédé le 29 janvier dans un hospice près de son domicile à Wellesley, dans le Massachusetts. Il avait 94 ans.
Né à New York, Langer a découvert ce à quoi il allait consacrer sa vie en 1964, lors d’une visite au camp de concentration de Mauthausen et au camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau, alors qu’il était professeur de littérature américaine à l’université de Graz, en Autriche, dans le cadre du programme Fulbright. Il a écrit son premier livre The Holocaust and the Literary Imagination en 1976, après une année sabbatique en Allemagne. Cet ouvrage a été l’un des trois finalistes du National Book Award.
Holocaust Testimonies, publié en 1991, a remporté le National Book Critics Circle Award for Criticism. Il a également édité Art from the Ashes : A Holocaust Anthology, publié par Oxford University Press en 1995.
Langer a enseigné la littérature américaine au Simmons College de 1958 jusqu’à sa retraite en 1992. À Simmons, il a inauguré en 1965 ce qui semble être le premier cours sur la littérature de la Shoah enseigné dans un collège ou une université américaine.
En 2016, Langer a reçu le prix de la Holocaust Educational Foundation Distinguished Achievement Award in Holocaust Studies (Prix de la réussite exceptionnelle dans les études sur la Shoah). L’université de la ville de New York lui décernera un diplôme honorifique à titre posthume lors de sa cérémonie de remise des diplômes en mai prochain.
Langere est le fils d’Irving et d’Esther (Strauss) Langer, né dans le Bronx en 1929. Lorsqu’il parlait de son intérêt pour la Shoah, il évoquait souvent une famille juive allemande qui s’était installée dans l’immeuble de sa famille au début des années 1940. Il ne savait pas consciemment qu’il s’agissait de réfugiés, a-t-il expliqué à un autre intervieweur, mais « néanmoins, quelque chose concernant la Shoah était déjà ancré en moi ».
Langer a fréquenté le City College de New York. Après avoir obtenu son diplôme en 1951, il s’est installé avec sa femme Sandy à Cambridge, dans le Massachusetts, où il a obtenu un doctorat en littérature américaine à l’université de Harvard.
Après avoir pris sa retraite en 1992, il s’est associé à son ami Samuel Bak, peintre et survivant de la Shoah, et a écrit des essais critiques pour 11 ouvrages consacrés à l’œuvre de l’artiste.
Langer a publié ses deux derniers livres en 2022 : The Afterdeath of the Holocaust, qui contient des essais dans lesquels il continue de s’opposer à la tendance à « sentimentaliser » les expériences des survivants, et Hierarchy and Mutuality in Paradise Lost, Moby-Dick and The Brothers Karamazov, son seul ouvrage qui ne soit pas lié à la Shoah.
Il laisse derrière lui sa femme Sandy, son fils Andy Langowitz, sa fille Ellen Lasri, cinq petits-enfants et trois arrière-petits-enfants.
En 2020, le Journal of Holocaust Research lui a consacré un numéro à l’occasion de son 90e anniversaire. Dans l’introduction, les rédacteurs en chef ont écrit qu’il était impossible « d’ouvrir un livre qui traite d’un aspect quelconque de la mémoire, du témoignage ou de la littérature de la Shoah sans y croiser non seulement le nom de Langer, mais aussi une discussion sur ses idées ».