Le glamour est loin d’être l’essentiel pour cette drag-queen de Tel Aviv
Mama de la Smallah, 20 ans, qui vient de finir le service militaire, affirme que son rôle est de lier les individus et de se battre pour les droits de la communauté LGBT
JTA — Les patrons du bar, un peu anxieux, réclament de l’attention lorsque les premières notes de la chanson « Tradition », issue du film « Un violon sur le toit », s’échappent du haut-parleur.
Sur la petite scène, une créature plantureuse, ses lèvres soulignées d’un rouge à lèvres noir et ses cheveux cachés sous un foulard luminescent. Telle une parodie d’homme hassidique, elle porte un long manteau noir qui retombe sur sa robe et un chapeau – haut perché sur ses cheveux emmaillotés sous son fichu.
Elle claque des mains, fronce ses (faux) cils, se mord les lèvres et s’exclame – pour ceux qui pourraient encore douter du titre qu’elle s’apprête à chanter – « Kanar al hagag » – le nom du film en hébreu.
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Sa présence démesurée semble surcharger aisément la scène et la petite boîte de nuit qu’elle arpente avec enthousiasme, levant les poings au ciel et dansant. Au cours de sa prestation insensée, elle change de vêtements – révélant un tout nouveau costume – pas moins de six fois, dépeignant à chaque nouvelle tenue un stéréotype de Juif religieux, masculin ou féminin, l’un après l’autre.
Mais l’artiste n’est, en réalité, ni une femme, ni un religieux hassidique. C’est une drag-queen transgenre de 20 ans, ancien soldat combattant et activiste politique, Mama de la Smallah, qui alterne féminin et masculin avec autant d’aisance que son incarnation drag change de costumes. Son parcours, pour arriver jusqu’à la scène de cette boîte de nuit de Tel Aviv, a été rempli de maintes embûches – et elle n’en est qu’à ses débuts.
Si les drags existent depuis des siècles, la forme artistique qu’elles ont pris aujourd’hui semble s’être ancrée depuis un moment. Ainsi, les 11 saisons de « RuPaul’s Drag Race » peuvent être visionnées en haute-définition sur Netflix. Les reines qui ont remporté la compétition ne sont pas encore devenues des icônes nationales mais elles engrangent régulièrement des contrats de mannequinat haut-de-gamme, monnaient leurs prestations à hauteur de milliers de dollars et amassent des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux.
Mais dans la plus grande partie de l’histoire de la communauté queer, et dans la majorité du monde, un homme qui ose s’habiller et se produire sur scène sous les traits d’une femme se livre toujours au même acte radical.
Et tandis qu’Israël traite très certainement ses citoyens LGBT bien mieux que la plupart des pays voisins ne le font, les Israéliens queer ne jouissent encore que de droits limités en ce qui concerne le mariage et la GPA.
C’est ce combat pour l’égalité des droits et le sérieux de cette cause qui ont été à la genèse de la création de Mama.
Lors de la Gay pride à Tel Aviv, en 2019, Mama de La Smallah a semblé avoir relevé son pari avec succès. Elle a partagé un char avec la star américaine de la télévision Neil Patrick Harris, portant une mousseline de soie agrémentée de papillons dorés, qu’elle a créés et assemblés elle-même.
Des centaines de milliers d’Israéliens et de touristes en extase et en sueur ont défilé à ses côtés, étouffant sous le soleil méditerranéen brûlant.
Mais Ellen Best – c’est le nom de Mama quand il n’est pas drag – est le premier à dire que le faste et le glamour sont finalement peu de choses.
En fait, Mama De La Smallah a fait ses débuts non pas à la Gay pride, ce défilé parrainé par le gouvernement israélien, mais bien dans un acte de protestation contre le traitement par le même gouvernement de ses citoyens LGBT.
« Je suis une reine de la protestation », s’exclame Best. Au mois de juillet 2018, il a amené son double drag dans une manifestation immense qui avait rassemblé 100 000 personnes sur la place Rabin à Tel Aviv pour défendre le droit à la GPA de la communauté LGBTQ.
Même si Mama était déjà entrée sporadiquement dans sa vie depuis son entrée en classe de seconde, c’était la première fois qu’elle se présentait en public.
« Il y a l’amusement, important mais qui reste l’amusement. Mais le travail, c’est d’entrer en lien avec les autres. Etre une drag, c’est créer des connexions au sein de la communauté », commente-t-il au mois de juin devant un plat de tapas, assis dans un restaurant trendy du sud de Tel Aviv.
Quand il n’est pas en drag, Best dégage un sentiment de sérénité tranquille. Il porte des tatouages épais sur les deux cuisses et, même s’il ne boit pas d’alcool, il fume des Winston sans s’arrêter, rejetant par la bouche de lourds nuages de fumée, même quand il n’est pas à l’extérieur.
Et si vous le croisez en vous précipitant pour traverser la rue alors que le feu est au rouge, il pourrait bien vous réprimander pour ne pas avoir pris le temps d’observer le monde qui vous entoure – soulignant, dans le feu de ses paroles, les différentes couches architecturales de la ville.
Pour sa part, Best est un gamin de la périphérie. Il est né en 1998 à Beer Sheva et il a grandi à Dimona – une ville connue pour son réacteur nucléaire. A Dimona se côtoient des Juifs russes et une communauté mizrahie religieuse. Il cite ces influences colorées et disparates, ainsi que sa grand-mère, comme sources d’inspirations pour son personnage de Mama.
Best a une sœur aînée et deux frères plus jeunes, un père Juif indien et une mère dont les parents soutiennent le parti ultra-orthodoxe Shas. Ses parents ont divorcé lorsqu’il avait un an et il a passé son enfance « dans un tel état de pauvreté que je n’ai jamais réalisé que je n’avais pas d’argent ».
En classe de cinquième, Best a quitté l’école religieuse qu’il fréquentait pour entrer dans le public, où il a préféré prendre des cours de danse à la place du football parce qu’il était « un enfant plutôt gros et que je n’aimais pas courir ».
Il a été aussi harcelé en raison de ses longs cils. Ses camarades de classe le raillaient, lui disant qu’il portait du mascara et que c’était la preuve indubitable qu’il était gay.
« En quatrième, je me suis demandé si peut-être j’étais homosexuel », raconte Best, qui ajoute qu’il était néanmoins incapable de répondre à cette question parce qu’il ne comprenait pas pleinement ce qu’elle signifiait. Il n’y avait pas d’ordinateur dans la maison et ses grands-parents religieux n’étaient pas vraiment du genre à discuter franchement de sexualité.
En 2014, à l’âge de 14 ans, il s’est rendu pour la première fois au défilé de la Gay pride, à Tel Aviv, en compagnie d’amis de l’IGY, une organisation pour les jeunes Israéliens LGBT. Il a fait son coming-out auprès de sa mère une semaine après.
Elle n’avait pas su quoi répondre à l’époque, se souvient Best. Mais environ six mois plus tard, elle a également fait son propre coming-out, disant à Best qu’elle était lesbienne et asexuelle – ce qui signifiait que si elle ne ressentait aucune attirance sexuelle pour un individu quel que soit son sexe, elle pouvait néanmoins tomber amoureuse d’une femme.
Best, avec le recul, estime que peut-être cet état de fait a pu être entraîné « parce que nous étions très pauvres : maman ne pensait pas du tout à avoir des relations ».
Un an après le coming-out de Best, de manière tragique, sa mère a eu un cancer.
Lorsqu’il a eu dix-huit ans, Best s’est enrôlé dans l’armée israélienne. Même s’il avait grandi en vivant auprès de ses grands-parents ultra-orthodoxes, il avait toujours su qu’il désirait servir. Après le lycée, lui et un ami s’étaient inscrits dans un programme qui préparait au service au sein de l’unité Caracal, une unité de d’infanterie combat stationnée sur la frontière d’Israël avec l’Egypte.
Sa mère s’est éteinte au cours de son service national.
A de nombreux égards, ses grands-parents ultra-orthodoxes ont fait preuve d’une tolérance remarquable pour son style de vie, dit-il. Son grand-père avait banni sa propre sœur de la maison lorsqu’elle avait évoqué avec conviction les bienfaits d’une thérapie de conversion à la table du Shabbat.
« Mes grands-parents se moquent du fait que je sois gay », explique-t-il. « Ce dont ils ne se moquent pas, c’est de mon respect du Shabbat ».
Sa grand-mère, ajoute-t-il, « comprend également la passion » qu’il nourrit pour son engagement dans ce qu’il fait, « mais pas la cause ». Il explique que d’autres membres de sa famille sont également queers – il a notamment un oncle transgenre – mais qu’il a été le premier à affirmer publiquement ce qu’il était réellement vis-à-vis des siens.
Une fois qu’il a terminé son service au sein de l’armée, Best s’est installé à Tel Aviv et s’est consacré sérieusement à son activité de drag.
En Israël comme aux Etats-Unis, les drag-queens évoluent souvent les unes avec les autres, se créant des familles de fortune attentives aux besoins de chacune. Elles vivent parfois ensemble et partagent également, dans certains cas, le même nom connu. Best fait partie du WERK, un groupe dirigé par une drag-queen appelée Galina Por De Bra.
Tandis que l’activisme de Best se concentre en premier lieu sur les problèmes rencontrés par les LGBTQ, son personnage de drag-queen met en lumière également une autre tension largement répandue dans le société israélienne – le clivage entre les Juifs mizrahis et ashkénazes.
Et c’est l’une des raisons pour lesquelles les performances de Mama sont si puissantes : Avec ses foulards, son style d’inspiration moyen-orientale et ses courbes exagérées, elle ne parodie pas seulement les femmes mizrahies mais les femmes mizrahies telles qu’elles sont observées par le regard critique des ashkénazes.
En se penchant sur l’absurdité de ce point de vue, elle renvoie une partie du préjugé aux yeux de ceux qui ont aidé à le perpétuer.
« Je parle en hébreu, je réfléchis en anglais et je suis payé en mizrahi », me dit Best, paraphrasant le poème « Je suis une mizrahie » d’Adi Keissar, une oeuvre cinglante sur l’expérience du racisme de cette dernière en Israël.
Mama est, sans aucun doute, une étoile montante sur la scène des drag-queens à Tel Aviv. Mais la réalité du quotidien, pour Best, reste très difficile. Mama se produit deux à trois fois par semaine à la bonne saison mais il peut se passer un mois où les apparitions sont rares.
« Je suis pauvre mais je suis heureux », dit-il.
Même si la créatrice Liron Mar Mar, qu’il a rencontré par le WREK, l’a pris sous son aile, être drag-queen reste une forme d’art onéreuse et ce sont les artistes qui paient tout ce qui va leur servir pour leurs cheveux, leur maquillage, ou leurs tenues de scène.
« C’est la drag qui paie pour la drag », explique Best.
D’ici cinq ans, Best prévoit de davantage créer lui-même les tenues de spectacle portées par Mama, de lancer une ligne de vêtements, de faire connaître son double drag hors des frontières d’Israël et, pourquoi pas, de la rendre encore plus politique qu’elle ne l’est déjà.
Partout où Mama apparaît – que ce soit quand elle chante dans un club sombre, quand elle marchande dans un souk de Jérusalem au beau milieu de l’après-midi ou qu’elle se trouve au cœur du chaos joyeux et bruyant du défilé de la Gay pride – il est impossible de ne pas ressentir que ceux qui l’entourent seront amenés à un moment à s’approprier le message politique, culturel et artistique qu’elle incarne.
Car même à Tel Aviv, une ville libérale, il reste très certainement beaucoup de progrès, politiques et artistiques, à organiser.
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